Ce livre retranscrit un discours iconoclaste prononcé par le prix Nobel de littérature lors de la remise des diplômes de l'université de Harvard en 1978. Là où les oreilles de l'Occident attendaient qu'il fustige une nouvelle fois l'Orient communiste responsable de sa déportation au goulag et de son exil, Soljenitsyne choisit à l'improviste de changer de cible, pour renvoyer dos à dos les deux systèmes. Il le fait au nom d'une recherche spirituelle où transparaît sa foi chrétienne, heurtée par le matérialisme propre aux deux modes de vie : la dictature communiste et la démocratie moderne, sclérosée selon lui par la promotion de l'individualisme via une législation abrutissante.
Selon Soljenitsyne, l'homme occidental typique est un lâche qui refuse d'hypothéquer son bien-être, et se laisse ainsi anesthésier, incapable de trouver la volonté pour mener à bien de grands projets, de grandes oeuvres : le nivellement par le bas au nom du bonheur de tous. Même à l'époque, ce constat n'était pas nouveau, Alexis de Tocqueville en observait déjà les prémices dans de la Démocratie en Amérique : « Je vois une foule d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres ». Je soupçonne d'ailleurs Soljenitsyne d'avoir puisé dans cette source pour alimenter sa réflexion.
Depuis, à partir de la déliquescente satiété dénoncée par Soljenitsyne, les idoles de la démocratie se sont affermies et ont pris de nouveaux noms : « politiquement correct », « inclusivité », « bienveillance »… autant de signes totémiques engendrant des tabous, participant de cette société aseptisée et superficielle, d'où disparaît tout échange d'idées en profondeur dans la simple crainte de froisser autrui et/ou de gâcher son droit à jouir de l'opulence occidentale. Nous bâtissons ainsi notre mal, que Philippe Muray appelait le Bien.
1978, Alexandre Soljénitsyne s'adresse à une promotion universitaire de Harvard. Alors que les Américains s'attendent à ce qu'il embrasse le “monde libre”, il développe contre toute attente dans son discours une critique virulente de l'individualisme occidental et regrette la chute spirituelle de notre civilisation ainsi que sa décadence.
Il n'oublie pas de s'attaquer au régime soviétique et dénonce, à l'Est, la dictature du Parti unique basé sur le mensonge. Il déplore cependant ensuite le fait que nos sociétés occidentales gomment toute notion de vie intérieure pour la remplacer par une vision "consumeriste".
Corrélativement, il dénonce le rôle des médias, outil de mise en oeuvre du conditionnement des esprits en vue de l'imposition d'une pensée unique, ainsi que celui d'une société générant des principes de droit faisant fi du Bien commun pour asseoir des règles sur la base de l'intérêt de quelques-uns.
Soljénitsyne dénonce les deux blocs de l'époque par ces mots : « vous savez, sans le souffle de Dieu, sans conscience morale, l'un et l'autre des deux régimes qui se font face sont hostiles à l'homme. » Refusant de prendre partie, il montre que si à l'Est, la société soviétique est un « Etat sans lois », l'Occident déchristianisé est quant à lui menacé par un « juridisme sans âme » où le droit régit tous les aspects de nos vies, où la revendication et la défense des droits de l'individu sont poussées jusqu'à l'excès.
Malgré tout, le discours de Soljénitsyne est empli d'espoir, par un ton bienveillant il affirme qu'un sursaut moral et spirituel est toujours possible : l'homme doit se redresser et se réveiller car l'espoir est indispensable au courage.
Quel discours magnifique mettant l'Homme au centre du débat et non l'individu. Et ce propos me semble aujourd'hui d'une actualité criante. le communisme est mort mais le "progressisme" libéral reste vivant et chante les louanges de l'Individu favorisant ainsi la conquête de nos sociétés occidentales par une idéologie politico-religieuse conquérante.
Personnellement, je m'interroge si Alexandre Soljénitsyne hier loué pour sa dissidence ne serait pas aujourd'hui voué aux gémonies pour ce discours du fait de la vision conservatrice de son discours. Pourtant je pense que le courage qu'il prône et dont il faut faire preuve dans le monde déshumanisé que nous connaissons aujourd'hui est plus que jamais indispensable. Ce qui n'est pas sans me rappeler les propos d'Ernst Jünger qui affirmait que "le courage est le vent qui nous porte vers les rivages les plus lointains ; c'est la clef de tous les trésors, le marteau qui forge les vastes empires, le bouclier sans lequel aucune civilisation ne saurait durer ». Mais aujourd'hui, cet auteur serait aujourd'hui décrié sur la base d'une partie son parcours philosophique et politique.
Mais peut importe il faut des penseurs courageux pour redonner à l'homme l'importance qu'il n'aurait jamais dû perdre.
Ce discours d'Alexandre Soljenitsyne prononcé à Harvard en 1978 reste d'actualité. Nous, pays occidentaux, ne sommes pas épargnés pour notre démocratie que nous tentons d'imposer au reste du monde comme le gouvernement le plus sûr. C'est louable de vouloir faire cesser les dictatures mais les peuples qui ne se sont pas soulevés par eux-mêmes ne peuvent/savent pas gouverner dans un pays libre. Cet aspect rejoint ma lecture précédente du Messie du Darfour avec la liberté des esclaves. Je pense qu'il faut un accompagnement jusqu'à le pays/l'esclave puisse voler de ses propres ailes. Ce n'est pas une tare de demander de l'aide c'est au contraire une preuve d'intelligence.
J'ai également beaucoup aimé le passage sur la presse qui est remplie de fausses informations pour faire du sensationnel à gogo. La liberté d'expression est importante mais on ne peut pas écrire/dire n'importe quoi quand on touche un grand lectorat. Il faudrait également que ce soit plus cadré dans la vérification de l'information.
Alexandre Soljenitsyne déplore le communisme, il a été envoyé lui-même au Goulag. Il cherche dans son discours à trouver un gouvernement équilibré.
Intéressant ce regard sans concession du grand écrivain russe Soljenitsyne sur notre civilisation occidentale. Pas d'angélisme dans son analyse de notre société matérialiste orientée vers la recherche de la facilité, de la tranquillité… Un discours prononcé en 1978, qui reste très actuel, et ne manque pas de faire penser aux idées exposées par Aldous Huxley dans "le meilleur des mondes".
Et le questionnement demeure : "Les activités humaines et sociales peuvent-elles légitimement être réglées par la seule expansion matérielle ?"
Ce qui est décrit comme le déclin du courage dans la classe des
dirigeants pourrait s'apparenter au souci de popularité et de
communication dans un souci court-termiste de réélection et de pensée
conforme. C'est également le souci du bien-être matériel et du confort,
satisfaisant les besoins des hommes jusqu'à leur ôter toute volonté de
se remettre en question, estimant que le rapport gain / risque de tout
perdre serait trop défavorable. Pourtant, depuis 1978, sont apparus des
mouvements "décroissants" refusant toute prospérité économique qui se
ferait au détriment de l'environnement. Il est étonnant de voir l'auteur
fustiger la presse et son impuissance alors que l'affaire du Watergate
peu de temps auparavant a prouvé le contraire. Il est intéressant de
voir combien Poutine, le dirigeant russe, semble s'être inspiré des
écrits de l'auteur dans le paragraphe traitant de la liberté et de
l'homme politique sortant de l'ordinaire qui serait entravé dans ses
actes "grandioses" par un contrôle démocratique excessif. le taux
comparé de criminalité entre l'Ouest et l'Est, en faveur de ce dernier
camp, n'est pas fiable. En effet, comment peut-on imaginer des
statistiques fiables dans une dictature ? Enfin, à quoi peut ressembler
une atteinte aux biens quand l'économie est caractérisée par une pénurie
globale de biens individuels ? L'auteur ne se détermine pas vraiment
entre son pays socialiste caractérisé par un épanouissement spirituel et
l'Occident de l'épanouissement matériel. C'est mettre de côté un peu
vite les grands esprits occidentaux de cette époque (Aron, Sartre).
L'adversité du socialisme, propre à forger les caractères selon
l'auteur, n'a rien à envier à l'adversité du capitalisme de l'Occident.
Enfin, quel pied de nez de l'Histoire quand l'auteur annonce que le mode
de vie occidental a de moins en moins de chance de devenir le mode de
vie dominant, 12 ans avant la chute du mur et le triomphe du capitalisme
au niveau mondial (hormis quelques exceptions telles Cuba et la Corée du
Nord) faisant dire à certains qu'il s'agit même de "la fin de l'histoire".
Une mise en garde intéressante et peut-être visionnaire est celle
concernant le rôle majeur de la Chine dans les années à venir pouvant
mettre à mal voire assujettir l'hégémonique Amérique. le tournant de
l'Histoire qui est envisagé par l'auteur à la fin du discours n'est
peut-être pas celui auquel il s'attendait, soit le chute du mur et la
dissolution du bloc communiste, mais celui à venir et probablement plus
douloureux et pour lequel nos dirigeants manquent de courage, à savoir
celui de la transition énergétique et de la gestion de la pénurie à
venir dans un monde à la démographie galopante.
(...) Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d'oppression, l'âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd'hui par les habitudes d'une société massifiée, forgées par l'invasion révoltante de publicités commerciales, par l'abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable.
Tout cela est sensible pour de nombreux observateurs partout sur la planète. Le mode de vie occidental apparaît de moins en moins comme le modèle directeur. Il est des symptômes révélateurs par lesquels l'histoire lance des avertissements à une société menacée ou en péril. De tels avertissements sont, en l'occurrence, le déclin des arts, ou le manque de grands hommes d'Etat. Et il arrive parfois que les signes soient particulièrement concrets et explicites. Le centre de votre démocratie et de votre culture est-il privé de courant pendant quelques heures, et voilà que soudainement des foules de citoyens Américains se livrent au pillage et au grabuge. C'est que le vernis doit être bien fin, et le système social bien instable et mal en point.
Discours de Harvard (extrait) - juin 1978
(...) Si l’homme, comme le déclare l’humanisme, n’était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n’en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d’acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l’accomplissement d’un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l’expérience d’une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés.
Discours de Harvard (extrait) - Juin 1978
Plus l’humanisme est devenu matérialiste dans son développement, plus il a donné prise à la spéculation de la part du socialisme puis du communisme. Si bien que Karl Marx a pu dire (1844) : « le communisme est un humanisme naturalisé. »
Et cette affirmation n’est pas dénuée de sens : dans les fondements de l’humanisme érodé comme dans ceux de tout socialisme il est possible de discerner des pierres communes : matérialisme sans bornes ; liberté par rapport à la religion et la responsabilité religieuse (menée, sous le communisme, jusqu’à la dictature antireligieuse) ; concentration sur la construction sociale et allure scientifique de la chose (les Lumières du XVIIe siècle et le marxisme). Ce n’est pas un hasard si tous les serments verbaux du communisme tournent autour de l’Homme avec un grand H et de son bonheur terrestre. Monstrueux rapprochement, n’est-il pas vrai, que la constatation de ces traits communs à la conception du monde et à l’existence de l’Occident d’aujourd’hui et à celle de l’Orient d’aujourd’hui ! Mais telle est bien la logique de développement du matérialisme.
Si l'homme, comme le déclare l'humanisme, n'était né que pour le bonheur, il ne serait pas non plus né pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n'en devient que plus spirituelle: non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d'acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l'accomplissement d'un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l'expérience d'une élévation avant tout spirituelle: quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n'y étions entrés. Inéluctablement, nous sommes amenés à revoir l'échelle des valeurs qui sont répandues parmi les hommes et à nous étonner de tout ce que celle-ci comporte aujourd'hui d'erroné. (p.62)
Partout on peut facilement et en toute liberté saper l'autorité de l'Administration, et dans tous les pays occidentaux les pouvoirs publics sont considérablement affaiblis. La défense des droits des individus est poussée jusqu'à un tel excès que la société se trouve désarmée devant certains de ses membres.
Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "