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J'aime beaucoup ce Philoctète de Sophocle. C'est une pièce assez atypique que je peine à appeler tragédie. Si j'avais à la positionner absolument dans une case précise, ce qu'en soi je répugne toujours à faire, je la qualifierais plus volontiers de drame psychologique.

Ce n'est pas — et de loin — la pièce la plus connue de Sophocle et pourtant, elle présente de nombreuses qualités, même pour un lecteur du XXIème siècle après cet hypothétique inconnu qu'on nomme Jésus-Christ (hypothétique inconnu du temps de Sophocle j'entends, lui qui écrit environ quatre siècles avant).

Il n'est sans doute pas inutile de rappeler quelques éléments de la biographie de Philoctète. C'est un ancien compagnon d'Héraclès (Hercule pour les latinistes) qui, à la mort de ce dernier, a hérité de son arc, un arc aux pouvoirs semi-magiques, qui jamais ne rate sa cible, ce qui en fait donc un arsenal redoutable à lui tout seul.

Philoctète, d'une droiture morale irréprochable (même un peu psychorigide par moment) était lié par un serment, celui de ne jamais révéler l'endroit de la sépulture du grand héros dont il tient son arc. Or, par l'entremise d'un oracle de Delphes, (les oracles de Delphes, à l'époque, c'était quelque chose, croyez m'en) les Grecs acquirent la conviction qu'ils ne s'empareront de Troie que si Philoctète leur révèle l'endroit précis de cette tombe.

Notre vaillant archer, tiraillé entre ces deux exigences adverses, ne voulant trahir ni son serment, ni les Grecs, de mauvaise grâce désigne du pied l'endroit. Grand mal lui en prit car aussitôt, la nymphe qui faisait sentinelle sur le tombeau, transmutée en vipère, injecte une portion de venin propre à terrasser un cheval dans le talon du malheureux Philoctète.

Souffrant horriblement, ayant le pied purulent et proche de la putréfaction, hurlant de douleur constamment. Philoctète devint une gêne pour ses compagnons d'arme. Et pour reprendre les remarques d'un certain président, n'eût été que le bruit, passe encore, mais l'odeur absolument insoutenable de la mauvaise blessure pousse Ulysse, oui, oui, le vrai Ulysse, ce héros incomparable, à accomplir un acte assez peu recommandable.

Avec quelques hommes, ils emmènent le braillard putride loin sur une petite île isolée et désolée, livré à son triste sort. Et pendant dix ans, Philoctète se traine lamentablement sur un pied parmi cette misère de pierres, vivant des seules ressources de son arc, à maudire tant des dieux qui lui ont infligé pareille épreuve que d'Ulysse, dont il ne rêve que de la mort.

C'est à ce moment précis que débute la pièce de Sophocle. La guerre de Troie n'en finit pas et bat même son plein. Seulement, les Grecs s'étant emparés d'un Troyen visionnaire dont les prédictions s'avèrent toujours exactes, Hélénos, ont désormais acquis la conviction qu'ils ne remporteront la victoire que si Philoctète lui-même revient combattre avec son arc.

C'est donc gênant pour Ulysse, lui qui l'a lâchement abandonné à son pied purulent sur un rocher oublié. Celui-ci demande donc son aide à un preux guerrier, Néoptolème, le fils du probe et vaillant Achille et qui se caractérise par la même sincérité et honnêteté morale que son père.

Ulysse sait que seul quelqu'un tel que lui peut infléchir le borné et têtu Philoctète dans son refus d'aider jamais les Grecs à nouveau après le revers qu'ils lui ont infligé.

J'ai tenu à vous faire cette longue présentation pour que vous mesuriez bien tout l'enjeu de la pièce et qui est selon moi intéressant. Tout va donc se résumer à convaincre quelqu'un dont on s'était fait un ennemi de venir combattre à nos côtés pour emporter une victoire dont l'autre n'a que faire.

Drôle de challenge pour Néoptolème, car, si tant est qu'il parvienne à décider Philoctète de prendre son parti, encore faudra-t-il parvenir à rabibocher Ulysse et Philoctète, et ça, c'est presque aussi compliqué que de faire coopérer les O'Timmins et les O'Hara des Rivaux de Painful Gulch !

Ce qui m'a donc intéressée ici, ce sont les aspects psychologiques et philosophiques soulevés. D'une part, l'ingratitude et la trahison endurées par Philoctète ce qui engendre fatalement rancune et désir de vengeance. Et d'un coup, me reviennent tant de cas d'ennemis héréditaires et héréditairement inconciliables, comme Israéliens et Palestiniens, par exemple.

Le message de Sophocle est ici intéressant. Selon lui, on se punit soi-même si l'on refuse l'opportunité d'une main tendue par l'ennemi, sous prétexte que les vieux comptes ne sont pas encore soldés, sous prétexte que l'on a été martyr et pas encore vengé.

J'y vois pour ma part une vraie philosophie de vie, à savoir que c'est de présent et d'avenir que nos vies doivent faire leur pain quotidien, les blessures du passé ne doivent pas être oubliées, mais ne doivent pas non plus compromettre les bonnes volontés présentes. Je vous laisse méditer sur ce message de sagesse vieux de vingt-cinq siècles...

J'hésite donc entre trois et quatre étoiles car cette oeuvre, comme toutes les tragédies grecques, souffre un peu de la couche de poussière qui la recouvre, mais, si l'on se donne la peine de la gratter un peu du bout de l'index, présente aussi des brillances insoupçonnées. Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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De quoi cause-t-on ici ?

Eh bien d'une péripétie tardive et capitale de la guerre de Troie. Ça fait dix ans que celle-ci traîne et on n'en voit toujours pas le bout. Mais un troyen capturé, Hélénos, quelque peu devin, affirme aux Grecs que seuls le retour de Philoctète et de son arc infaillible dans leurs rangs assurera la chute de Troie.
Le problème, c'est que les Grecs ont abandonné Philoctète sur une île déserte il y a dix ans (aussi) car, atteint d'un mal imposé par une déesse, mal purulent et nauséabond et hurlant sans cesse, il abîmait le moral des guerriers. Il ne va donc probablement pas accepter de revenir avec un sourire sur le visage.

C'est donc Ulysse qui accepte de s'y coller. Il débarque sur l'île en compagnie de Néoptolème (fils d'Achille, également indispensable à la chute de Troie selon Hélénos) et monte un stratagème dont il a le secret : Néoptolème va se présenter à Philoctète en criant son propre dépit envers les Grecs qui ont osé remettre les armes de son père à l'infâme Ulysse. Il va gagner sa confiance, accepter de le prendre à son bord avec l'arc et de le ramener chez lui… alors qu'en réalité il le ramènera à Troie.
Le stratagème fonctionne mais Néoptolème est vite pris de remords. Philoctète fait pitié et la ruse est véritablement indigne d'un guerrier et du sens moral. Juste avant d'embarquer, le fils d'Achille déballe tout à Philoctète qui entre dans une grande fureur et refuse tout net d'embarquer pour aider ses bourreaux.

Cette pièce n'est pas marquée par l'action. Elle l'est en revanche par la manipulation et le remord qu'elle génère chez Néoptolème d'abord, puis par les tentatives de conviction sincère que ce dernier déploie envers un Philoctète déchiré entre sa haine envers les Grecs et sa peur de devoir rester seul sur l'île jusqu'à la mort. Philoctète est un personnage très intéressant, mélange de Robinson Crusoé et d'Edmond Dantès qui a vécu dix années d'un enfer douloureux et solitaire. Il passe sans cesse de la colère à la frayeur comme une balle de ping-pong ballotée entre deux raquettes. L'évolution de Néoptolème de l'acceptation de son devoir sacré envers les Grecs vers la compassion envers Philoctète et l'abjection de son propre comportement est très bien retranscrite. Et on a à nouveau un portrait d'Ulysse qui est plutôt à charge : fourbe, lâche, adepte de l'adage « la fin justifie les moyens ». Plus je lis de l'antique, plus Ulysse perd des points dans mon top 50 des héros.

La fin est un peu décevante car l'impasse n'est pas dénouée par les hommes présents. Il faut l'intervention d'un dieu (en l'occurrence Héraclès qui a intégré l'Olympe et a jadis confié son arc à Philoctète) qui siffle la fin de la récré et indique la bonne direction à tout le monde : A Troie on vous dit ! ni une ni deux Philoctète obéit et accompagne Néoptolème. Fin bâclée quoi !
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Philoctète est une tragédie particulièrement intéressante à lire suite à Ajax. Ajax constitue la première pièce que l'ont ait conservée de Sophocle, Philoctète est en revanche beaucoup plus tardive et les deux semblent presque se répondre.

Sophocle se tient à un sujet proche d'Ajax, le destin individuel d'un héros fracassé et humilié pendant la guerre de Troie. À ceci près que, si Ajax était pris d'une folie furieuse d'une nuit et mettait rapidement fin à son humiliation, Philoctète subir la sienne durant dix ans - voire durant toute sa vie, vu que la fin reste très ouverte sur le destin psychologique du héros.

Sophocle n'est pas le premier à avoir écrit une tragédie sur Philoctète (ni même le dernier), on sait qu'Eschyle et Euripide, au moins, s'étaient attelés au sujet ; mais comme souvent, il n'en reste pas grand-chose, sinon des résumés. Ce qui nous permet de savoir que Sophocle - mais c'est presque une évidence - a traité le personnage différemment. Il a de plus modifié plusieurs éléments concernant le Philoctète que l'on connaît habituellement ou tels que l'avaient conçus Eschyle et Euripide. Il a bien été le compagnon d'Héraclès, il a bien hérité de ses armes, il a bien fait partie de l'expédition pour Troie, il a bien été touché au pied par une des terribles flèches d'Héraclès qui a causé un ulcère tellement infect que ses compatriotes, n'en supportant pas l'odeur, l'ont relégué loin d'eux, sur l'île de Lemnos. Mais ici, l'île de Lemnos n'est pas habitée, ce qui laisse Philoctète complètement seul, il n'y reste pas un an mais dix, ce qui change encore davantage la donne. Et Sophocle a introduit le personnage de Néoptolème, le fils d'Achille, auprès d'Ulysse. Néoptolème dont la jeunesse est un élément particulièrement important.

En effet, alors que la guerre de Troie s'enlise depuis des années, un oracle annonce aux Grecs que seul Néoptolème pourra faire tomber la ville, et encore, uniquement avec les flèches d'Héraclès, détenues par Philoctète. Donc, on ne peut se passer ni du jeune, ni du vieux héros. Ce qui pose forcément un problème, vu que non seulement on a envoyé Philoctète sur Lemnos, mais qu'il est dangereux de s'approcher de lui (une certaine rancune envers ses anciens compagnons l'habite...) à cause de ses flèches mortelles. le ramener de force paraît impossible, donc, devinez qui peut bien se charger d'aller le chercher en utilisant la ruse ? Ulysse, ça va de soi. Qui emmène avec lui le jeune Néoptolème, doté d'une certaine pureté morale et d'une capacité réelle de compassion, mais dont l'âge le rend facilement sensible aux discours d'Ulysse.

Toute la tragédie va donc porter sur la dualité d'un héros usé, pathétique, en loques, et un artisan de la ruse, entre un héros rejeté, oublié de tous, et celui qui incarne l'avenir, entre le sens de l'honneur et un pragmatisme mis en oeuvre pour gagner la guerre, entre le besoin indéfectible pour l'ancien compagnon d'Héraclès de conserver sa dignité, quoiqu'il lui en coûte (et ici, il s'agit pour Philoctète de rester toute sa vie à Lemnos) et les fluctuations morales d'un héros encore bien jeune.

Les affrontements verbaux ne sont pas aussi jubilatoires que dans Ajax. Leur rôle est de faire ressortir toutes les oppositions que je viens de mentionner, de mettre en exergue aussi bien la situation pathétique (ce que souligne beaucoup le chœur) et sans issue de Philoctète, que la compassion et, malgré quelques tergiversations, la droiture de Néoptolème, ainsi que, mais dans une moindre mesure - d'autant que les trois tragédiens grecs nous y ont habitués - la position que défend Ulysse.

Le reproche que je ferai à la pièce, c'est l'utilisation d'un deus ex machina alors que, avec la décision en faveur de Philoctète et contre Ulysse qu'a prise Néoptolème, la tragédie s'enlise dans une non-résolution à la situation tragique : comme on sait - et le public grec du Vème siècle le savait encore bien mieux que nous -, que les Grecs vont faire tomber Troie tel que ça a été prédit, il est impossible qu'Ulysse ne ramène pas Philoctète avec lui. Il faut donc trouver une façon d'en terminer qui colle avec le mythe, et hop, deus ex machina !

Mais ma dernière remarque concerne les dieux : Philoctète en appelle à Zeus, demandant s'il a mérité le sort lamentable et méprisable qu'on lui réserve. Les dieux sont-ils responsables du sort de Philoctète, et si oui, pourquoi ? On ne sait pas. On ne sait pas si leurs décisions ont une influence décisive sur le destin individuel des humains, et on ne sait pas quels mystères recèlent ces éventuelles décisions. Ce qui n'empêche pas, en général, les personnages de Sophocle d'essayer d'aller envers et contre tout pour contrer le destin qui semble leur être imposé de façon aléatoire. Ce qui est bien le cas ici ; mais si Ajax réussissait à conserver son honneur par le suicide, qu'en est-il de Philoctète ?



Challenge Théâtre 2018-2019
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Que personne ne bouge ! Personne ne meurt ! Avec Philoctète, Sophocle nous épargne les assassinats cruels, les suicides grandiloquents et les représailles vengeresses. Pour autant, on ne peut pas dire qu'on se repose… Si la mort n'est pas toujours belle à voir, la vie ne l'est pas davantage, surtout lorsqu'elle s'acharne sur un personnage en particulier.


Ainsi en est-il de Philoctète. En route pour Troie à bord d'un bateau, il se tire par inadvertance une flèche dans le pied. le pied se gangrène et pour ne pas finir ensevelis sous des fragrances infâmes, les compagnons de Philoctète abandonnent le malheureux sur l'île déserte de Lesbos. Au moment où nous le découvrons dans la tragédie de Sophocle, dix années se sont écoulées depuis cet accident. On imagine aisément que toutes ces années ont permis à Philoctète de nourrir une haine sans faille pour ses compagnons de voyage… mais voilà que ceux-ci désirent désormais l'extirper de son île déserte pour le rapatrier vers Troie. Compassion ? Remords ? Que nenni ! Un oracle a prédit que Troie ne pourrait être prise sans Philoctète et ses fameuses flèches confiées par Héraclès.


Parmi ces fameux compagnons –qu'on préfèrerait ne pas avoir- se trouve Ulysse. Il débarque sur l'île de Lemnos en compagnie de Néoptolème, fils d'Achille, qu'il persuade d'aller à la rencontre de Philoctète pour l'attirer dans un bateau en direction de Troie. La ruse est de rigueur… le brave Néoptolème s'oppose de tout coeur à cette trahison mais trop obéissant pour refuser de se soumettre aux ordres d'Ulysse, il obtempère malgré tout. La ruse fonctionnera-t-elle ou non ? Philoctète embarquera-t-il finalement pour Troie ? Découvrira-t-il la machination dont il a été la victime ? Êtes-vous certain que personne ne mourra ? (allez, rien qu'un cadavre, pour le plaisir !)


Si la tragédie s'inscrit, comme d'habitude avec Sophocle, dans les corps et les chairs meurtris, la pièce de Philoctète insiste particulièrement sur l'aspect psychologique de ses personnages. Les ruses déployées pour contrer les émotions sont bientôt détournées par de nouvelles et imprévisibles réactions –grandiloquentes, comme à leur habitude.


Pour moi qui ne suis qu'une hérétique, pour moi qui ne connais de la légende de Philoctète que cette version donnée par Sophocle –et qui ne peux donc la comparer à aucune autre-, je ne lui trouve qu'une valeur mythologique et historique. La lecture n'est pas désagréable mais n'enchante pas non plus. Elle ne provoquera pas d'étonnement, ni même de plaisir particulier. Même si Philoctète, Ulysse et Néoptolème sont des êtres humains, ils semblent si désincarnés qu'on lit leurs aventures comme on regarderait des dieux s'affronter dans le ciel, très loin de nous. Si loin qu'ils nous échappent…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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C'est lors de ma lecture de «L'homme dans le labyrinthe» de Robert Silverberg que BazaR m'informa que l'auteur s'était inspiré de Philoctète pour son personnage principal. Il était donc logique pour moi de lire cette pièce de Sophocle, bien que je ne sois pas très familière des lectures antiques.

Alors qu'il l'a abandonné, 10 ans plus tôt, en piteux état sur l'île de Lemnos, Ulysse doit retourner chercher Philoctète car un oracle a prédit que seul ce dernier pourra faire gagner aux grecs la guerre de Troie grâce à son arc et ses flèches, héritage d'Héraclès.
Ulysse se doute bien que son retour auprès de Philoctète ne sera pas bien accueilli, bien au contraire. Il décide donc de faire intervenir Néoptolème à sa place pour convaincre l'homme de monter sur son bateau.
Néoptolème est le fils d'Achille, c'est un jeune guerrier intègre et honorable qui ne peut qu'inspirer confiance à Philoctète. le jeune homme rechigne à mentir au début, mais se plie à la volonté d'Ulysse en obéissant aux ordres. Et ça marche ! Mais saisi de culpabilité face à cet homme blessé physiquement (infection au pied) et moralement (abandon, trahison), il avoue finalement sa ruse...

Une pièce relativement courte et qui se lit assez facilement, j'ai plutôt apprécié et lirai certainement d'autres textes de Sophocle. Un bon moyen en tout cas de découvrir la mythologie grecque...
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Philoctète a été abandonné sur l'île de Lemnos par les armées achéennes: la blessure qu'il a au pied dégage une odeur tellement insoutenable et ses cris de douleur sont si insupportables que , lâchement, les siens l'ont livré à la solitude et à la sauvagerie des lieux et ont fait voile ailleurs...
Mais Philoctète a les armes d'Héraklès qui seules assureront, d'après les oracles, la victoire finale des Grecs et la chute de Troie. Il faut donc les récupérer.
Ulysse aux mille ruses - pas dans son plus beau rôle, ici- en trouve donc une, bien lâche et bien sournoise, pour venir à bout de la rancune du héros blessé à l'égard de des siens et lui faire lâcher les armes fameuses : il lui envoie un petit jeune, bien sous tous rapports, vierge de tout conflit, qui n'a pas participé aux combats mais porte un grand nom: Néoptolème -ou Pyrrhus- fils du bouillant Achille...avec pour mission de duper Philoctète et de lui soutirer les armes.
Le petit doigt sur la couture ...de la tunique, Néoptolème s'exécute..mais son côté gentleman répugne à la besogne. En effet, il doit feindre de s'être brouillé lui aussi avec les Grecs pour mieux gagner la confiance du malheureux Philoctète..

.La partie est presque gagnée...quand Néoptolème, dégoûté du rôle qu'on lui fait jouer et attendri par le malheur et la sincérité de Philoctète qui croit enfin avoir trouvé un ami, lui avoue tout: la ruse, le mensonge, la manipulation..

La tragédie n'est pas ici dans la mort programmée d'un héros désigné à la vindicte divine : elle est dans l'horreur de la trahison et du mensonge au coeur même de ce qui fait la plus haute valeur de ces guerriers grecs: la "philèia" , l'amitié.

Philoctète peut-il croire encore, après cette seconde trahison, à la société des hommes? à la fraternité des armes? au courage et à la force morale de ses anciens compagnons?Peut-il encore croire à l'humanité?

Celui qui sauve tout dans cette tragédie c'est le beau personnage de Néoptolème -loin du Pyrrhus qu'il deviendra, en changeant de nom, chez Racine-: c'est un jeune homme beaucoup plus que bon chic, bon genre: un homme tout en sensibilité, un guerrier conscient de l'honneur de son nom et de celui de son bras, en un mot, un honnête homme aurait dit Montaigne.

Que les armes soient finalement récupérées et qu'une des flèches , données à papa Achille, dit la légende, transperce Pâris, le fauteur de guerre, n'a que peu d'importance.La pièce reste une tragédie terrible.

Les Grecs ne sortent pas grandis de cette manoeuvre honteuse et le dénouement, sans mort , est plein de noirceur et d'amertume...
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Ce matin, faisant un peu de rangement, je suis tombé sur l'ouvrage de Georges Fenech "Qui imagine le général De Gaulle mis en examen ? " sous titré "Chronique secrète d'une élection imperdable" [ j'ajoute "mais bel et bien perdue" ] et je retrouve, en incipit de l'avant-propos, cette magnifique citation de Sophocle, parfaitement adaptée au sujet de l'opus et qui n'a rien perdu, en cet été 2018, de son actualité, n'est-ce pas, "Manu" ?
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L'existence nous joue des tours, à tous. Nous réfléchissons, nous pesons, nous essayons de comprendre. Parfois, nous regardons ceux qui nous entourent. Et alors nous comprenons certaines choses. Parfois, nous échafaudons des raisonnements qui nous rassurent et expliquent. Mais lier les deux ? C'est un travail à la hauteur des titans.
Dans Philoctète, Sophocle lie l'honneur, l'amitié, la confiance, les caractères opposés des uns et des autres. Pour autant, aucun jugement ne se trouve dans les actes que Sophocle prête aux différents protagonistes. Ce qui est déjà le signe d'une grande oeuvre, que chacun des personnages soit animé d'une existence qui semble réelle.
Mais Sophocle trouve également le moyen, et en si peu de pages, de développer un raisonnement sur les enjeux de l'intérêt collectif par rapport au bien de chacun. de même, sans juger l'un ou l'autre.
Par l'enchevêtrement des deux, il laisse percevoir l'humain dans tout son éclat, mais aussi la vacuité d'un jugement qui se voudrait universel, définitif.
Bref une grande oeuvre, immense et méconnue, à lire, à relire, à méditer à tout âge.
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Lecture surprise, que je n'aurais pas attendue de moi. J'en suis arrivé là en suivant le fil de l'eau de commentaires sur Babelio. Lecture de "Solaris" de Stanislaw Lem, qui, contrairement au film de Soderbergh, m'avait barbé. Appel à conseils sur Babelio pour de la science fiction qui n'est pas centrée sur l'anticipation ni l'exotisme mais sur la psychée humaine. Conseil de Fifrildi pour Silverberg. D'où "l'homme dans le labyrinthe". Remarque de Thimiroi sur le fait que le scenario est inspiré de Sophocle. Et voilà.

Lecture davantage studieuse que passionnée. Qui me donne envie de lire Antigone et Oedipe Roi (en plus mon épouse est psychanalyste, je vais me faire bien voir).

....bien sûr, comme pour tous les mythes et tragédies grecques on peut s'en servir de point de départ pour réfléchir sur les situations contemporaines. Ici : le mensonge est-il justifiable ? Un héros est-il forcément fort ? L'amitié s'arrête-telle là où la puanteur commence ?
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Cette tragédie s'appuie sur les récits homériques de la guerre de Troie pour mettre en valeur les tensions qui peuvent séparer intérêt particulier et intérêt général. D'un côté Philoctète, vieux soldat abandonné par ses pairs sur une île déserte lorsqu'ils se rendaient en Troade, de l'autre Ulysse, revenu le chercher dix ans plus tard pour donner la victoire aux Achéens, selon une prédiction du devin Hélénos. Enfin, au centre, le jeune Néoptolème, fils d'Achille, dans le rôle du conciliateur, chargé par le fils de Laërte de jouer sur le mensonge et la ruse afin d'embarquer un Philoctète amer et en colère contre les chefs grecs, notamment Ulysse. Drame éminemment psychologique où les discours contradictoires s'affrontent. Question morale de la puissance de la parole sur les consciences humaines: un propos hypocrite mais aux accents de vérité persuade mieux qu'un aveu sincère et juste. Doit-on mentir pour le bien commun ? Les croyances en une figure d'autorité n'emportent-elles pas mieux la partie qu'un discours faisant appel à la raison?

Lu dans le premier volume des Tragiques Grecs n°193 de la Pléiade. Traduction de Jean Grosjean.
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