En toute sincérité, cette pièce de
Sophocle permet de mesurer l'étendue de la puissance évocatrice de la langue grecque dont elle est un des fleurons de l'âge d'or, ici versus athénien du Vème siècle avant l'ère commune.
Du haut de
Oedipe roi, 25 siècles vous contemplent !
Ce texte est restitué en français dans une prose fidèle aux battements élégants du texte source. Avec une langue aussi belle que élégante, aux élans modérés par la raison et par le raisonnable qui sont sources ici chez
Sophocle de grandeur et de respectabilité.
Malgré des sommets tragiques le ridicule est splendidement absent de ce texte qui y est pourtant bien exposé , de par ses transports émotionnels ,civiques et personnels extrêmes. Des transports qui se contentent pourtant ici d'êtres éloquents, parlants et riches d'enseignements sans êtres grotesques ,même rituellement ou moralement. Ce texte vous fera penser aussi à juste titre à la mythologie psychanalytique contemporaine mais je ne m'étendrais pas là-dessus (sourires).
Le théâtre grec à des sources totalement religieuses et il est en rapport avec le culte dionysiaque. Les représentations théâtrales sont littéralement un aspect du culte et progressivement un aspect majeur, très populaire et très élaboré du culte civique dans le cadre poliade.
L'auteur de théâtre n'a pas que du talent il est aussi porté par l'enthousiasme et l'inspiration au sens grec de ces termes. Ceci lui confère une certaine liberté et une certaine utilité sociale et religieuse.
Le titre grec fait référence à Tourannos ,c'est le texte en latin qui parle de Rex. le texte de
Sophocle n'utilise pas le mot Basileus qui est le vocable pour parler du souverain royal légitime et en majesté en grec. Il emploie le mot de Tourannos qui dès la même époque évoquait déjà suffisamment (les lettres de
Platon) en sciences politiques ce qu'évoque notre mot actuel de Tyran. Tourannos anciennement veut dire roi ,roitelet, potentat ,souverain mais le mot induit une certaine dépréciation et en tout cas il induit un déficit de grandeur considérable.
Donc cette titulature vous mettra peut-être la puce à l'oreille sur le fait que si vous avez dans l'idée de plaindre Oedipe vous pouvez le faire ,mais son destin l'entache dès le départ d'une aura de faillite structurelle et rituelle en tant que souverain.
Le choeur n'hésitera pas dans la confrontation d'Oedipe avec le devin à la fin de l'oeuvre à qualifier Oedipe de Tyran.
Dans le mythe originel ,Héra la déesse du foyer est très en colère car on a assassiné Laïos roi de Thèbes (au cent portes). Elle envoie donc le Sphinx ravager le territoire de la polis de Thèbes.
Oedipe va résoudre l'énigme du Sphinx et hériter du trône de la cité . Il n'est pas sans tache néanmoins même s'il l'ignore car sans le savoir il a épousé sa mère (Jocaste) après avoir tué son père Laïos.
Il y a là trois enseignements helléniques : le parricide et l'inceste sont des souillures « abominables » ,la souillure est indélébile et elle porte mécaniquement de l'efficience néfaste et fatale. le roi sert à protéger la cité du désastre mais il peut aussi causer sa perte.
Oedipe comme ses véritables parents avant lui seront les victimes d'une mauvaise interprétation de l'oracle de Delphes . Ils ne sont pas les victimes d'un manque de chance donc .
Le théos (le Divin qui à l'époque.classique ne signifie pas Dieu) est la cause de tout et il plane sur l'univers pour le meilleur et pour le pire. Ses effets résultent de la justice immanente (à chacun ce qui lui revient de par sa nature et non de par une égalité immanente et ontologique).
Les voies et les voix divines sont impénétrables car par sa nature un homme même savant ne peut appréhender la véritable nature des choses ( les connaitre) . C'est pour cette raison que la consultation des oracles est une science. Il est très périlleux d'improviser en la matière. Je le souligne ,c'est une véritable science qui est l'objet d'un enseignement spécialisé sérieux et réputé. Un savoir qui niche sa fonctionnalité notoire jusqu'aux plus hauts paliers de l'état.
Les spectateurs de Oedipe Tourannos compatirons donc avec ces gens qui crurent poussés par la nécessité , qu'ils pouvaient improviser dans l'interprétation des oracles ,les malheureux ! Voici pour un grec qui ajoute du drame par deux fois à la tragédie.
Les effets du Théos s'imposent aux dieux comme aux hommes d'ailleurs.
Trois personnes royales qui vont causer conformément à leurs êtres souillés, la perte de Thèbes aux cent portes, qui pour l'heure est terrassée par une peste impitoyable et donc par les flèches d'apollon.
Selon la version du mythe retenue par
Sophocle Oedipe aura des enfants de sa mère (d'une seconde épouse dans d'autres versions) .Ses crimes pourtant accomplis dans le cadre d'une cécité aveuglante (sourires) le rendront malheureux et ils rendront défaillante sa nature de souverain et par là son statut royal.
Ultimement ses enfants seront aussi maudits (par lui et par le destin) et cela nous vaudra le plaisir de lire : Les sept contre Thèbes.
Lorsque
Sophocle offre cette pièce au démos (peuple) d'Athènes en réunion quasi ecclésiale sur les gradins des pentes de l'acropole Athènes est à un des sommets de sa puissance. C'est pour cela que je mentionne les cent portes de Thèbes qui soulignent la majesté de cette cité qui pourtant bien qu'elle fut grande elle fut mortellement accablée par les effets de la souillure de ses rois.
Cela sonne comme un grand péril potentiel pour les athéniens au sommet de leur puissance (ligue de Délos et expédition de Sicile) et cela fait une part importante de la portée émotionnelle de la pièce.
Sophocle anime un mythe dans cette oeuvre ce n'est en aucun cas un texte laïc au sens contemporain du terme et il ne saurait même être regardé comme totalement profane et il ne l'est pas même s'il a une portée politique.
Le nom originel d'Oedipe ( Oedipais et non comme ultérieurement Oedipous) fait référence à une mer tempétueuse donc à mon humble avis les embruns représentent bien oedipe dont la présence ne manqua jamais de faire des vagues (sourires).
L'histoire d'Oedipe appartient à un cycle épique mis (anciennement) par écrit en vers à Sparte mais il est aussi ,une pièce ancienne de la tradition orale instable, poétique d'un narratif mythologique de Oedipe .
Même «
Homère » au chant XXIII de l'Iliade se fait l'écho de funérailles d'Oedipe à Thèbes ( et non en exil) . Par ailleurs Ulysse au chant XI de L'Odyssée croise dans l'Hadès (séjour des morts) la mère d'Oedipe qui n'est pas Jocaste.
Le public de
Sophocle savait tout cela et je serai bien en peine de savoir exprimer ici les résonnances antiques véritables de cette oeuvre qui ne peuvent manquer d'être subtiles et largement impénétrables pour nous autres.
Oedipe triomphe du sphinx par la Métis qui est plus que la ruse car elle est aussi le signe d'une capacité à questionner le Logos (discours ,raison). Oedipe est un roi défaillant même si » innocent » et pourtant responsable bien que floué par le destin.
Cette défaillance d'oedipe montre en quoi il leur était difficile , à nos chers athéniens et aux grecs en général de considérer le libre arbitre comme une valeur intrinsèquement fondatrice de la moralité et même de la responsabilité. Ce qui n'est plus notre cas sourires.
Bon voilà j'ai moins essayé de commenter
Oedipe roi que de parler et penser grec, pour vous ,pour vous servir à quelque chose.
Souvenez-vous que le titre en français vient du latin ,Rex n'est pas conforme à Tourannos et le titre grec ne parle pas véritablement d'un roi au sens latin et grec du terme (Rex – Basileus).
Il faut noter enfin et pour conclure que
Sophocle parle à ses concitoyens dans un langage religieux ,mythique et épique. Quand il mobilise la forme politique royale devant ses pairs il est dans le passé épique car il n'y a plus et de longue date, de rois en Grèce.
par contre il y a des tyrans et notamment à Syracuse en grande Grèce qui confisquent le pouvoir (sourires) alors que les démocrates athéniens se précipitent contre eux ce que ne fait pas Nicias qui bien que stratège en Sicile est un des chefs de la faction oligarchique athénienne qui ne persécutera pas
Sophocle à la fin du régime démocratique à Athènes et qui ,soit dit en passant, était un grand amateurs de divination et d'oracle comme
Sophocle.