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EAN : 9782373050912
178 pages
Aux forges de Vulcain (11/09/2020)
3.46/5   231 notes
Résumé :
Lors du commerce triangulaire des esclaves, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à la mer. Mais en fait, toutes ces femmes ne mouraient pas. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l'une d'entre elles, Yetu, va le leur rappeler, dans ce roman d'émancipation, magique et réflexif, sur la condition noire et sur l'impossibilité d'une justice, en l'absence de vérité.
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Critiques, Analyses et Avis (76) Voir plus Ajouter une critique
3,46

sur 231 notes
Cette enthousiasmante histoire a l'audace de s'emparer avec une originalité folle de la tragédie de la traite négrière. Lors de la traversée de l'océan Atlantique, les négriers balançaient par-dessus bord les femmes enceintes. Dans le roman, les bébés à venir naissent sous l'eau avec la capacité d'y respirer comme ils le faisaient in utero entourés de liquides amniotiques. Sauvés par les baleines, ils sont à l'origine d'un peuple sous-marin, les Wajinrus, qui a construit une civilisation à l'abri des abysses.

Ce n'est pas Rivers Solomon qui a imaginé cette histoire fantastique. Tout est expliqué dans la postface signée Daveed Diggs, membre du groupe de hip-hop Clipping. Dans les années 1990, le groupe de techno Drexciya a inventé un mythe afrofuturiste autour d'une civilisation sous-marine, repris par Clipping dans son single The Deep, ajoutant des paroles à la base instrumentale de Drexciya. Jusqu'au roman de Rivers Solomon qui propose à son tour sa version de la mythologie initiale, complétant le récit de la chanson, utilisant les mots du refrain «  Y'all remember », en amplifiant le sens pour en faire un élément fondamental de son univers fictif.

Rivers Solomon a construit un très beau personnage pour nous guider dans cette civilisation. Yetu est l'historienne des Wajinrus. C'est la dépositaire de six siècles d'histoire. Elle doit rassembler les souvenirs ancestraux de chaque Wajinru pour permettre à ceux-ci de vivre sans eux. C'est à elle de supporter la douleur du passé jusqu'au rituel annuel du Don de mémoire, où elle doit renvoyer les souvenirs avant d'en reprendre le fardeau. Jusqu'à ce qu'elle craque sous le poids de la mission, se révolte et fuit à la surface de l'océan, vers le monde des Deux-Jambes, celui des hommes.

Les Abysses est un conte, une fable, une parabole. Tout y est allégorie. La réflexion sur l'ambiguïté de la mémoire est très intelligemment menée, à la fois bénédiction et malédiction. le souvenir peut maintenir une culture en vie mais la pratique du souvenir ritualisée de la brutalité passée peut empêcher la vie, nourrir la colère sans se projeter sur un futur constructif. le propos est limpide et débouche sur la thématique de l'identité avec deux choix opposés : se replier sur un communautarisme identitaire ou s'ouvrir à l'altérité dans l'acceptation de la différence, quitte à prendre des risques.

J'ai été fascinée par la poésie des parties sous-marines du récit et la clarté des images qui s'imposaient à moi. Moins par les parties terrestres très naïves, lorsque Yetu rencontre le monde des hommes comme Candide découvre la dure réalité du monde. le récit, est très court mais les informations contemporaines surabondent ( écologie, notions de genre, racisme ) trop pour être traités en profondeur, se juxtaposant en couches sans être totalement embrassées, me laissant une bizarre impression de frustration alors que ce conte est totalement cohérent et très riche. J'avais vraiment besoin de plus de romanesque ou d'un supplément de complexité pour ne pas être laissée sur le quai dans la deuxième moitié du récit.
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Ce roman m'a été offert pour Noël et la très belle couverture représentant une sirène nageant au milieu de chaînes m'a enthousiasmée. En survolant les commentaires sur Babelio, j'ai vu la phrase de PostTenebrasLire disant de ne surtout pas lire la quatrième de couverture. Dommage, je l'ai vu trop tard !
A mon tour de vous dire de ne surtout pas lire le résumé qui même très court donne trop de renseignements sur le contenu du roman. Laissez-vous emporter par le texte de Rivers Solomon et vous découvrirez comment le peuple des sirènes a vu le jour.

*
Terriblement immersif. Dès les premières lignes, l'auteure nous emmène au fin fond de l'océan, dans les abysses, créant une atmosphère de ténèbres, de froideur et d'oppression. Là vivent les Wajinrus, le peuple des sirènes.
De leur passé, ils n'ont aucun souvenir. Seule, l'historienne est détentrice de l'Histoire de son peuple. Héritant des souvenances de ses ancêtres, cette sirène est essentielle à la survie de son peuple.

« Il me semble inconcevable qu'un peuple choisisse délibérément de se priver de son histoire par peur de souffrir. La douleur donne de l'énergie, elle nous illumine. C'est le fondement même de l'existence. La faim nous fait manger, la fatigue nous fait dormir. La douleur nous fait crier vengeance. »

*
Yetu est une historienne, elle a été choisie pour être le réceptacle vivant de la mémoire de son peuple. Elle recueille ainsi tous les souvenirs d'hier et d'aujourd'hui pour libérer son peuple d'un passé traumatisant, trop lourd à supporter.
Toutes ces voix, ces milliers de morts, toutes ces histoires, merveilleuses comme insoutenables, encombrent son esprit. Trop tourmentée, trop sensible, trop révoltée, elle ne supporte plus ces souvenirs douloureux qui prennent possession de son esprit, la désoriente, l'isole des autres.

Quel est ce passé si lourd à porter ? N'est-il pas une trop grande torture pour un seul être ? Trop de douleurs ne peuvent-elles pas être partagées ?

*
Une fois par an, l'historienne confie L Histoire des Wajinrus à son peuple. Un soulagement de seulement trois jours. Après elle devra à nouveau endosser ce fardeau si lourd à porter.
Son envie de vivre, d'être libre, va-t-elle lui faire commettre l'irréparable ? Je vous laisse découvrir le secret des origines des Wajinrus et le destin que se choisit Yetu.

*
Ce roman est plus complexe et plus profond qu'il n'y paraît à première vue. La construction, mélangeant passé et présent, permet d'entrelacer plusieurs thématiques : celle de l'oubli, de la mémoire, du poids des souvenirs douloureux, de l'importance de son histoire, de la quête d'identité, de la difficile transmission d'un passé traumatisant aux générations suivantes.
Il est aussi question d'écologie, de respect de l'océan.

*
A la fois poétique et plein de rage, Rivers Solomon déploie un talent évident à nous décrire cet univers abyssal et à nous interroger sur notre héritage et l'impact sur nos vies. Un roman intrigant, original, et agréable à lire, même s'il me manque un petit brin de quelque chose d'indéfinissable, l'envie d'en savoir plus sur ce peuple, l'envie d'aller plus loin dans ces questionnements.

Ce roman fantastique peut séduire un plus large public par ces messages et ces thématiques contemporaines. Ne vous laissez pas désarmer par le fait que cette histoire résonne du chant des sirènes.
Un auteur à découvrir pour vous faire votre propre idée.
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Je n'ai sans doute jamais lu un roman aussi riche, en si peu de pages.

Les abysses est un roman fantastique, dans toutes les acceptations du terme, à tel point qu'il en devient une histoire universelle, une mythologie en peu de mots, créée par un écrivain qui maîtrise la métaphore comme personne.

Imaginez et laissez vous transporter par la parole de Yetu, historienne torturée. Elle fait partie des Wajinrus, peuple marin qu'on peut assimiler aux sirènes (moins éloigné des hommes qu'il n'y paraît), et qui descend des femmes noires enceintes jetées par-dessus bord des navires esclavagistes. Elle raconte son histoire, tout comme celle de sa tribu.

200 pages, ça paraît court, et pourtant ce récit est incroyablement immersif (sans mauvais jeu de mots), prenant, poignant. Intellectuellement et émotionnellement enrichissant au possible.

Pas étonnant qu'il ait été remarqué par plusieurs prix prestigieux (finaliste des Hugo Awards, finaliste des Nebula Awards, finaliste des Locus Awards, lauréat des Lammy Awards).

C'est une histoire tout en nuances que nous propose Rivers Solomon, à lire entre les lignes. Métaphorique, mais toujours d'une étonnante clarté et distillant un nombre incroyable de thématiques. Au point d'en rester souvent bouche bée devant tant de clairvoyance, avec l'envie de surligner nombre de passages du texte, encore et encore.

Ce livre est d'une telle force émotionnelle, poétique et d'évocation qu'il est à conseiller au plus grand nombre. L'aspect fantastique n'est qu'un prétexte pour faire réfléchir sur des sujets profonds et ressentir des troubles face à ceux du personnage principal (et par ricochet ceux de son peuple).

Il y est question (entre autre) du devoir de mémoire. Une idée poussée dans ses retranchements, parce que le poids du passé peut être la source d'une douleur indicible. Les conséquences des actes des générations antérieures ont toujours des répercutions.

La vie peut être fardeau, par son passé, par sa manière d'être soi. Rivers Solomon raconte aussi la différence, prône la tolérance. L'auteur/trice est une personne transgenre qui sait sans doute parfaitement ce qu'impliquent ces notions. Et arrive à en nourrir son héroïne de manière déchirante.

Malgré les apparences, Les abysses est un roman dense, évocateur d'un folklore, empli de réflexions pertinentes et d'une grande sensibilité.

Rivers Solomon nous fait nous pencher sur notre monde, ses racines. Mais aussi sur l'amour possible malgré l'impossible, sur le respect, sur l'appartenance… Et tant d'autres choses qui rendent cette fiction à la narration originale aussi unique, et intimement universelle.

Tous les lecteurs pourront y trouver leur compte, ce n'est pas le moindre des exploits de ce roman étonnant.
Lien : https://gruznamur.com/2020/0..
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Toutes les grandes histoires ont un début.
Pour Les Abysses, l'histoire commence avec Drexciya, un duo techno-électro de la ville de Détroit composé de James Stinson et Gerald Donald.
Drexciya invente à travers sa musique une fascinante mythologie : imaginez que les esclaves africaines jetées par dessus bord des bateaux négriers aient donné naissance à un nouveau peuple marin capable de construire leur propre civilisation et de bâtir petit à petit une nouvelle utopie ?
Bien des années plus tard, en 2017, le groupe de hip-hop Clipping — composé de Daveed Diggs (que vous pouvez suivre dans la série le Transperceneige), William Hutson et Jonathan Snipes — exhume le mythe Drexciyien à l'occasion d'un épisode science-fictif de l'émission de radio This American Life. le résultat : la chanson The Deep qui remporte dans la foulée le prix Hugo de la meilleure présentation dramatique.
L'histoire aurait pu s'arrêter là mais c'était sans compter sur l'arrivée de l'autrice Rivers Solomon qui transforme la chanson en un roman court du même nom et qui débarque aux éditions Des Forges Vulcain sous le titre français Les Abysses.

Le poids d'un Peuple
Dans son premier roman, le fabuleux L'Incivilité des fantômes, Rivers Solomon imaginait la course du Matilda, un immense vaisseau spatial divisé en ponts à la façon d'un gigantesque navire et qui séparait ses occupants selon leur classe sociale (comme dans le Transperceneige) et leur couleur de peau. Guidée par Aster, personnage transgenre noire et autiste, le lecteur découvrait l'horreur de la suprématie des riches blancs à la façon de l'esclavage de jadis transposé dans un cadre futuriste.
Roman sur le racisme, L'Incivilité des fantômes était aussi, et surtout, un roman sur l'importance de la mémoire et de la quête du souvenir à travers l'enquête d'Aster autour du suicide de sa mère, Lune.
Quoi de plus naturel que de retrouver Rivers Solomon impliquée dans l'aventure transgénérationnel autour de l'oeuvre de Drexciya ?
Les Abysses raconte en moins de deux cent pages l'histoire de Yetu, Historienne du peuple des Wajinrus, descendants-sirènes des enfants d'esclaves jetées à la mer car trop encombrantes et improductives.
Par le truchement d'une intervention fantastique de l'océan (ou d'un Dieu caché en son sein), les bébés voués à une mort certaine s'extirpent du ventre des mères-martyres pour devenir des êtres amphibies recueillis par des baleines jusqu'à la prise de conscience de l'une d'entre elle, Zoti, sur la nécessité de rassembler ce nouveau peuple et de lui offrir une mémoire de ce terrible passé.
Race hermaphrodite/intersexuée, les Wajinrus éprouvent différemment l'individualité et le rapport aux autres. Dans cet univers radicalement autre, Yetu, dernière Historienne en date, se charge de recueillir en elle toutes les souvenances des Wajinrus passés. Réceptacle de la souffrance de tout un peuple, Yetu restitue son savoir lors de la cérémonie du Don de Mémoire où tous les Wajinrus se réunissent pour revivre leur naissance et leur histoire tourmentée. Mais Yetu n'en peut plus, Yetu a mal, Yetu est seule, Yetu veut vivre…et elle décide de quitter la cérémonie en cours de route en abandonnant aux autres Wajinrus son fardeau mémoriel.

Qu'est-ce que la mémoire ?
Les Abysses, contrairement à ce que laisse penser son nombre de pages congru, est un roman dense et extrêmement riche.
Son noyau central, c'est ce peuple des Wajinrus et son rapport à la Mémoire, aux souvenirs (appelés souvenances) et à l'Histoire en général.
Rivers Solomon témoigne de l'holocauste noir pour réfléchir sur son apport aux jeunes générations et à tout un peuple.
Le travail de mémoire n'est pas traité ici de façon manichéenne et unidimensionnel, il est multiple, ambiguë, contradictoire, éreintant, libérateur et poignant.
Qu'est-ce que la mémoire ? Voilà la question posée par Les Abysses.
Au lieu d'asséner une réponse lisse et toutes faites, Rivers Solomon montre le beau et le laid, la douleur et la colère, la solitude et le partage.
Pour Yetu, la mémoire est un fardeau, une malédiction, la source d'une souffrance sans fin que d'être le réceptacle de l'Histoire de tout un peuple traumatisé et martyrisé. Que faire de ce poids ? Comment gérer toute cette souffrance quand, à quatorze ans, vous en recevez toute la violence sur les épaules d'un seul coup ?
Rivers Solomon réfléchit sur l'impact de l'Histoire sur les jeunes générations qui la découvrent, sur la solitude et l'horreur que cela peut entraîner si ce passé devient une ancre que l'on ne partage pas, qui nous entraîne vers le fond.
Définir la mémoire prend du temps à Yetu, et bien des peines.
Que devient un peuple qui ne vit que dans le passé ? Et, au contraire, à quoi peut aspirer un peuple qui oublie d'où il vient ?
Le choc des idées offre au roman une force de réflexion protéiforme impressionnante où le lecteur comprend que le besoin de se souvenir n'est pas une chose aussi évidente qu'on ne le pense.
Par l'intensité de sa réflexion et sa transposition à un peuple imaginaire (mais hautement métaphorique), Rivers Solomon dépasse le simple cadre de la cause Noire et parle de tous les peuples qui ont du, un jour, affronter l'horreur du génocide. du juif à l'arménien en passant par le tutsi et l'amérindien.
Les Abysses parle d'abord de ça, de vivre avec son passé, de le partager et d'en faire une chose constructive et non destructrice.
Une chose qui fera grandir et non mourir.

Un seul Monde
À côté de ce travail sur la mémoire, Rivers Solomon présente une espèce radicalement différente, les Wajinrus, et pourtant si proche des « deux-jambes » dont ils sont issus. Dans Les Abysses, comme dans L'Incivilité des Fantômes, c'est un personnage au genre non défini qui nous accompagne et qui découvre que le monde extérieur peut violemment le rejeter pour ce qu'il est. En rencontrant Suka, Yetu éprouve une chose unique et précieuse : l'acceptation.
« Je voulais dire, vous êtes comme nous » lui dira Suka surprise par la possibilité du langage chez cet étrange poisson qui s'est échoué sur la côte.
Rivers Solomon glisse son lecteur dans un corps différent mais qui ne constitue pourtant pas un obstacle à l'amour ou à l'humanité.
Dans Les Abysses, c'est le fait de communier à l'échelle de l'humanité entière qui ouvre la bonté des uns et des autres, c'est le fait de briser les barrières pour faire cause commune et comprendre que l'autre, malgré ses différences physiques ou culturelles, nous ressemble.
Une tolérance qui permet d'exister et de souffrir moins. de vivre même.
C'est le côté organique et sensible des sentiments qui traversent le roman qui rend Les Abysses si intense. Yetu n'est pas seulement une Historienne pour les Wajinrus, c'est le symbole d'un passage de flambeau, d'une nouvelle ère de réconciliation et d'ouverture. le symbole que tout peut changer.
Entre les lignes, le lecteur verra également un couplet écologiste dans Les Abysses, sur ces « deux-jambes » infâmes qui viennent voler les ressources des Wajinrus en les décimant, ces « deux-jambes » qui n'arrivent pas à coexister avec la Nature mais veulent la posséder, la dominer.
Mais surtout, entre les lignes, c'est une histoire d'amour pudique et sincère au-delà des apparences que suivra le lecteur. La rencontre de deux personnes accablées par le poids de la perte, du passé et de la responsabilité. Deux personnes qui ne savent plus si se souvenir est une malédiction ou un fardeau et si la vengeance amènera autre chose qu'un vide nouveau.

Avec Les Abysses, Rivers Solomon confirme.
Elle confirme son talent exceptionnel et sa sensibilité, son intelligence et son sens de la nuance. Roman fantastique dans tous les sens du terme, Les Abysses remue et renverse, comme un ouragan en plein océan, comme une façon de se souvenir et de mûrir sans mourir.
Lien : https://justaword.fr/les-aby..
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Ne lisez pas les quatrièmes de couverture.

Je répète (et c'est la dernière fois hein !):

N.E L.I.S.E.Z P.A.S. L.E.S Q.U.A.T.R.I.E.M.E.S D.E C.O.U.V.E.R.T.U.R.E

Voici plutôt mon quatrième de couverture personnelle :

Yetu se souvient … Elle est l'historienne d'un peuple qui vit dans les abysses.
Elle se souvient et le passé est douloureux.
L'histoire est traumatisante alors ils ont tout confié à l'historienne et oublié.
Mais une fois l'an, ils empruntent de nouveau les souvenances du passé.
Mais pour Yetu, le fardeau est bien lourd à donner et à reprendre

Bien mieux que de dire d'entrée de jeux “alors ce peuple est issu des …”, n'est-ce pas ?
Dévoiler la fin empêchera un nombre bien trop grand de lecteur de commencer cette lecture au prétexte de “ça parle de …”

Le livre parle beaucoup et avec brio de mémoire, de passé.
Sous couvert de récit, il pose de bonnes et vastes questions.
Devons-nous nous souvenir ?
Même si le passé est traumatisant ?
Devons-nous vivre dans l'oubli ?
Devons-nous déléguer le travail de mémoire, de conservation à d'autres ?
Avec Yetu, le cas est extrême (oubli total et un seul porteur de mémoire), mais sommes-nous si différents ?
Je ne pense pas.
Pour prendre mon cas personnel, j'ai lu récemment quelques brillants livres sur le nazisme et j'ai trouvé que l'on avait oublié.
Certes. Nous n'avons pas oublié les dates, les évènements les plus importants, quelques noms, quelques lieux, …
Mais que savons-nous du terreau ? de l'époque ? Des “valeurs” de la société, peu de choses vraiment.
On a oublié à quel point la société européenne fut un milieu de darwinisme social, de colonialisme.
Un terreau fertile.
La plante vénéneuse fut coupée. Mais l'humus est encore là… Et cette connaissance du passé est tellement mal répartie, peu ou mal visible, mal reconnue.

Je m'égare, mais c'est la preuve que c'est un excellent roman fantastique.
Un roman dans un univers “fictif”.
Un univers qui est tellement le nôtre ou pour être honnête le leur.
Celui de ceux qui ont été et sont victimes de ce commerce.
Quoi de mieux que les abysses pour ressentir un peu ce qui fut et ne devrait plus être.
Jamais.
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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critiques presse (1)
Elbakin.net
18 août 2020
L’écriture de Solomon, sensible et évocatrice, simple mais pas simpliste [...] parvient à faire naître l’émotion.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
- C'était comme un rêve, dit Yetu.
Elle avait mal à la gorge, elle pleurait sans arrêt depuis plusieurs jours, s'étant égarée dans la souvenance d'un des premiers Wajinrus.
- Alors réveille-toi, dit Amaba. Réveille-toi tout de suite. Qu'est-ce que c'est que ce rêve qui te fait dériver dans les eaux infestées de requins comme une imbécile, alors que tu saignes à flots ? Si je ne m'étais pas mise à ta recherche, si je ne t'avais pas trouvée à temps…
Amaba secoua la tête, ce qui remua l'eau sombre autour de son visage.
- Tu veux mourir, c'est ça ?

Incipit du roman
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– C’était comme un rêve, dit Yetu.
Elle avait mal à la gorge, elle pleurait sans arrêt depuis plusieurs jours, s’étant égarée dans la souvenance d’un des premiers Wajinrus.
– Alors réveille-toi, dit Amaba. Réveille-toi tout de suite. Qu’est-ce que c’est que ce rêve qui te fait dériver dans les eaux infestées de requins comme une imbécile, alors que tu saignes à flots ? Si je ne m’étais pas mise à ta recherche, si je ne t’avais pas trouvée à temps…
Amaba secoua la tête, ce qui remua l’eau sombre autour de son visage.
– Tu veux mourir, c’est ça ? C’est pour cette raison que tu agis ainsi ? Tu es une adulte, maintenant. Tu es une adulte depuis longtemps déjà. Tu dois oublier tous ces enfantillages.
Amaba agitait vivement ses nageoires tout en adressant ces remontrances à sa fille. Ses gestes pro- voquaient des remous dans ces eaux généralement tranquilles.
– Je ne souhaite pas mourir, dit Yetu avec fermeté, malgré sa voix faible et fatiguée.
– Eh bien ? Pourquoi alors ferais-tu une telle sottise? demanda Amaba, dont les nageoires s’agitaient de plus en plus.
Yetu peinait à entendre les délicates ondulations des paroles d’Amaba, que couvrait la rumeur des ondes plus courtes, plus puissantes de ses gesticulations.
– Réponds-moi ! cria Amaba d’une voix stridente et désespérée.
La plupart du temps, Yetu laissait ses sens s’engourdir. Quand elle était enfant, elle avait appris à repousser autant que possible les assauts sensoriels du monde, de peur qu’ils la submergent et provoquent des crises. Mais à cet instant précis, il fallait qu’elle s’ouvre à nouveau, même si sa peau tout entière lui donnait l’impression d’être une plaie ouverte, afin de mieux percevoir et entendre les paroles d’Amaba.
Yetu ferma les yeux et se concentra sur les vibrations des abysses, elle permit à sa peau écaillée de retrouver sa sensibilité et se résigna à subir le choc du tumulte des eaux de l’océan. Il s’agissait simplement de rétablir le lien entre son cerveau et son corps, d’abaisser les remparts qu’elle avait édifiés pour se protéger. En un instant, le monde refit son apparition. L’eau se refroidit, la pression se fit plus lourde, la salinité plus forte. Elle pouvait identifier chaque grain de sable, éprouver la sensation des petits granules minéraux éraflant sa peau.
Elle luttait contre les assauts de l’océan en maintenant une tension extrême, mais Yetu ne pouvait pas tous les repousser, et ses sens nouvellement éveillés s’affolaient de cette ruée vertigineuse. Cela ne ressemblait en rien à ce bruit confus et assourdi à laquelle s’était habitué son corps quand elle s’appliquait de toutes ses forces à rejeter le monde extérieur. Le tourbillon des courants l’affectait profondément, les palpitations lointaines d’un banc de poissons-ogres résonnaient dans sa poitrine. Comment les autres Wajinrus faisaient-ils pour vivre ainsi ?
–Tu étais où, là ? demanda Amaba. Encore en train de rêver ?
Dans sa voix, la colère cédait à l’abattement. Ses mots, ondulations éclatées, heurtaient avec violence la peau de Yetu.
– Non, je suis là, je te le jure, répondit doucement Yetu, avec lassitude.
Elle ne savait pas si elle disait vrai ou non. Emportée par un souvenir qui n’était pas le sien, elle avait été absente tandis qu’elle dérivait vers les requins qui voulaient la dévorer. Ce moment qu’elle vivait, à cet instant, était-ce réellement le présent ?
Yetu devait retrouver son calme. Jamais auparavant elle n’avait pris un tel risque. De toute évidence, elle avait perdu le contrôle d’elle-même, plus encore qu’elle n’aurait pu l’imaginer. Les souvenances la projetaient toujours dans le passé, vers les souvenirs des ancêtres – c’était en effet leur raison d’être –, mais il ne fallait pas qu’elles la mènent à la mort.
– Viens là, dit Amaba, qui se tenait non loin d’elle.
Trop faible pour résister, Yetu se résigna, pour l’instant, à faire ce que son amaba lui demandait de faire.
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Quand nous avons appris que nous deviendrions historien, nous étions satisfait. Enfin, nous pourrions assouvir la soif de notre esprit. Quand notre prédécesseur nous a transmis les souvenances, nous avons senti une étincelle de vie, et le torrent du passé s'est engouffré en nous. Nous ne serions plus jamais vide.
Certains sont tristes quand ils prennent connaissance de l'Histoire, mais nous, nous avons ressenti une colère immense et glorieuse. Ce défi nous plaisait, nous convenait. Et la colère était notre émotion préférée. nous en jouissions. La colère donnait un sens à notre vie.
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Si Yetu était morte à la suite d’une imprudence, les Wajinrus n’auraient peut-être pas pu récupérer son corps ; son successeur n’aurait pas eu le temps d’extraire les souvenances des ancêtres de l’esprit de Yetu. Il aurait été possible d’en rattraper quelques fragments à l’intérieur du requin – en supposant qu’on le retrouve –, mais en soi, cela représentait déjà un grand risque et, de toute façon, de gigantesques pans auraient été perdus.
Pire encore, les Wajinrus ne savaient même pas qui succéderait à Yetu en tant qu’historien. Ils n’avaient certes pas les souvenirs nécessaires pour comprendre toute l’importance de ce problème, mais ils n’étaient pas non plus dans l’ignorance complète. Il n’y avait aucun doute que Yetu courait à la catastrophe. S’ils ne lui trouvaient pas un successeur, ils étaient tous perdus. Il leur faudrait improviser.
Autrefois, les historiens parcouraient les océans pour recueillir les souvenirs des Wajinrus vivants avant leur disparition. De par sa nature même, cette tâche permettait aux historiens de découvrir la personne qui serait la plus apte à leur succéder après leur décès : quand ils plongeaient dans l’âme des Wajinrus afin de recueillir leurs souvenirs, les historiens remarquaient aussi ceux qui avaient l’électrosensibilité nécessaire pour prendre leur place. Ils s’assuraient aussi de fréquemment partager l’identité de ces personnes avec les autres Wajinrus.

Yetu n’avait jamais fait cela. L’océan l’accablait, même quand elle se trouvait dans ses parties plus calmes – et c’était déjà le cas avant même qu’elle accepte le fardeau des souvenances. Depuis qu’elle était devenue historienne, cela n’avait fait qu’empirer, comme si son esprit n’arrivait pas à traiter toutes ces réminiscences. Il était pour elle inconcevable de partir en voyage à seule fin d’en recueillir encore plus. Quand l’historien qui l’avait précédée l’avait choisie, c’était parce qu’il avait été impressionné par la sensibilité de ses électrorécepteurs ; mais ce qui était malheureux pour elle, c’était qu’il n’avait pas tenu compte de son tempérament anxieux. Yetu aimait beaucoup les souvenirs de Basha, elle aimait revivre sa bravoure, sa vivacité. Mais il avait commis une erreur en la choisissant pour lui succéder. Elle était incapable d’exercer même les plus simples de ses attributions. Il serait très déçu d’apprendre ce qu’il était advenu de la fille qu’il avait choisie. Elle était devenue bien fragile.
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Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays de branleurs est capitaliste, que les gens le veuillent ou non. Tout le monde dans ce pays fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d’utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n’importe qui d’autre sur cette pauvre terre. Et Noël est notre occasion en or d’augmenter la cadence.
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Videos de Rivers Solomon (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Rivers Solomon
« C'est un roman qui ne laisse pas indifférent. C'est un texte passionnant, aux dimensions sociologiques très troublantes. Et c'est une pièce de plus dans une oeuvre qui fera date en ce début de XXIème siècle, j'en suis persuadé, l'oeuvre de Rivers Solomon, quelqu'un de pas comme les autres – comme ce roman. » – Gorian Delpâture – RTBF
Emission du 16 juin 2022
Copyright © 2022 RTBF
Vern est enceinte de sept mois et décide de s'échapper de la secte où elle a été élevée. Cachée dans une forêt, elle donne naissance à des jumeaux, et prévoit de les élever loin de l'influence du monde extérieur. Mais, même dans la forêt, Vern reste une proie. Forcée de se battre contre la communauté qui refuse son départ, elle montre une brutalité terrifiante, résultat de changements inexplicables et étranges que son corps traverse.Pour comprendre sa métamorphose et protéger sa petite famille, Vern doit affronter le passé…
Informations Genre : Roman 512 pages Format : 14 x 20,5 cm ISBN : 978-2-373-05634-1 Date de parution : 13 Mai 2022
ActuSF annonce Sorrowland comme finaliste du Ray Bradbury Prize 2022.

« Les Ignyte Awards qui récompensent les oeuvres de science-fiction, de fantasy et d'horreur qui mettent en avant la diversité, reviennent pour la troisième année consécutive avec une jolie sélection. (…) Sorrowland de Rivers Solomon, publié en version originale chez MCD et à paraître en français aux Forges de Vulcain » – ActuSF

« Ce livre est puissant. Il est plus qu'un classique instantané des littératures dites « de genre ». Il impose Rivers Solomon comme une des plus brillantes plumes de la littérature contemporaine. » – Hugo – Librairie Des Livres et Nous

« Comme la plupart des bons romans, on repense à ce livre encore plusieurs jours avoir l'avoir refermé… » – Gillossen – Elbakin.net

« Rivers Solomon mène son récit de manière viscérale, envoutante et complexe, produisant un livre absolument impossible à poser avant la fin. » – Lectures LGBT+

« Rivers Solomon conteste, condamne et désapprouve, elle ne se contente pas d'interroger et c'est sans doute ce qui rebute ses détracteurs. (…) On peut peut-être aussi lire Sorrowland sans se sentir envahi par ce questionnement, mais qu'il est bon d'avoir les yeux grands ouverts ! » – Christophe Gelé – Ce que j'en dis…

« Un uppercut, une oeuvre plus viscérale encore que ses précédents textes. » – Librairie Critic

« Un roman queer et antiraciste puissant qui mêle fantastique et science-fiction qui dénonce l'histoire violente des États-Unis. » – Librairie le Monte-en-l'air

« Sorrowland nous rappelle les titres d'Octavia Butler, il est dérangeant, engagé, original et surtour terriblement efficace. » – Librairie Lilosimages

« Un livre d'une rare intensité tant par l'intrigue que par les sujets abordés : l'emprise, le libre-arbitre, l'homosexualité, le racisme. Une critique acerbe de l'histoire des Etats Unis. Subtil et âpre. Une belle pépite! » – Librairie Les Jolis Mots

« Un texte étonnant et puissant, une héroïne inoubliable dont l'épopée douloureuse m'a bien bousculé. C'est remarquablement écrit et rythmé et c'est typiquement le genre de roman qui me séduit parce qu'irréductible aux étiquettes de genre. » – Elias, Librairie le Chameau Sauvage

« Un récit dur et juste sur la transformation. Énorme coup de coeur ! » – Librairie Au Librius, à Voiron

« Sorrowland parle de résistance. Résistance à l'oppression bien sûr mais aussi de résistance à la normalité, aux cases assignées. Rivers Solomon donne l'impression de partager avec nous, au travers de ses textes un cheminement de pensée qui va au-delà de ses personnages et qui læ fait progresser dans comment iel envisage et habite le monde. » – Tigger Lilly – le Dragon Galactique

« Un roman passionnant et intéressant, une course pour la vie, pour donner un avenir à ses enfants. » – Allan – Fantastinet
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