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Léon Robel (Traducteur)Andrée Robel (Traducteur)
EAN : 9782221112311
294 pages
Robert Laffont (15/02/2009)
3.93/5   145 notes
Résumé :
Six mois après la disparition d'Alexandre Soljenitsyne, « Pavillons Poche » rend hommage à l'écrivain d'exception, Prix Nobel de littérature, en publiant l'une de ses œuvres qui a exercé la plus grande influence sur la littérature soviétique.

Après une dizaine d'années d'internement dans un désert poussiéreux et brûlant, Ignatitch éprouve un grand désir de fraîcheur, de tranquillité et de forêts bruissantes. À l été 1956, il se rend au cœur de la vra... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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"À l'été 1956, je revenais d'un désert brûlant et poussiéreux, rentrant tout simplement en Russie, au petit bonheur. Personne ne m'y attendait nulle part, personne ne m'y appelait, parce que j'avais lambiné une petite dizaine d'années avant de revenir."

Voilà comment Soljenitsyne commence son histoire.
"La maison de Matriona" fut publié en 1963 dans le magazine Novy Mir en tant que deuxième courte prose de l'écrivain, et selon les experts il s'agirait de sa nouvelle la plus lue. "Le plus lu" ne signifie pas toujours "le meilleur", mais le destin de Matriona Vassilievna m'a solidement remuée.

Soljenitsyne n'est jamais tendre avec ses héros, et cette nouvelle ne déroge pas à la règle. C'est une histoire simple de la campagne russe, et de son âpre réalité. Si la véritable "âme russe" se cache quelque part dans ces larges étendues herbeuses aux villages clairsemés reliés par le chemin de fer, qui d'autre pourrait la décrire mieux qu'un Russe ? Et tout comme dans "Une journée d'Ivan Denissovitch", Soljenitsyne est d'une redoutable efficacité.

Le professeur de mathématiques et ancien prisonnier de goulag Ignatitch voudrait retrouver une vie normale. N'importe où; mais loin du monde, dans quelque endroit perdu "au coeur de la Russie", comme il le dit lui-même. Il descend du train dans l'un de ces trous paumés sur le trajet Moscou - Mourom, à l'endroit au nom sauvagement poignant de Torfoprodoukt.
Il est difficile de trouver un logement. Faute de mieux, Ignatitch finira par trouver gîte et couvert chez la vieille Matriona Vassilievna, entre quatre murs branlants, en compagnie de cafards et d'un chat boiteux.
Pendant les soirées passées dans la même pièce, à partager le gruau et les patates bouillies, Ignatitch écoute l'histoire de la vie de Matriona. Il va apprendre que son mari Iéfime était un homme bon, qui ne l'a jamais battue. Qu'elle a donné naissance à six enfants, et qu'elle les a enterrés tous, l'un après l'autre. Qu'elle devait épouser Faddei, le frère de Iéfime, mais il n'est pas revenu de guerre...
Faddei va bien finir par rentrer, et seulement parce qu'il trouve Matriona mariée à son propre frère l'empêche de les tuer tous les deux à la hache. Il va épouser une autre Matriona... rien qu'à cause de ce satané prénom !

Après la mort tragique de Matriona, Ignatitch réfléchit sur cette femme qui aidait toujours les autres dans leurs travaux difficiles, sans jamais rien demander en retour. Elle ne savait pas dépenser, ni en vêtements, ni pour améliorer sa vie. Incomprise par ses soeurs, son mari et les villageois, elle n'était pour tout le monde qu'une souillon sotte et désordonnée. Mais elle est toujours restée amicale et bonne. Vous avez presque envie de pleurer, quand Ignatitch arrive à sa conclusion :

"Nous vivions tous à côté d'elle, sans comprendre qu'elle était ce Juste du proverbe, ce Juste sans lequel ne subsiste aucun village. Ni aucune ville. Ni notre Terre entière."

Dans "L'Idiot", Dostoïevski fait dire à son prince Mychkine que "c'est la beauté qui sauvera le monde". Il se pourrait tout aussi bien que ce soit la bonté... ou que les deux écrivains parlent de la même chose.
5/5. Une nouvelle très courte, forte comme le tabac russe avec lequel on bourrait les papirosi Belomorkanal, fumées par les seuls ouvriers pauvres qui travaillent sur ces longs chemins de fer qui relient un nulle part à l'autre. La vraie Russie sans artifices.
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La maison de Matriona est une nouvelle bouleversante.
A l'été 1956, Ignatitch, le narrateur, vient de passer dix ans dans un camp de relégation ( goulag ). Il aspire à " pénétrer et se perdre dans les entrailles de la Russie". Il demande et obtient un poste de professeur de maths dans un bled perdu, sans charme, où l'on produit de la tourbe. Non loin de là, il trouve à se loger chez la vieille Matriona. Elle vit seule dans une isba misérable infestée de souris et de cafards. Elle ne perçoit pas de pension de retraite et ne réclame rien. Elle semble vivre en dehors du monde et n'avoir rien à dire. Pourtant, Ignatitch se sent bien auprès d'elle et de son beau sourire. Il lui raconte ce qu'il a vécu. Matriona se révèle alors à lui, à nous...
La nouvelle est en partie autobiographique. Elle a été écrite en 1959 et publiée en 1963 suite au triomphe d'Une journée d'Ivan Denissovitch .C'est un témoignage vivant et précis sur la Russie rurale très pauvre des années cinquante mais ce n'est pas un livre politique ni un roman à thèse. Ce qui touche c'est la profonde humanité du texte. La bonté naïve de Matriona, sa générosité lumineuse et les autres tout autour qui abusent d'elle parce que c'est comme ça, que le bois est rare etc. On ne sort pas indemne de la nouvelle, on n'oublie pas Matriona.

Intitulée Chez Matriona sur le blog de Michel Tessier, traduite par ses soins en 2019.
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Un recueil de nouvelles pour découvrir l'écriture d'Alexandre Soljenitsyne, pour entrer dans son style ...
A lire en débutant la préface des traducteurs qui expliquent, qu'il est parfois difficile de rendre, à la traduction, les subtilités de la langue russe, et par là, on comprendra l'originalité de certaines tournures qui laissent parfois bien dubitatif devant certains passages.



Trois nouvelles, plutôt différentes dans leurs thèmes, constituent ce livre. Différentes dans leur sujet mais pour autant, assez semblables dans leur dénonciation : celle de l'absurdité d'un système où sévit la corruption et où le "pur" est littéralement broyé par plus roué que lui, celle de la convoitise humaine , omniprésente , dans une société, il est vrai, où chacun manque de l'indispensable.

La première "raconte" un pays russe rural où la pauvreté est la réalité quotidienne, auprès d'une femme qui vit de peu. Des caractères trempés, des profiteurs, un regard sur les paysages, les animaux, et les liens sociaux.
Un récit bien mélancolique et bien coloré à l'image de l'âme russe !

La seconde où règne l'absurdité des règlements et de l'obéissance au détriment d'une certaine humanité qui, grâce à la présence de certaines âmes non corrompues, essaye tant bien que mal de se frayer un passage, sur ces quais, dans cette gare, au milieu de tous ces convoyés, alors que la guerre emporte impitoyablement les vies à quelques kilomètres.

la troisième est le récit de la corruption, de celle qui fait oublier qu'une société est constituée d'hommes et de femmes, avant d'être un théâtre d'avancement social, et que l'entraide, le respect et la promesse tenue devraient valoir beaucoup plus que l'opportunité pour un seul de se mettre en avant...



Toujours des personnages marquants, pour moi, bien sûr, Matriona, mais aussi le vieux cheminot Kordoubaïlo et Lidia Guéorguievna, un style assez vif, une façon de dire les choses qui parfois surprend mais surtout une écriture qu'on ne lâche pas avant d'avoir tourné la dernière page et d'avoir à quitter tous les personnages dont on a fait connaissance. Ils sont nombreux et cela peut dérouter mais c'est comme s'ils revenaient ensuite au fil des lignes pour nous raconter, chacun, leur propre histoire, en filigrane.



Une belle découverte qui donne envie de sauter le pas et de tenter une lecture plus longue.
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Trois nouvelles, résolument très différentes dans leur style, mais pour lesquelles les conclusions nous laissent un sentiment commun nous faisant nous exclamer – « quel dommage que l'être humain soit si aveugle, manque de tant de compréhension et préfère être mesquin, égoïste et injuste ! »

La nouvelle la plus émouvante reste celle qui donne son nom à ce recueil. Écrit avec une tendresse bouleversante, c'est un magnifique hommage à une femme jugée insignifiante, raillée et méprisée par son entourage.
Ignatitch ne peut que se souvenir de la raison pour laquelle, sur cette voie ferroviaire, le train ralentit au kilomètre cent-quatre-vingt-quatre.
Après sa longue captivité et selon son désir, il avait trouvé, en ce village coincé dans les tourbières et privé jadis de sa forêt, un coin tranquille de la Russie profonde. C'était chez Matriona, une femme seule approchant la soixantaine, qu'il avait élu pension dans cette isba sombre et vétuste. Outre Matriona, l'isba était habitée par des souris qui échappaient au chat bancal en se faufilant entre les murs et leur papier peint ondulé qui se décollait. le soir venu, les cafards s'octroyaient la cuisine. Mais Ignatitch s'y plaisait, appréciant la grande simplicité de sa logeuse, son sourire illuminant son visage tout rond, la bonne humeur qui irradiait de son allant à s'affairer dans ses tâches quotidiennes.
Alexandre Soljenitsyne livre ici un portrait extrêmement touchant de cette paysanne vivant de rien, toujours prête à rendre service mais jamais reconnue pour sa bonté et sa simplicité. L'absence de coeur, le mépris et l'instinct égoïste de propriété seront les uniques retours qu'elle aura en compensation de son aide.

La seconde nouvelle nous mène en temps de guerre, au beau milieu de la gare de passage de Krétchétovka où transitent des convois de soldats, de marchandises, de chevaux, de farine prise d'assaut par les hommes affamés.
Le jeune soldat Zotov, adjoint au commissaire de gare est honteux du poste qui lui a été assigné ici, loin du front. Très tatillon, il se démène avec la paperasse et les multiples constats à rédiger en plusieurs exemplaires. Lorsqu'un train de soldats privés de nourriture depuis des jours arrive, c'est l'occasion de constater l'aberration de la rigidité administrative des centres d'approvisionnement. Plutôt qu'enfreindre les horaires fixés par un règlement qui fait fi des aléas liés aux déplacements des soldats, on les laisse mourir de faim sans perturber sa propre petite vie.
L'auteur montre que la guerre, même sur un quai de gare, déploie son lot d'hommes qui, scrupuleusement et cachés derrière les règlements, mettent de côté toute humanité.

Enfin, dans un collège technique, Soljenitsyne fait un petit tour au coeur de l'injustice, lorsque la notoriété d'une ville passe bien avant toute considération pour le travail. de jeunes élèves, motivés et impliqués dans des travaux d'agrandissement de leurs lieux de vies, se heurteront de plein fouet à l'affrontement inégal de la justice et de l'injustice.

Dans une réalité qu'il réussit remarquablement à implanter avec des dialogues et des descriptifs très vivants, l'auteur n'hésite pas à combiner critique de l'humain et dénonciation de certaines rigidités gouvernementales.
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Un jeune professeur, enthousiasmé par le communisme, décide de demander son transfert dans un petit village isolé de campagne. La seule personne disponible pour l'héberger est Matriona : la maisonnette est délabrée, la nourriture peu variée (pommes de terre entières ou en soupe). Bien qu'ayant travaillé toute sa vie, Matriona ne reçoit pas la moindre aide, depuis qu'elle a été écartée du kholkoze. Ce qui ne l'empêche pas de donner un coup de main gratuitement aux voisins, malgré leur mépris, malgré sa maladie qui la cloue régulièrement au lit, faute de soin.

Dans « l'inconnu de Krétchétovka », Zotov, un jeune lieutenant gère comme il peut une gare en pleine pagaille, malgré ses demandes réitérées pour partir sur le front. Il doit faire face à toutes les absurdités des règlements : des soldats affamés depuis une semaine, car les rations se distribuent avant 18h, et leurs trains n'arrivent qu'après cette heure ; des wagons remplis de poches de sang pour les blessés restent immobilisés faute de locomotives disponibles. Quand un inconnu se présente en déclarant avoir perdu ses papiers, Zotov l'accueille avec sympathie. Mais petit à petit, le doute s'installe : et s'il aidait un espion dans sa tâche ?

« Pour le bien de la cause » : c'est l'excuse que l'on sort à une poignée d'étudiants. Entassés dans des locaux étroits depuis des mois, ils ont pris sur leur temps de vacances pour construire eux-mêmes le nouveau bâtiment qui devait les accueillir. Mais une fois celui-ci terminé, il est brusquement réalloué à un autre organisme, plus prestigieux. Mais un bon étudiant communiste a-t-il le droit de crier à l'injustice contre le comité ?

Ces trois nouvelles brillantes nous plongent au coeur de la Russie, tiraillée entre l'espoir qu'a apporté le communisme et les contradictions qu'il crée sur le terrain : exclusion, méfiance généralisée, injustices. Et pourtant, ce qui se dégage des textes de Soljenitsyne est tout le contraire : la compassion, la solidarité coûte que coûte, même contre le système censé l'instaurer, et une joie de vivre qui ne peut pas laisser indifférent.
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
On ne pouvait cependant pas dire que Matriona, comme croyante, fût très fervente. Elle était plutôt païenne, même, ce qui prenait le dessus, chez elle, c’étaient les superstitions : le jour de Saint-Jean-du-jeûne, pas question d’aller au potager – autrement, point de récolte l’année suivante ; quand la neige tourbillonne, c’est que, quelque part, quelqu’un s’est pendu ; se pincer le pied dans la porte annonçait une visite. Tout le temps que j’ai vécu chez elle, je ne l’ai jamais vu prier, pas une seule fois je ne l’ai vu faire le signe de croix; mais elle commençait chaque besogne par un "Que Dieu nous aide !" et me disait la même chose toutes les fois que j’allais à l’école. Peut-être bien qu’elle priait, mais sans le montrer, gênée par ma présence ou craignant de me gêner. Il y avait dans l’izba le coin aux icônes, plus Saint Nicolas dans la cuisine. Les icônes restaient dans le noir pendant la semaine, mais en temps de vigile et dès le matin les jours de fête, Matriona allumait leur veilleuse.
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Il regardait indifférent, sans les secouer, les braises pâlir sur ses pantalons ouatinés, sombres et trempés et lorsqu'elles furent complètement éteintes, il releva légèrement sa tête grise ébouriffée coiffée de sa casquette :
- ça vous est-il pas arrivé par hasard de manger de la farine pas cuite, délayée dans l'eau, mes petites ?
- Pas cuite et pourquoi ? interrogea Frossia ébahie. Moi, je la délaie, je la touille et je la mets au four.
Le vieux cheminot fit claquer ses lèvres épaisses et blêmes et répondit au bout d'un instant, tous les mots lui sortaient de la bouche au bout d'un instant comme s'il leur fallait arriver longuement en béquilles de là où ils étaient nés :
- Alors, mes mignonnes, ça veut dire que vous n'avez jamais connu la faim.
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Six mois ! Six mois s'étaient écoulés depuis l'instant où quelqu'un avait dit « Ma petite Lilia ! Je te prends en photo ! » et avait appuyé sur l'obturateur, et depuis par dizaines de milliers des gueules de canon avaient grondé, par millions des fontaines de terre noire avaient jailli, par millions des hommes avaient été entraînés dans une sorte de carrousel infernal. Qui venu à pied de Lithuanie, qui venu en train d'Irkoutsk. Et à présent, dans cette gare, où la bise glaciale poussait une pluie mêlée de neige, où des convois entiers restaient en souffrance, où des gens s'agglutinaient le jour, foule insensée, et dormaient pêle-mêle la nuit sur les planchers noirs, comment pouvait-on croire dans cette gare que ce charmant jardin, que cette fillette, que cette robe, existent encore sur terre !
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C'était les superstitions qui l'emportaient chez Matriona :

A Saint-Jean le Jeûneur, il ne faut entrer au jardin, il n'y aurait pas de récolte l'année qui suit.

Si le blizzard tourbillonne c'est que quelque part quelqu'un s'est pendu.

Si on se pince le pied dans la porte , il y aura une visite.
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Je mangeais avec soumission tout ce qu'on me préparait, et s'il me tombait sous la dent quelque corps étranger : cheveu, morceau de tourbe, patte de cafard, je le mettais de côté sans m'impatienter. Je n'avais pas le cœur à faire des reproches à Matriona. Après tout, elle m'avait prévenu : « Quand c'est qu'on sait pas, qu'on cuisine pas, comment voulez-vous faire l'affaire ? »
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Vidéo de Alexandre Soljenitsyne
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Ces chrétiens qui ont changé le monde Bernard Lecomte Éditions Tallandier
Présentation de douze figures chrétiennes de confession catholique, protestante ou orthodoxe qui ont marqué la société contemporaine : mère Teresa, Alexandre Soljenitsyne, Martin Luther King, Charles de Gaulle, Léon XIII, Anne-Marie Javouhey, Ercole Consalvi, Jean-Marie Vianney, Edmond Michelet, Marie Noël, Jacques Maritain et Roger Etchegaray. ©Electre
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