Citations sur Une journée d'Ivan Denissovitch (153)
Un homme, on peut faire tourner sa vie dans un sens ou dans un autre.
Un froid et un brouillard à couper le souffle. Sur la zone de surveillance, deux gros projecteurs, placés dans les miradors au loin, croisent leurs feux. Les lanternes de la zone brillent, et aussi les lanternes du camp. Il y en a tant et tant partout qu'elles effacent les étoiles.
Au ras des barbelés de l'entrée, passé le chantier, derrière les barbelés de l'autre bout, un gros soleil rouge se levait dans une espèce de brouillard. À côté, Aliocha regardait ce soleil, l'air bien content, même qu'il souriait. À quoi ?
Ils en étaient arrivés à râper les sabots des chevaux crevés, pour faire, en ajoutant de l'eau, une pâte qu'ils avalaient.
Il s'endormait, Choukhov, satisfait pleinement. Cette journée lui avait apporté des tas de bonnes chances : on ne l'avait pas mis au cachot ; leur brigade n'avait pas été envoyée à la Cité du Socialisme ; à déjeuner, il avait maraudé une kacha ; les tant-pour-cent avaient été joliment décrochés par le brigadier ; il avait maçonné à coeur joie ; on ne l'avait point paumé avec sa lame de scie pendant la fouille ; il s'était fait du gain avec César ; il s'était acheté du bon tabac ; et au lieu de tomber malade, il avait chassé le mal.
Une journée de passée. Sans seulement un nuage. Presque le bonheur.
des journées comme ça, dans sa peine, il y en avait, d'un bout à l'autre, trois mille six cent cinquante-trois.
Les trois de rallonge, c'était la faute des années bissextiles.
(Fin)
Il trouve bien agréable, Choukhov, que les autres le montrent du doigt à cause qu’il arrive au bout de sa peine. Mais, au fond, il n’y croit guère, lui. Tous ceux qui ont fini leur peine pendant la guerre, il y a eu pour eux une disposition spéciale : on les a gardés jusqu’en 46. De sorte que ceux qui avaient par condamnation trois ans à tirer, ça leur en a fait cinq de pas prévus. La loi, ça se retourne. Tu as fini tes dix ans ? On t’explique : "Fais-en encore dix par-dessus le marché." Ou on t’expédie en relégation. Il y a des fois, quand même, ça vous arrête la respiration, de se dire qu’on arrive au bout de sa peine et qu’il n’y a quasiment plus de fil sur la bobine… Bon pied, bon oeil et libre, c’est-il Dieu possible ?
Préface de Pierre DAIX : vous allez vivre cette Journée comme si vous étiez lvan Choukhov, fils de Denis. Une seule journée. Mais soyez sans illusion. Une journée, c'est simplement une unité d'enfer. En effet, l'enfer d'lvan Denissovitch, c'est que le futur n'existe plus.
Une prière, Aliocha, c'est pareil que les réclamations. Ça n'arrive jamais jusqu'au grand patron. Ou bien il t'écrit dessus : Refusé.
C'est l'usage que, le soir, la soupe soit bien plus clairette que le matin : le matin, il faut nourrir le zek, manière qu'il travaille, mais, le soir, qui dort dîne - s'il ne crève.
Choukhov releva la tête et fit : "Oh !" Le ciel était d'un pur ! Et le soleil y avait grimpé, presque en haut de sa course. C'est merveilleux comme le travail fait passer le temps. Choukhov l'avait remarqué qui sait des fois : les journées, au camp, ça file sans qu'on s'en aperçoive. C'est le total de la peine qui n'a jamais l'air de bouger, comme si ça n'arrivait pas à raccourcir.