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sur 1281 notes
La mort de deux frères s'entretuant au combat, va provoquer la condamnation à mort d'une jeune fille, puis... d'autres morts !
Le choeur: Entendez le vol des corbeaux au dessus du corps de Polynice! Entendez les croassements odieux!

- Je ne suis qu'une jeune fille, et n'ai pas connu l'amour d'un homme, mais j'irai, oui, j'irai recouvrir le corps de mon frère !
- Non Antigone, ma soeur ! Notre oncle, le roi Créon, l'a interdit, sous peine de mort!

Le choeur: Entendez Ismène, qui essaie de sauver sa soeur. Entendez Hémon, le fils du roi Créon, plaider pour sa fiancée. Entendez notre devin Tirésias, intervenir pour cette fille folle!
Entendez le Coryphée, le chef du choeur antique parler d'une affaire menée par les Dieux eux-mêmes...

-J'ai les mains en sang, les ongles arrachés, ma tunique est salie par le sang qui suintait encore du corps de Polynice. Mais, je l'ai tenu contre moi, j'ai peigné ses cheveux avec mes doigts, et je l'ai embrassé une dernière fois...
J'ai écarté les bêtes qui rôdaient, dans la nuit noire. On est venu me repousser! Mais, je suis revenu en rampant, pour tromper les gardes.
Et j'ai arraché, j'ai creusé la terre, pour recouvrir le corps de Polynice. C'était mon frère!
Si son corps n'est pas enterré, Polynice ne pourra reposer en paix... Son âme ne peut errer éternellement, les Dieux sont avec moi!

Dans cette tragédie, Créon ne peut pardonner car cette fille, même si c'est sa nièce, ne peut contredire un Roi. Il ne peut perdre la face!
Le maintien de l'ordre dans la cité, après la guerre, implique le calcul, le mensonge et... le cynisme.

Elle s'appelle Antigone, et elle va devoir être une Antigone, tenir son rôle, jusqu'au bout...
Elle ne pleurera pas, sauf pour son frère ! C'est une adolescente intransigeante, qui refuse la médiocrité et les compromissions...

Même quand elle connaîtra sa condamnation à mort, elle affirmera sa fidélité aux lois divines et morales qui dépassent la justice des hommes!
La liberté individuelle prime sur la loi des hommes et sur les décrets des Rois...

- Je suis faite pour partager l'amour, non la haine". Antigone de Sophocle.
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C'est peu dire qu'Antigone est l'une des plus célèbres tragédies grecques (parmi celles qui nous sont parvenues, à savoir, fort peu, volontairement détruites au IIème siècle sous l'Empereur Hadrien par des autorités morales anonymes, les « pédagogues grammairiens », qui ont décidé lesquelles devaient être transmises à la postérité. de la sorte, ces éminences grises ont dégraissé Eschyle, Sophocle et Euripide, pour ne citer que ces trois-là, de 87 % de leurs productions, soit les 44 pièces survivantes sur 348 à l'origine).
Ainsi donc, parmi ces survivantes, Antigone n'est pas une tragédie canonique, mais LA tragédie canonique. Ce n'est pas pour rien qu'Hegel s'est appuyé en particulier sur celle-ci pour parler de la tragédie grecque en général.
Le poids du religieux dans la Grèce de Sophocle est difficile à appréhender de nos jours et c'est vraiment un exercice délicat que d'essayer de comprendre dans le détail les visées réelles de l'auteur. L'une des questions civiques et morales soulevée par la pièce est celle de l'obéissance à l'ordre émanant de la hiérarchie, même s'il va à l'encontre de nos convictions. Dit autrement, doit-on exécuter un ordre s'il est immoral ? Je doute que la lecture d'Antigone soit au chevet de beaucoup de nos militaires ou policiers, pourtant, c'est une vraie question. Il en va de même pour tout fonctionnaire. On sait ce que Vichy, pour ne parler que de ce régime, a été capable de faire. Les fonctionnaires de Vichy avaient-ils lu Antigone ? À méditer…
Voilà donc, Antigone, fille du célèbre Oedipe, qui vient de perdre ses deux frères bien aimés. L'un se battant pour Thèbes, l'autre contre. Thèbes obtient la victoire, et Créon, le roi de Thèbes, offre des funérailles dignes à celui qui a donné sa vie pour Thèbes, mais interdit qu'on laisse reposer l'autre frère selon les rites, car jugé comme traître, doit pourrir sur place ou être dévoré par des bêtes. Antigone, elle, refuse cette sentence et décide de braver l'interdit. Sa soeur, Ismène, elle, fait l'autre choix.
L'autre axe qui me semble majeur dans la pièce est celui de l'orgueil qui nous empêche de revenir sur une parole prononcée afin de ne pas « perdre la face ».
Je dirai simplement qu'à propos de faces perdues, Créon, se jugeant dans son bon droit, pour ne pas avoir voulu revenir sur sa décision risque d'en perdre bien d'autres de faces…
En somme, une bien belle tragédie, qu'il nous est parfois difficile de recontextualiser, mais dont certaines questions conservent toute leur raison d'être et leur verdeur, même après vingt-cinq siècles et quelques autodafés, mais cela n'est presque rien, tout juste mon minuscule avis, ma toute petite vérité, et j'aime autant laisser à Sophocle le mot de la fin :

"Ne laisse pas régner seule en ton âme l'idée que la vérité, c'est ce que tu dis, et rien d'autre. Les gens qui s'imaginent être seuls raisonnables et posséder des idées ou des mots inconnus à tout autre, ces gens-là, ouvre-les : tu ne trouveras en eux que le vide."
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Oedipe a quitté Thèbes mais pour autant, le calme n'est pas revenu. C'est Créon qui hérite du trône après que les deux fils d'Oedipe se sont entretués . Créon décide que Polynice, l'un des deux fils, ne mérite pas les honneurs funéraires. Antigone, soeur du défunt, ne supporte pas l'offense et décide de passer outre les ordres royaux.

Même si le niveau d'Oedipe roi n'est peut être pas atteint niveau tragédie , on est encore sur des niveaux que les auteurs actuels doivent hésiter à mettre en place pour ne pas entamer leur crédibilité. les Labdacides sont maudits , et bien comme il faut.
Au delà du destin familial, Antigone apparait comme une vraie pièce politique , le "doit on obéir à tous les ordres?' en toile de fond et sa réponse "Appartient il à l'opinion publique de nous dicter notre conduite ?".
De vraies questions , intemporelles, abordées ici rendant la position de Créon cornélienne bien avant l'heure !
Moins intemporelles, les querelles entre les Dieux du haut et ceux du bas et leur omniprésence dans la vie quotidienne.
Une pièce relue avec beaucoup de plaisir et qui m'entrainera assurément à nouveau dans la Grèce antique .
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Je viens de voir une représentation de « Antigone » de Sophocle. C'est peu dire que c'était une découverte tant je suis ignorant en théâtre grec classique. de plus ce n'était pas une représentation très « classique », puisque cela se passait au théâtre plein air de Saint-Gilles à la Réunion. Pour ceux qui connaissent, ce théâtre est situé sur les hauteurs de la ville, en forme d'hémicycle, en béton brut, très dépouillé. Sous les étoiles, on aurait pu vaguement se croire à Epidaure ou à Delphes. La scène, également très épurée, faite de caissons de bois et caisses plastique, avec ce qui pouvait faire penser, de loin à la façade d'une case créole. Et c'est justement ce mélange qui m'a paru intéressant, entre Grèce antique et culture afro créole. le texte, avait aussi été adapté, avec des dialogues et des chants en partie créoles. Cela n'aurait certainement pas déplu à Sophocle de voir sa pièce adaptée ainsi sous les tropiques. de plus le thème de l'obéissance à un tyran ou de suivre sa propre morale en en assumant toutes les conséquences, reste tout à fait d'actualité, il y a 2500 ans comme aujourd'hui et sous toutes les latitudes. Ce n'est pas sans rappeler parfois l'histoire de la Réunion, notamment la période de l'esclavage. Mais c'est une lecture peut-être un peu extrapolée de cette pièce. Voire… Les acteurs, magnifiques, Antigone et Créon resteront inoubliables, mais aussi les personnages secondaires clairement inscrits dans la créolité réunionnaise. Ce chef-d'oeuvre classique restera pour moi une des grandes découvertes culturelles de cette année.
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Aucune hésitation chez Antigone qui a choisi de braver l'interdiction éditée par Créon d'accomplir les rites funéraires sur son frère Polynice.

Créon comprendra un peu tard qu'il a enfreint la loi des dieux et en sera bien puni. C'est sans doute la leçon que veut nous donner Sophocle.

C'est amusant de constater qu'Anouilh a complètement zappé ce côté mythique.
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Ah Antigone, l'icône de la trangression par excellence !
Qui n'a pas entendu parler de cette jeune femme passionnée qui risuqa sa vie en affrontant les ordres de son oncle Créon, qui règne sur la ville de Thèbes tel un tyran ? Et tout ça pour quoi ? Par amour pour son frère décédé, Polynice, car ce dernier ayant commis un fratricide, tuant son frère Etéole, les honneurs réservés au mort lui sont refusés. Un refus gravissime lorsqu'on se souvient l'importance des rites funéraires qui devaient faciliter le passage vers l'au-delà dans la culture antique.

Par sa révolte et son geste, Antigone affirme que le pardon et les liens du sang sont plus forts que ne sauraient l'être les lois de la cité éditées par les hommes. Mais l'individu a tout de mêmes des "obligations" envers sa communauté, et les membres constitutifs de ce clan très élargis savent le lui rappeler...
Alors qu'est-ce qu'une loi "juste" ? Où s'arrête la cicété de la Justice pour laisser place à la vanité humaine ?

La lecture de cette pièce est toujours très intéressante aujourd'hui. Ce qui est intéressant aussi dans le combat d'Antigone c'est qu'elle refuse de se résigner à n'être "qu' " une femme dans un système ultra-patriarchale où la femme n'est même pas citoyenne mais au service de l'homme tant qu'il la juge digne d'honorer sa supériorité masculine, comme le répète Créon à plusieurs reprises.
Ce que cette pièce très narrative (normes du théâtre antique obligent!) met brillament en scène c'est l'équilibre ultra précaire entre la nécessaire cohésion du groupe par des règles auquel chacun doit se plier et la tyrannie égotique des dirigeants d'une part, puis le pouvoir très destabilisateur des individus non conformistes disons.

Il s'avère toujours instructif de revenir aux fondamentaux - entre autre pour voir combien de nombreux dramaturges de la Renaissance française ou anglaise s'en sont inspirés - et à plus d'un titre !


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Quand faut y aller, faut y aller (ce qui pourrait être la devise d'Antigone, après tout). Mais c'est une souffrance toujours renouvelée que de m'attaquer à la critique d'une pièce de théâtre grec antique. C'est une joie et une souffrance (pour reprendre une célèbre réplique de Truffaut , qu'il a utilisée pour une mise en abyme dans un film sur le théâtre, soit dit en passant, ce qui n'a d'ailleurs strictement rien à voir avec Antigone).


Donc, souhaitant faire une pause du côté des suites désastreuses de la guerre de Troie, ne voilà-t-il pas que je me lance dans les malheurs innombrables des Labdacides. Qui valent largement ceux des Atrides, mais ça vous le saviez déjà.


L'histoire d'Antigone fait suite à l'histoire des Sept contre Thèbes. Oui, mais, me direz-vous, ne serait-ce pas Eschyle qui a composé Les Sept contre Thèbes ? Et Sophocle qui a composé Antigone ??? Bien sûr, vous avez raison. Mais il semble aujourd'hui établi que ce n'est pas Eschyle qui a écrit la fin des Sept contre Thèbes, mais une main anonyme, afin que la tragédie annonce la confrontation de Créon et Antigone. Nous ajouterons en passant qu'Euripide lui-même avait également composé une tragédie sur Antigone, ce dont nous nous fichons royalement ici, vu que la pièce est perdue. Ce qui importe, c'est qu'encore de nos jours, on se demande à quel point Antigone n'est pas un personnage créé presque de toutes pièces par Sophocle, étant donné qu'il est impossible de trouver quelque source que ce soit de cette pièce.


On va en profiter pour se remettre vite fait dans le contexte - que je connais peu, pour tout dire. Toujours est-il qu'en -441, date de composition d'Antigone, les débats allaient bon train en Grèce sur la législation, l'opposition entre les lois humaines, sociales, et les lois dites "naturelles", c'est-à-dire de nature religieuse. Eschyle prenait parti pour les lois religieuses, quand Euripide se fichait éperdument de celles-ci. Quant à Sophocle, il a toujours été en retrait de tels débats : là ne réside pas son intérêt, là n'est pas son propos. Et ici, c'est Antigone, la jeune fille déterminée à atteindre son but coûte que coûte, qui l'intéresse. On sait d'ailleurs que les dieux, chez Sophocle, sont des entités inatteignables, dont les lois sont incompréhensibles, dont les desseins ne peuvent pas être appréhendés par les humains. Il est donc bien plus intéressant pour lui de se consacrer au destin individuel d'un personnage, qui luttera jusqu'au bout, même si Sophocle est évidemment conscient des questionnements liés à l'époque et au respect des lois.


J'évoquais Les Sept contre Thèbes, je résume l'intrigue au minimum pour ceux qui ne l'auraient pas en tête. Après la mort d'Œdipe, ses fils, Écléon et Polynice, se partagent le pouvoir à tour de rôle pour gouverner Thèbes. Jusqu'au jour où Écléon décide de garder le pouvoir. Révolte de Polynice qui, avec d'autres chefs militaires, va essayer de renverser Écléon et de monter sur le trône. Les deux frères s'entre-tueront, mais seul Écléon aura droit à des funérailles, Polynice étant jugé comme traître à sa patrie par Créon, le nouveau souverain. C'est là que se termine la tragédie d'Eschyle (avec quelques petits ajouts, comme on l'a vu précédemment), et que peut commencer la tragédie d'Antigone.

Antigone, fille d'Œdipe et de Jocaste, décide donc, en dépit de l'édit de Créon, de préparer des funérailles pour son frère Polynice, dont le corps est exposé aux yeux de tous et voué à être dévoré par les bêtes. Il n'existe aucun dilemme chez Antigone : pour elle, les lois religieuses sont sacrées et outrepassent les lois de la cité, son frère mérite d'être enterré et peu lui importe la punition encourue. Elle sait depuis le départ qu'on va la condamner à mort pour sa désobéissance, mais non contente d'assumer son destin, elle le choisit en pleine connaissance de cause. C'est un personnage qu'on pourrait qualifier de nos jours de psycho-rigide, et même d'obsessionnel, tellement elle est fermée à toute discussion. Elle va même plus loin que ça : quand sa sœur Ismène préfère se conformer à l'édit du souverain, elle la renie presque. Antigone semble n'éprouver d'amour pour personne : sa sœur et son fiancé ne lui importent pas ; jamais elle ne prononcera le prénom de son fiancé Hémon, jamais elle ne souciera des conséquences que ses actes pourront provoquer - il faut bien se mettre en tête qu'elle a mis en danger Ismène en lui dévoilant son plan, et que celle-ci n'échappe que de très peu à la condamnation à mort pour complicité. Si elle invoque sans cesse les morts (Œdipe, Jocaste, Polynice, mais non Étéocle) et son désir de les rejoindre dans la tombe, c'est moins par amour (comme si ce sentiment lui était étranger et qu'elle était atteinte de psychopathie) que par le sens du devoir dont elle est certaine qu'il lui incombe ; mais aussi parce qu'elle ressemble à une ombre, plus proche des morts que des vivants.


Créon est l'opposé d'Antigone, son ennemi et l'antagoniste sans lequel elle n'aurait pas de raison d'être et d'agir. Malgré ses beaux discours du début, on constate vite qu'il est assoiffé de pouvoir, peu soucieux du bien du peuple, insensible même aux prières de son fils Hémon. Mieux, il envisage de faire mourir Antigone sous les yeux de celui-ci. Si Antigone est une psychopathe, lui a tout du sociopathe. Ismène, Hémon, jouent les rôles habituels des médiateurs, sans succès. le coryphée, étonnamment, au lieu de tempérer les disputes à l'aide du chœur, ne sait à qui se vouer et adopte sans vergogne le point de vue du dernier qui a pris la parole. Quant au chœur, il n'intervient pas directement, c'est à peine même s'il relate le contexte. Son rôle semble plus du côté de la mélopée, du spectacle, que de la participation à l'intrigue - mais peut-être est-ce dû à la traduction que j'ai lue, qui rend en tout cas aussi bien que possible l'ambiance d'une pièce de théâtre grecque antique sur scène.


Difficile de trouver personnage plus rigide, plus déterminé, plus maîtresse de son destin que cette jeune fille issue d'une famille harcelée par les dieux, mais qui jamais ne déviera du chemin qu'elle s'est tracé.
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Lycéenne je n'ai pas eu l'occasion de lire des pièces de théâtre et encore moins des tragédies. C'est donc sur le tard et par le biais de la littérature de jeunesse que j'ai découvert l'immensité et la splendeur de la mythologie grecque.
Il était temps à 40 piges passées (je ne compte plus après !) de me plonger dans les textes de Sophocle. Sans appréhension mais avec humilité et bonheur.
C'est très agréable à lire et en même temps terriblement d'actualité.
Antigone est la fille du malheureux Oedipe qui vient de découvrir qu'il a épousé sa mère et que ces enfants sont donc nés de l'inceste.
Antigone la fidèle, la loyale qui ira jusqu'au bout de ses convictions payant le prix ultime.
Ses deux frères se sont entretués, chacun dans un camp. Celui qui s'est battu contre Thèbes n'aura pas droit aux derniers honneurs dus aux morts: une sépulture et des pleurs. Créon le roi de Thèbes l'affirme : que le corps de Polynice soit exposé aux chiens et aux oiseaux. Que celui qui osera désobéir à cet ordre sera sévèrement puni.
Antigone ne peut donc laisser le corps de son frère livré en pâture aux bêtes sauvages et aux intempéries. Elle a choisi en connaissance de cause. Elle sait qu'elle va mourir. Sa soeur Ismène a fait l'autre choix. Alors même que le fils de Créon et fiancé d'Antigone plaide pour la jeune femme, le roi s'entête.
Il est trop tard quand enfin il réagit.
Cette tragédie pose ainsi une question essentielle et intemporelle: faut-il obéir à un ordre manifestement injuste ou illégal (on peut faire le parallèle avec la 2nde guerre mondiale)?
Créon représente l'orgueil poussé à l'extrême. Il commet l'irréparable pour ne pas perdre la face en changeant d'avis.

C'est beau, c'est tragique.
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Une pièce qu'on ne présente plus. Encore une fois, il me fallait la lire pour les cours. J'avais déjà lu plusieurs fois la version d'Anouilh, qui est à mon sens (et à celui de beaucoup d'autres) un chef-d'oeuvre absolu, mais jamais l'original, tristement !
Je n'avais pas de raison d'être déçue, et je ne l'ai pas été. Je suis fascinée par le mythe d'Antigone depuis bien longtemps, et il était temps de lire la pièce fondatrice et non l'une de ses réécritures. Tout est très intense. On assiste à une opposition entre la loi des dieux incarnée par Antigone et celle des humains, représentée par Créon. La jeune fille refuse de se plier aux lois de son oncle, et brave la sanction, sûre qu'elle est de respecter la volonté des dieux. Elle est forte, digne, insoumise, et c'est cela qui fait d'elle un personnage si intéressant.
Pas de surprise, j'ai beaucoup aimé mais je dois dire que la pièce d'Anouilh, même si elle est une réécriture, reste indétrônable pour moi. Mais bon, j'ai bien conscience qu'il est quelque peu stupide de comparer deux pièces que tant de siècles séparent, donc je vais me contenter de dire que l'Antigone de Sophocle devrait être lue par tous, c'est une pièce véritablement fondamentale et très riche.
Lien : http://lantredemesreves.blog..
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Dans la famille maudite, je voudrais les descendants du roi de Thèbes. On connaît tous le mythe d'Oedipe (merci Freud) mais Ismène nous le rappelle d'entrée de jeu pour rafraîchir les mémoires frivoles : « Notre père est mort réprouvé, déshonoré ; lorsqu'il s'est lui-même découvert criminel, il s'est arraché les yeux et sa femme, qui était sa mère, s'est pendue ». On ne rigole pas tous les jours avec Sophocle, surtout lorsque la malédiction semble ne jamais devoir prendre fin : « Et voici nos deux frères qui se sont entre-tués, ne partageant entre eux que la mort, les infortunés ! »


Antigone et Ismène ne sont même pas autorisées à rendre hommage à leur frère Polynice en lui accordant une cérémonie funéraire digne de ce nom. Au même moment, en effet, le roi Créon pose un décret interdisant de célébrer cet ennemi de la cité. Ismène et Antigone sont d'accord pour reconnaître que cet édit est une absurdité prétentieuse et arrogante ; toutefois Ismène s'y soumet dans les actes tandis qu'Antigone refuse d'obéir et rejette sa soeur, qu'elle considère comme une traîtresse. Créon est au service absolu des vivants contre la dignité des morts ; Antigone est totalement dévouée à ses morts contre les vivants.

L'affrontement entre ces deux volontés contradictoires paraît inéquitable, mais de nombreux personnages vont s'interposer entre Antigone et Créon pour tenter de les raisonner et de les encourager à faire preuve d'un peu plus de flexibilité. C'est surtout auprès du roi que les personnalités se succèdent : d'abord le Garde, puis Hémon, le fils de Créon, qui doit épouser Antigone, et enfin Tirésias le devin. Rien n'y fait. Créon ne flanche pas, persuadé d'avoir raison envers et contre tous, plein d'une confiance aveugle et dévouée au régime politique qu'il a mis en place pour « le bien public ». Créon fait placer Antigone et Ismène en réclusion avant de les condamner au sort fatal qui leur échoie.

L'outrage causé aux morts est grand mais une faute plus terrible encore est commise lorsque Créon refuse de croire aux mauvais présages divins adressés à Tirésias. Trop pragmatique et fier pour croire aux signes, Créon écopera du sort qu'il mérite. Encore une fois, comme dans Ajax, ce n'est que lorsque les instincts pécheurs commencent timidement à se remettre en question que la punition s'abat sur eux. La malédiction se perpétue…


Antigone est une pièce subtile qui présente des personnages nuancés, aussi divers et changeants que la multitude des relations existant entre un mort et un vivant. Aux deux extrémités du spectre, on trouve Antigone et Créon. Entre eux se succèdent Ismène, qui obéit aux lois de la cité sans renier pour autant son rapport aux morts et aux dieux ; Hémon, qui respecte son père et qui exige que, par respect réciproque pour son fils, celui-ci tienne compte de son avis ; le Garde qui préfère l'obéissance divine à l'obéissance terrestre mais qui préfère avant tout sa vie à n'importe quelle autre valeur ; enfin Tirésias qui se fait l'intermédiaire censé entre Dieu et le pouvoir terrestre.


Sophocle alimente une réflexion sur le pouvoir politique, l'obéissance, la constance et la priorité des valeurs sur lesquelles se fondent un gouvernement et un individu. Demandez voir aux sympathisants de notre bonne vieille République s'il existe une autorité au-delà de celle de notre constitution, une autorité invisible, intangible, insurpassable - qui est peut-être celle inhérente à la logique de la possibilité d'une perpétuation de la vie dans l'ordre des générations au sein de l'espèce humaine - ils diront ne rien comprendre. Pourtant, cela était clair au temps de Sophocle, comme le dit Antigone: "Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non-écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître. Leur désobéir, n'était-ce point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir la rigueur des dieux ?" Cela l'était encore au temps de Cicéron qui n'illustre rien d'autre dans le Songe de Scipion - tout cela pour ne parler que de temps "non chrétiens", à qui imagine pouvoir répudier l'autorité éternelle en prétextant la lutte contre la religion. Créon, lui, prétend ne vouloir oeuvrer que pour le bien actuel, immédiat, celui qui pourrait surtout lui servir - le bien des autres qu'il veut effectivement pour s'en accaparer, le bien qu'il leur retire contre de la puissance dont il se rengorge. Lacan, dans son séminaire sur l'Ethique, le souligne: "Il est là pour le bien de tous. Quelle est sa faute ? " Elle est amartia : faute, péché, erreur de jugement. "Son erreur de jugement [...], pour lui Créon, de vouloir faire de ce bien la loi sans limites, la loi souveraine, la loi qui déborde, qui dépasse une certaine limite, qu'il ne s'aperçoit même pas qu'il franchit cette fameuse limite dont on croit bien sûr en avoir dit assez en disant qu'ANTIGONE la défend, qu'il s'agit des lois non écrites de la dikè, cette dikè dont on fait la justice, le dire des dieux." Refuser de donner une sépulture à un mort pour que la vie puisse continuer à circuler, au nom d'un principe immanent désigné comme le Bien totalitaire - voilà qui nous laisse songeurs, et qui nous rappelle bien des événements récents. La Justice s'abat - immédiatement - sur l'orgueilleux Créon. En notre monde ? Nous ne savons pas, ou peut-être ne le voyons-nous pas.

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