Livre très court. Qui date un peu, puisqu'il est tributaire des évolutions des connaissances scientifiques et médicales. Et, écrit fin des 70's (le texte est un ensemble de différentes conférences retravaillées pour faire un tout cohérent, pas très réussi car il y a une certaine impression de redites, de phrases quasi identiques.), les idées notamment sur le cancer ont beaucoup évolué. le sida est aussi passé par là et aurait bien évidemment mérité sa place dans toute cette analyse des discours métaphoriques sur ces maladies, sur ces malades, tant dans la littérature que dans les discussions et vécus quotidien. Ce qu'est cet ouvrage.
L'auteure s'explique « Mon propos n'est pas la maladie physique en soi, mais l'usage qui en est fait en tant que figure ou métaphore. Or la maladie n'est pas une métaphore, et l'attitude la plus honnête que l'on puisse avoir à son égard - la façon la plus saine aussi d'être malade - consiste à l'épurer de la métaphore, à résister à la contamination qui l'accompagne. Mais il est presque impossible de s'établir au royaume des malades en faisant abstraction de toutes les images sinistres qui en ont dessiné le paysage. C'est à l'élucidation de ces métaphores et à l'affranchissement de leurs servitudes que je consacre cette enquête. »
On passe de la si belle tuberculose, phtisie à l'horrible cancer honteux, avec un petit passage par d'autres maladies comme la peste et avec la « folie » en arrière-plan. Plus honteux encore selon les qualités imaginées de l'organe atteint. La gloire des poumons, la honte du colon...
« ... les métaphores modernes de la maladie sont toutes minables. Les individus réellement atteints de la maladie en question ne sont guère aidés lorsqu'ils entendent constamment citer le nom de celle-ci pour représenter le mal. »
Sontag insiste sur le fait que les métaphores évoluent, disparaissent, changent dès qu'on connait mieux les ressorts, causes de la maladie. Et comme le cancer ne cesse d'être mieux connu, on imagine bien qu'il subira également ces évolutions métaphoriques. C'est déjà le cas.
Cette question des métaphores rejoint l'idée plus actuelle des « étiquettes », vouloir ou ne pas vouloir être diagnostiqué. Je pense à d'autres comme « schizophrénie », « trouble bipolaire », « toxicomane », « alcoolique »... tous ces mots qui peuvent ajouter aux maux et qui n'explicitent pas nécessairement les choses, et qui peuvent les simplifier à l'extrême et nous rendre... bêtes.
Ce livre est fort intéressant, mais le fait qu'il date et qu'il soit sans doute difficile à trouver ne va pas dans le sens d'un must have been readen. Les idées qu'il véhicule globalement sont intemporelles et sont dans l'air de l'homme pour longtemps.
Je termine, en laissant l'auteur nous dire que :
« ... l'intérêt de la métaphore réside précisément dans le fait qu'elle se réfère à une maladie envahie par la mystification, remplie des phantasmes de la fatalité à laquelle on n'échappe pas. Car nos ides sur le cancer et les métaphores que nous avons plaquées sur lui servent trop à convoyer les vastes insuffisances de notre culture, nos attitudes superficielles à l'égard de la mort, nos angoisses en matière de sentiment, nos réactions impatientes et insouciantes à l'égard de nos vrais "problèmes de croissance", notre incapacité à construire une société industrielle avancée qui règle convenablement la consommation, et nos peurs justifiées devant le cours chaque jour plus violent de l'histoire.La métaphore du cancer deviendra périmée, je le prédis, bien longtemps avant que les problèmes qu'elle a su refléter avec tant de force de persuasion soient, eux, résolus. »
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"On estime en général que le cancer est déplacé chez un personnage romantique, à la différence de la tuberculose, peut-être parce que la dépression banale a remplacé la mélancolie romantique." (p. 67)
Ce n'est pas le fait de nommer qui est péjoratif et qui ostracise le malade, c'est le nom. Cancer. Aussi longtemps que l'on considèrera une maladie déterminée comme "maligne", comme un prédateur invincible, et non comme une simple maladie parmi d'autres, la plupart de cancéreux seront plongés dans le désarroi en apprenant de quoi ils souffrent. La solution ne consiste pas à cesser de dire la vérité au malade, mais à rectifier l'idée que l'on se fait de cette maladie, à la démystifier.
On ne ment pas au malade atteint d'un cancer parce que sa maladie est (ou jugée être) mortelle, mais parce qu'elle est ressentie comme obscène au sens original du terme, c'est-à-dire de mauvais augure, abominable, répugnante, offensante pour les sens. Une maladie cardiaque suppose une faiblesse, un trouble, une déficience purement mécaniques ; rien de scandaleux, rien du tabou qui entourait naguère les individus atteints de tuberculose et qui isole aujourd'hui les cancéreux. Les métaphores liées çà la tuberculose et au cancer laissent entendre qu'un processus vivant et aux résonances particulièrement hideuses est à l'oeuvre.
Mon propos n'est pas la maladie physique en soi, mais l'usage qui en est fait en tant que figure ou métaphore. Or la maladie n'est pas une métaphore, et l'attitude la plus honnête que l'on puisse avoir à son égard - la façon la plus saine aussi d'être malade - consiste à l'épurer de la métaphore, à résister à la contamination qui l'accompagne. Mais il est presque impossible de s'établir au royaume des malades en faisant abstraction de toutes les images sinistres qui en ont dessiné le paysage. C'est à l'élucidation de ces métaphores et à l'affranchissement de leurs servitudes que je consacre cette enquête.
Derrière certains jugements moraux liés à la maladie, se cachent des jugements esthétiques sur le beau et le laid, le propre et le sale, le connu et l'étranger ou l'insolite.
Nous sommes au printemps 1976. Sigrid Nunez, 25 ans, sonne à la porte de Susan Sontag, 43 ans, pour l'aider à répondre à la pile monumentale de courrier reçu du monde entier pendant son hospitalisation. Sigrid découvre un vaste penthouse lumineux, aux murs blancs et nus. Peu de meubles, un chien, et une pièce stratégique, la chambre bureau de Susan, où trône une énorme machine à écrire IBM Selectric. L'une réfléchit et dicte, l'autre tape et capte.
Trente ans plus tard, Sigrid Nunez, devenue à son tour une grande écrivaine, livre son témoignage. Elle raconte l'extraordinaire vitalité de Susan, sa curiosité, son énergie inépuisable. Amie et modèle à la fois, Susan est le mentor dont rêve tout apprenti écrivain. Un portrait fin et inattendu, dans l'intimité de l'une des plus audacieuses intellectuelles américaines du XXe siècle.
Sempre Susan » de Sigrid Nunez
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Ariane Bataille
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