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sur 795 notes
Alexandre Soljenitsyne est une sorte de Zola russe du XXème siècle : sa volonté de documenter un système et une époque est tout à fait comparable à ce que faisait le père des Rougon-Macquart à propos du Second empire en France.

Ici, nous sommes en U.R.S.S. (Union des Républiques Socialistes Soviétiques — 4 mots, 4 mensonges disait Milan Kundera) en 1955. Basé sur sa propre expérience, l'auteur se propose de nous décrire un centre de cancérologie de l'époque, en croisant les regards tant des patients que des soignants.

Pour ce faire, il y a nécessairement un certain nombre de personnages — sans toutefois tomber dans l'excès, en ce sens, le récit est très bien mené — auxquels le lecteur s'identifie plus ou moins. Cependant, dans le choix des personnages principaux suivis, je trouve qu'il y a un petit hiatus.

En effet, si Soljenitsyne n'avait eu pour projet que de nous documenter le fonctionnement d'un établissement de santé provincial, il aurait pu rendre le récit beaucoup plus fort, beaucoup plus poignant, faire ressentir davantage ce que vivent les malades durant leur séjour et ce qu'éprouvent les médecins et infirmières qui s'occupent d'eux.

Mais, à beaucoup d'égard, c'est loin d'être le seul objectif de l'auteur : il souhaite également dénoncer politiquement un système. En somme, j'ai le sentiment que dans ce livre, il court deux lièvres à la fois et je le regrette un peu car, comme dit le proverbe « qui trop embrasse, mal étreint ».

Je m'explique. Dans un premier temps, nous suivons l'arrivée d'un patient au pavillon des cancéreux, dont l'auteur nous dit qu'il se situe dans une zone reculée d'Ouzbékisthan (dans la réalité, Soljenitsyne était au Kazaksthan, à deux pas de la Mongolie). Or, ce patient, Paul Nikolaïevitch Roussanov, alors que nous devrions nourrir une certaine empathie vis-à-vis de lui, est un fervent rouage du système répressif soviétique, un gars qui n'a pas hésité à balancer pas mal de monde, bref, un sale type, qui plus est privilégié du système, le genre de type auquel on a rarement envie d'allouer des kilos d'empathie.

Du point de vue du projet politique du roman, c'est utile, du point de vue psychologique et médical, c'est mal vu, car on se sent loin de ce patient, ce qui lui arrive, au fond de nous, on se dit : « bien fait pour lui ». Il y a un autre patient essentiel dans ce roman, mais on ne découvre que petit à petit qu'il est un personnage principal, si bien que, pour lui aussi, on rate un peu le coche de l'empathie, ça n'est que sur le tard qu'on s'attache un peu à ce personnage. Dommage, d'un point de vue du fonctionnement romanesque, dommage.

Ce personnage, Oleg Filemonovitch Kostoglotov, est un ex-détenu politique et désormais relégué dans cette province reculée. On comprend (mais, là encore, sur le tard) qu'il est le double de l'auteur. Vraiment dommage car ce roman recèle par ailleurs des tonnes de qualités ; j'aurais tellement préféré lire deux romans distincts, l'un centré sur l'expérience de la maladie et du centre médical, l'autre conçu comme une dénonciation politique. Je pense que l'un et l'autre auraient été plus forts respectivement que de façon combinée.

Car il a un talent fou ce Soljenitsyne, je n'ai pas peu de l'affirmer, c'est très bien écrit, ce sont des personnages qui sonnent juste, c'est un regard d'une remarquable acuité, mais je lui adresse un peu le même reproche que celui qu'on pourrait faire à un George Orwell dans son 1984, c'est-à-dire de trop vouloir faire passer ses idées politiques en oubliant qu'un roman est grand justement quand il laisse au lecteur toutes les possibilités interprétatives, quand il est un univers fictif en soi et non un moyen détourné de parler d'une réalité.

Quand on sent trop l'auteur derrière une narration, quand on sent trop qu'on veut nous dire quelque chose, et qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur cette chose, cela nuit forcément un peu à notre faculté d'immersion et d'identification aux personnages. Or, un roman, qu'on le veuille ou non, c'est d'abord et avant tout ça.

Il y a des réflexions pénétrantes dans ce roman. Je pense notamment au fait que le patient, le sujet, se retrouve ravalé au rang d'objet pour certains médecins. Je pense aussi au côté " honteux " de nommer la maladie ou ses conséquences, qui conduit à de fameux euphémismes ou carrément à une crasse hypocrisie.

La psychologie des patients est assez bien restituée et ça sent vraiment le vécu. Ce que l'auteur fait également très bien, concernant les soignants, c'est de nous les présenter un peu dans leur vie privée, lorsqu'ils quittent les habits blancs du pavillon des cancéreux : il développe admirablement leurs doutes et leurs compétences, leurs charges administratives, etc. C'est particulièrement intéressant, psychologiquement parlant.

Ce qui est parfaitement exécuté également, ce sont les échanges entre patients dans ces grands espaces communs où ils doivent cohabiter dans une certaine promiscuité. L'auteur nous fait bien sentir la lourdeur administrative et les restrictions de liberté à tous les échelons.

Personnellement, ce que je trouve particulièrement intéressant, c'est justement ce que l'on comprend en filigrane et que l'auteur n'a pas forcément voulu mettre en avant mais qui, avec un regard rétrospectif peut s'avérer édifiant.

En effet, voici un service assez pointu de cancérologie, nous sommes en 1955 et la cheffe de service est une femme, Lioudmila Afanassievna Dontsova. On nous dit qu'elle est particulièrement compétente. Sa seconde est également une femme, Vera Kornilievna Gangart, dont Kostoglotov est secrètement amoureux. L'infirmière, Zoé, la femme de chambre, bref, à peu près tout le service repose uniquement sur des femmes, à l'exception du chirurgien qui est un homme.

Je trouve ça particulièrement édifiant, car, si l'on compare la situation de 1955, dans des pays soi-disant très ouverts comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France, je doute que la proportion de femmes dans un tel service eût été aussi importante et leur grade aussi haut perché. Alors si l'on tempère cette modernité de la condition de la femme en U.R.S.S. par le déficit masculin dû aux pertes énormes de la seconde guerre mondiale, on trouve tout de même une situation intéressante et qui est rarement commentée de ce côté-ci de l'ancien rideau de fer.

En somme, un très bon livre d'après moi, avec juste ce petit regret que l'auteur ait autant cherché à nous fourrer de force son message politique dans le crâne. Mais, vous autres, que vous soyez malades ou bien portants — d'ailleurs tout bien portant n'est-il pas un malade qui s'ignore comme nous l'enseigne Knock ? —, gardez à l'esprit que ceci n'est que mon avis, partial, malade et défectueux par nature comme par conjoncture, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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J'ai trouvé ce livre brillant et fort, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire, et pourtant me voilà très embêtée pour en faire la critique. Parce qu'il y a du génie là-dedans, mais que je ne sais pas bien dire où et quoi...

Le principal n'est pas l'histoire, puisqu'il n'y en a pas vraiment. Juste une multitude de gens -malades ou soignants- confrontés au tragique de la vie à l'Hopital de Tachkent dans les Années 50. Ils se croisent, se rencontrent, pensent, parlent, lisent, aiment, font des rayons, des opérations et des transfusions, vivent et/ou meurent.

Parmi eux, Roussanov, le contrôleur-délateur qui se dresse sur ses ergots communistes à tout bout de champ, et surtout quand ça l'arrange. Chez lui, tout est petit, sauf la tumeur qu'il a dans le cou. Nettement plus attachant : Kostoglotov, ancien détenu des camps, assigné à résidence, bouillonnant, paradoxal et profondément vivant. Son errance et ses hésitations à la fin ont résonné très fort en moi. Et tant d'autres, de l'universitaire devenue fille de salle, à la cancérologue qui néglige ses propres symptômes, en passant par ces adolescents qui doivent apprendre la vie avec un morceau de corps en moins...

Cette galerie de portraits toujours juste flirte tantôt avec l'émotion, tantôt avec l'ironie. Elle nous renvoie à notre condition humaine : la petitesse (souvent), la dignité (parfois), les souffrances, l'impuissance, les difficultés... et ces instants de pur bonheur qui rachètent tout. Elle va bien au-delà d'un livre sur le cancer ou sur la terrible vie en URSS, et constitue une oeuvre de portée universelle.

Merci donc à Gwen/Challenge Nobel pour cette magnifique découverte... et merci à Limonov d'avoir tant détesté Soljenitsyne (cf Limonov d'Emmanuel Carrere) qu'il m'a donné envie de le lire !
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Après le monde carcéral soviétique (les goulags), voici le système de santé : le pavillon des cancéreux. Paul Roussanov, un fonctionnaire soviétique à Tachkent, une région excentrée, doit être hospitalisé. Eh oui, même les cadres et membres du parti communiste peuvent être victimes de la maladie : le cancer n'épargne personne ! Dans ses premiers jours à l'hôpital, Roussanov regarde de haut les autres patients, des bergers, des ex-prisonniers, la plupart provenant des environs, des ethnies de l'Asie centrale. Aussi, il se montre hautain avec le personnel médical qui est fort occupé. Très rapidement, il se rend compte qu'il n'est qu'un autre numéro parmi tant d'autres malades. Tous sont égaux devant la maladie. Quel choc ! C'est un roman rempli d'ironie.

Dans les pages et les chapitres suivants, le lecteur découvre les compagnons de malchance de Roussanov : le « bandit » Kostoglotov, le vieil ouzbekh Moursalimov, le berger kazakh Eguenbourdiev ainsi que le jeune Diomka, à peine seize ans, et tant d'autres. Chacun souffre à sa façon, essaie de (sur)vivre avec la maladie et de se changer les idées. Pour y arriver, l'un refuse de croire à l'inévitable, un autre cherche le confort dans la vodka ou bien dans la visite tant attendue qui n'arrive jamais. Parfois, la narration s'attarde longuement sur certains d'entre eux. C'est alors que je me rappelle que l'auteur est Alexandre Soljenitsyne. Pour bien présenter son univers, comme il l'a fait avec les goulags et la charachka, il ne peut rester concentré trop longtemps sur les mêmes personnages.

Le grand auteur russe décrit avec réalisme la vie dans un hôpital, les conditions avec lesquelles doivent vivre les patients souffrants de cancer, etc. Certains guérissent et sont renvoyés chez eux, d'autres… eh bien… se font amputer des morceaux ou quittent les pieds davant. Désolant, c'est alors qu'on se rend compte que le corps humain est une chose bien fragile… Il ne faut pas oublier l'équipe médicale, qui fait partie intégrante de cet univers. Médecins et infirmières travaillent de longues heures et ont leurs propres problèmes personnels, expliquant pourquoi certains sont un peu rudes avec les patients. Aussi, tout comme les dirigeants du parti, ces derniers peuvent également se transformer du jour au lendemain en patient, même s'ils refusent de l'admettre.

En lisant le pavillon des cancéreux, il faut s'attendre à une longue histoire (plusieurs, plusieurs centaines de pages). Personnellement, j'éprouve un peu de difficulté à rester concentré surt un pavé quand la narration saute d'un personnage à un autre, sans intrigue principale. Mais bon, je m'y suis attelé. Il faut dire que la maladie, les séjours dans les hôpitaux, la plupart d'entre nous savons un peu c'est quoi – malheureusement – même si nous souhaitons ne jamais avoir à subir cela. Soljenitsyne a réussi à critiquer les revers du système médical soviétique mais également et surtout à raconter des portraits poignants. Et c'est ça qui me l'a fait apprécier. Peut-être lire à petites doses ? Parce qu'il faut bien le lire, du moins, je le recommande. Malgré le propos (et la longueur), c'est une lecture agréable, drôle, émouvante, pas aussi sombre qu'on pourrait l'imaginer.
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Que dire sur ce livre qui n'ait déjà été dit ? Qu'ajouter aux critiques et aux commentaires déjà écrits ? Et pourtant, j'ai envie d'en parler tant ce livre reste présent dans mon esprit, la dernière page tournée.
Il y a des livres qu'on ouvre pour "imaginer", d'autres pour "voyager", d'autres pour "apprendre" - découvrir une autre Culture, un autre pays, un période de l'histoire du monde.
Certains sont légers, véritables nuages de l'esprit qui s'envole en les parcourant, au contraire de ceux qui maintiennent l'esprit sous emprise, qui empoisonnent les pensées, empêchant presque de respirer, on ne peut s'en éloigner : ce récit est de ceux-là !

Alexandre Soljenitsyne que je connaissais pour avoir lu des recueils de nouvelles - La Maison de Matriona ou Zacharie L'escarcelle, sait en impressionniste qu'il est, faire surgir en trois coups de crayons, trois phrases des personnages habités d'autant de réalité que possible. En deux pages, la nouvelle - genre où il excelle, fait naître un être dont le souvenir va vous accompagner bien après la lecture.

Et bien, là, c'est le même talent mais de façon démultipliée. En montant les marches du pavillon 13, celui des cancéreux, vous allez rencontrer une multitude de personnages, tous différents, comme autant de facettes de la Russie, comme autant de regards sur la société russe et l'Histoire de ce multiple pays.
Si les pages qui se déroulent dans ces chambres, dans ce lieu de soin, sont parfois terribles à lire, les pages qui constituent la dernière partie du récit le seront bien davantage, quittant cette "unité de lieu" qu'est l'hôpital, elles réunissent et ordonnent les destinées de tous les protagonistes, pour évoquer les caractères qui composent la société russe, pour évoquer les différences de pensées qui ont écrit l'histoire de pays et suggérer ce que sera l'avenir individuel et collectif.

De leur séjour au Pavillon, vous partagez les journées qu'il faut remplir des obligations et meubler des moments de solitude inéluctables. Les décisions à prendre varient en fonction du temps qui passe, en fonction du regard qui change sur la maladie, en fonction de l'espace qui s'amenuise vers l'inéluctable : le traitement refusé hier, s'avère le seul acceptable aujourd'hui et sera obsolète demain...

Des liens se tissent entre les malades, des rancoeurs s'édifient, construites du passé de chacun. Si certains se reconnaissent dans la même misère partagée, les mêmes geôles traversées, ils n'échangeront au mieux que quelques mots, quelques souvenirs pudiques mais ne créeront aucun lien car sur l'inhumanité du passé, aucun élan d'amitié ne peut fleurir. Si certains reconnaissent en l'autre, celui qui les a dénoncés, celui qui a "profité", celui qui a continué à vivre pendant qu'on les enfermait, qu'on les déportait, qu'on leur imposait la relégation, aucune haine ne survit cependant sur l'avilissement que celui-ci a fait subir à ceux-là.
Comme le dit un personnage : "L'homme est tyran, traître ou reclus" et les journées qui passent distribuent tous les malades et personnels du service croisés au sein des trois catégories.

L'un des personnage m'a émue aux larmes - petit à petit inconsciemment, je lui ai donné la stature et les traits de Varlam Chalamov. Cet homme relégué, qui s'est traîné jusqu'à l'hôpital au plus mal, alors qu'il n'en espère finalement aucun salut, cet homme brisé qui garde son calme et reste digne devant la calomnie et les idées qui l'ont anéanti, il est celui qui n'a plus sa place dans cette vie, où le cours de l'Histoire ne s'est pas arrêté pendant les années de camp, de sorte que la vie qu'il entrevoit, il la refuse, n'aspirant finalement qu'à pouvoir retrouver le lieu isolé de sa relégation, son jardin et ceux dont il a partagé les ténèbres. Si l'amnistie arrive un jour, alors pourra-t-il espérer aller à Leningrad caresser les colonnes de Saint Isaac, les édifices n'ont jamais pris parti contre l'Homme et il n'en craint donc rien de mauvais.

Quand Alexandre Soljenitsyne évoque les animaux - et il le fait souvent, c'est pour mieux faire entrevoir dans leur regard, la part d'humanité qui a déserté l'homme : c'est Jouk le chien réconfortant ou la macaque placide du zoo qui renvoient, par les sévices subis l'homme à sa lâcheté et éteignent l'espoir d'une autre vie possible.

De celui qui ne peut vivre sans oublier les automatismes de survie en camp à celle qui attend son mari détenu et qui implore " Ne l'avez-vous donc pas connu, là-bas ,", de ce jeune homme pauvre qui ne rêve que de s'instruire et qu'on va amputer à ceux qui, malgré les promesses balbutiantes d'une thérapie nouvelles des rayons, vivent la fin d'une existence, de ces anonymes qui continuent à rejeter celui qui a été arrêté sans raisons à ces deux femmes qui essayent de le faire à nouveau exister, il reste les visages ancrés dans mes pensées et je ne peux les quitter. Même les plus antipathiques d'entre eux gardent, grâce aux prouesses et au talent de l'écriture une réalité qui ne s'efface pas. le récit ne m'a jamais paru long, ni ennuyeux : oserais-je dire que j'aurais aimé qu'il se poursuive encore ?

Parfois, comme un clin d'oeil, on pose au lecteur la question de savoir quel personnage de récit, il aurait aimé rencontrer, je sais aujourd'hui que ce serait Oleg Filemonovith Kostoglotov ! Merci à "l'ami" qui me l'a fait rencontrer et m'a peut-être ainsi donné les clefs pour reprendre la lecture des "Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov.


Et merci à ceux qui auront eu la patience de lire cet avis bien long !


(Avril 2021)

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Riche et belle lecture que ce roman à la fois fresque sociale des années 50 soviétiques et incursion auprès de malades du cancer. Dans ce qui n'était pas encore (ou plus) l'Ouzbékistan, un hôpital accueille des personnes atteintes du cancer venus d'un peu partout en URSS. le roman donne tour-à-tour la parole à Oleg, ancien prisonnier du goulag et à Roussanov, haut fonctionnaire pro-stalinien, ainsi qu'à d'autres personnages, géologues, médecins et infirmières, à la fois confrontés à la mort et aux débuts de la déstalinisation. L'une des forces de ce roman est cette introspection dans les pensées des protagonistes, opposées ou complémentaires, qui nous donnent un vaste aperçu de ce que pouvait représenter le parti communiste sous Staline pour les soviétiques. Au passage, Alexandre Soljenitsyne évoque pour la première fois sans doute dans un roman les dénonciations souvent arbitraires et intéressées entre voisins et la vie au goulag dans les années 40 - 50. L'auteur part bien sûr de sa double expérience de déporté et de cancéreux, à travers le personnage d'Oleg Kostoglotov.

Au début assez peu rassurée et par la taille de ce pavé et par le thème peu joyeux, j'ai en fait été happée par ce récit. Kostoglotov, en personnage meurtri et pourtant toujours plein d'espoir et de révolte, est vraiment attachant, et ceci jusqu'à la fin. Mais les autres personnages, Roussanov notamment, qui est l'exact opposé de Kostoglotov, est captivant aussi par sa vision conformiste à l'extrême du Parti.
Petit-à-petit, on s'installe dans ce pavillon bien vivant contrairement à ce qu'on pourrait imaginer car on y résiste avec passion et derniers sursauts d'espoir à la maladie.
Encore une très belle et riche découverte d'un Prix Nobel!
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L'histoire se déroule en Ouzbékistan quelques mois après la mort de Staline. Paul Nikolaievitch Roussanov intègre le pavillon des cancéreux pour une tumeur au cou. Fonctionnaire modèle, il est presque outré qu'une tumeur ose s'attaquer à un cadre du parti. le manque d'empressement des médecins à son chevet le scandalise, puis l'angoisse quand il se rend compte que cette fois-ci, ses nombreuses relations ne pourront l'aider en rien. Les bouleversements dans la société ne le calment en rien : les anciens camarades qu'il a courageusement, et anonymement, dénoncés risquent d'être réhabilités. L'anniversaire de la mort de Staline est célébrée de manière extrêmement discrète, à la stupeur de certains malades pour qui il représentait toute leur vie.

À côté de Roussanov se trouve Oleg Kostoglotov. Son parcours est diamétralement opposé : il a passé plusieurs années dans les goulags, et en est sorti uniquement pour se faire soigner. Il tente alors de reprendre un peu de contrôle sur sa vie en contestant les choix des médecins et en essayant de peser sur leurs décisions : il se documente lui-même sur le cancer pour tenter de connaître précisément son état, il tente de convaincre les médecins de le laisser partir pour qu'il profite des derniers mois qu'il lui reste à vivre, il s'oppose aux injections d'hormones qui le rendront impuissant.

Autour de ces deux personnages gravitent plusieurs autres personnalités intéressantes : Ephrem Poddouïev qui a vécu en égoïste et qui s'interroge sur le sens de la vie quelques jours avant de mourir; Vadim, persuadé d'avoir la mission de faire une découverte scientifique importante, et qui craint de mourir avant de la mener à bien; Chouloubine, qui a renié tous ses principes et toutes ses convictions pour se protéger, mais qui en souffre terriblement; Chaly, qui parle fort, boit de la vodka, et joue au poker, pour se convaincre lui-même que ce qu'il a n'est pas grave; Lioudmila Afanassievna Dontsova, médecin qui se spécialise depuis des années dans le cancer avant de s'apercevoir qu'elle en ressent les premiers symptômes; Vera Kornilievna Gangart, infirmière écarsée par la solitude, qui préfère se faire passer pour mariée par peur d'affronter les regards des autres.

L'intérêt de l'histoire se situe à deux niveaux : humain tout d'abord, en découvrant tous ces hommes devenus égaux par la maladie, partageant les mêmes craintes et les mêmes espoirs fous (commme cette course au champignon de bouleau qui aurait le pouvoir miraculeux de guérir le cancer), et qui s'interroge sur le sens de leur vie. Et politique ensuite, où partisans et adversaires du stalinisme s'affrontent. le changement qui s'annonce peu de temps après la mort de Staline rend encore plus dérisoires tous les efforts consentis et les sévices subis pendant cette période.

Le pavillon des cancéreux est un livre magnifique. Et curieusement, malgré la noirceur des thèmes abordés, c'est avec un sentiment d'espoir et de joie de vivre que j'ai refermé ce chef-d'oeuvre.
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J"ai lu ce livre alors que j'étais encore assez jeune, et j'en ai été marqué.
Je découvrais alors tout un tas d'idées de notions, avec lesquelles je n'étais pas familier : La dictature, le totalitarisme, l'emprisonnement, la maladie, la promiscuité, la misère, mais aussi la solidarité, l'amitié, l'instinct de survie.

Quand on entre dans cette lecture, on ne se doute pas que l'on va y passer autant de temps, ni que ses effets seront aussi durables.
Bref, c'est un incontournable de la littérature russe, mais j'oserais dire aussi de la littérature en général.
Il faut l'avoir lu. Donc je ne peux que écourter cette critique pour la terminer par : Lisez-le !
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Quel ouvrage ! 700 pages de littérature russe , grandiose !

Après la mort de Staline nous sommes plongés dans un huis clos qui est le service des cancéreux d'un hôpital. Alexandre Soljenitsyne nous présente sur fond historique une galerie de personnages attachants qui côtoient tous la mort.

L'écriture, tout en élégance, fait vibrer les analyses de l'auteur sur l'histoire de la Russie grâce à la richesse des protagonistes de l'ouvrage.

Je vous invite à lire cet ouvrage qui est une référence littéraire.
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Soljenitsyne nous emmène dans l'URSS des années 50, peu après la mort de Staline. L'action se déroule en huis-clos dans le service de cancérologie d'un hôpital. C'est pourtant de l'ensemble de la société russe de l'époque qu'il présente le bilan. Les malades et les soignants de ce service constituent en effet une mini-société représentative où se côtoient pauvres et nantis, jeunes et vieux, communistes staliniens et rescapés du goulag, tous instruments ou victimes de la dictature.

L'auteur dévoile ce qui habite ses personnages et ce qui les divise : les idéologies, la convoitise d'un statut, le sentiment d'injustice, l'amertume, l'égoïsme, l'espoir... et le poids des inégalités sociales dans un système politique qui se flatte d'égalité et d'intégrité.
Il nous montre également ce qui les rapproche : l'angoisse devant la mort, indissociable de leur condition d'être humain, mais aussi la lutte contre la maladie, qui fera naître la solidarité et révélera leur humanité.

« Le pavillon des cancéreux » traite de la maladie qui frappe, sans distinction, en toute égalité, en toute injustice.
C'est surtout un roman bouleversant qui interroge sur le sens et la valeur de la vie, sur la condition et la dignité humaines.
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Avec le pavillon des cancéreux on entre dans l'univers glauque des malades atteints de divers troubles, métastases, tumeurs. Cela se passe en 1955, dans un hôpital de Tachkent, en Russie. Ainsi, on va rencontrer des dizaines de personnages qui nous apparaissent les uns après les autres. On y entre avec l'arrivée de Paul Nikolaievitch Roussanov qui souffre d'une tumeur au cou et qui est en totale admiration avec Staline et se vante d'être entièrement dévoué à sa patrie. L'autre personnage phare du récit, Kostoglotov, qui a plusieurs points en communs avec l'auteur, exilé lui aussi dans un village après plusieurs années de "goulag" et atteint d'une tumeur dont il va miraculeusement se soigner, est un homme de grandes valeurs qui croit en l'amour de son prochain et n'accorde que peu de crédit aux chimères proposées par l'État. On entre donc dans la Russie du siècle dernier avec tous ses excès, sa grandeur, ses injustices et l'amour que portent ses habitants à cette chère patrie.

Au fil des pages, dans l'étroit dortoir où sont alités plusieurs hommes (car le récit se déroule presque totalement dans le pavillon leur étant réservé) on va être témoin de leurs discussions animées sur la Russie d'hier et la jeunesse d'aujourd'hui, le système de santé, les remèdes naturels (champignons, racines), les relations entre docteurs et malades, mais aussi des questions plus philosophiques telles que "qu'est ce qui fait vivre les hommes ?" et "quel est l'endroit de la terre qu'on élit entre tous ?" et enfin des questions sur la mort, bien sûr.

Je dirais que la force de ce roman est de passer au travers beaucoup de sujets assez "lourd" sans pour autant nous lasser. Chaque chapitre apporte de la nouveauté et de la fluidité au récit et nous fait réfléchir. Et tous ces sujets sont traités au cours de dialogues parfois très drôles entre malades qui retrouvent de la fougue à se diputer alors qu'ils sont gravement affaiblis par la maladie. Par contre, nulle intrigue dans ces 722 pages, nul suspense. Que de la rhétorique !  Mais à petites doses, ça fait toujours du bien ! 
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