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Critique de Nastasia-B


Cette édition des Belles Lettres regroupe deux pièces qui, outre l'auteur, n'ont pas grand-chose à voir l'une avec l'autre, sauf peut-être sur la thématique du vieux héros délaissé et abandonné à son triste sort. Pourquoi pas, mais sans conviction en ce qui me concerne.

1) PHILOCTÈTE.
Tout d'abord, Philoctète, une pièce que j'aime beaucoup mais pour laquelle il n'est sans doute pas inutile de rappeler quelques éléments de la biographie de son héros.

C'est un ancien compagnon d'Héraclès (Hercule pour les latinistes) qui, à la mort de ce dernier, a hérité de son arc, un arc aux pouvoirs semi-magiques, qui jamais ne rate sa cible, ce qui en fait donc un arsenal redoutable à lui tout seul.

Philoctète, d'une droiture morale irréprochable (même un peu psychorigide par moment) était lié par un serment, celui de ne jamais révéler l'endroit de la sépulture du grand héros dont il tient son arc. Or, par l'entremise d'un oracle de Delphes, (les oracles de Delphes, à l'époque, c'était quelque chose, croyez m'en) les Grecs acquirent la conviction qu'ils ne s'empareront de Troie que si Philoctète leur révèle l'endroit précis de cette tombe.

Notre vaillant archer, tiraillé entre ces deux exigences adverses, ne voulant trahir ni son serment, ni les Grecs, de mauvaise grâce désigne du pied l'endroit. Grand mal lui en prit car aussitôt, la nymphe qui faisait sentinelle sur le tombeau, transmutée en vipère, injecte une portion de venin propre à terrasser un cheval dans le talon du malheureux Philoctète.

Souffrant horriblement, ayant le pied purulent et proche de la putréfaction, hurlant de douleur constamment. Philoctète devint une gêne pour ses compagnons d'arme. Et pour reprendre les remarques d'un certain président, n'eût été que le bruit, passe encore, mais l'odeur absolument insoutenable de la mauvaise blessure pousse Ulysse, oui, oui, le vrai Ulysse, ce héros incomparable, à accomplir un acte assez peu recommandable.

Avec quelques hommes, ils emmènent le braillard putride loin sur une petite île isolée et désolée, livré à son triste sort. Et pendant dix ans, Philoctète se traine lamentablement sur un pied parmi cette misère de pierres, vivant des seules ressources de son arc, à maudire tant des dieux qui lui ont infligé pareille épreuve que d'Ulysse, dont il ne rêve que de la mort.

C'est à ce moment précis que débute la pièce de Sophocle. La guerre de Troie n'en finit pas et bat même son plein. Seulement, les Grecs s'étant emparés d'un Troyen visionnaire dont les prédictions s'avèrent toujours exactes, Hélénos, ont désormais acquis la conviction qu'ils ne remporteront la victoire que si Philoctète lui-même revient combattre avec son arc.

C'est donc gênant pour Ulysse, lui qui l'a lâchement abandonné à son pied purulent sur un rocher oublié. Celui-ci demande donc son aide à un preux guerrier, Néoptolème, le fils du probe et vaillant Achille et qui se caractérise par la même sincérité et honnêteté morale que son père.

Ulysse sait que seul quelqu'un tel que lui peut infléchir le borné et têtu Philoctète dans son refus d'aider jamais les Grecs à nouveau après le revers qu'ils lui ont infligé.

J'ai tenu à vous faire cette longue présentation pour que vous mesuriez bien tout l'enjeu de la pièce et qui est selon moi intéressant. Tout va donc se résumer à convaincre quelqu'un dont on s'était fait un ennemi de venir combattre à nos côtés pour emporter une victoire dont l'autre n'a que faire.
Drôle de challenge pour Néoptolème, car, si tant est qu'il parvienne à décider Philoctète de prendre son parti, encore faudra-t-il parvenir à rabibocher Ulysse et Philoctète, et ça, c'est presque aussi compliqué que de faire coopérer les O'Timmins et les O'Hara des Rivaux de Painful Gulch !

Ce qui m'a donc intéressée ici, ce sont les aspects psychologiques et philosophiques soulevés. D'une part, l'ingratitude et la trahison endurées par Philoctète ce qui engendre fatalement rancune et désir de vengeance. Et d'un coup, me reviennent tant de cas d'ennemis héréditaires et héréditairement inconciliables, comme Israéliens et Palestiniens, par exemple.

Le message de Sophocle est ici intéressant. Selon lui, on se punit soi-même si l'on refuse l'opportunité d'une main tendue par l'ennemi, sous prétexte que les vieux comptes ne sont pas encore soldés, sous prétexte que l'on a été martyr et pas encore vengé.

J'y vois pour ma part une vraie philosophie de vie, à savoir que c'est de présent et d'avenir que nos vies doivent faire leur pain quotidien, les blessures du passé ne doivent pas être oubliées, mais ne doivent pas non plus compromettre les bonnes volontés présentes. Je vous laisse méditer sur ce message de sagesse vieux de vingt-cinq siècles...

2) OeDIPE À COLONE
En ce qui concerne Oedipe À Colone, je ne suis pas, c'est le moins que l'on puisse dire, une fan de cette pièce bien que je la trouve malgré tout essentielle tant dans l'oeuvre de Sophocle que dans notre accès actuel à la tragédie grecque.

L'action s'en situe chronologiquement après Oedipe Roi, du même Sophocle, et avant les Sept Contre Thèbes d'Eschyle. Oedipe est désormais un vieillard aveugle, banni de Thèbes, contraint d'errer tel un mendiant par les chemins et qui doit son seul salut à la présence de sa fille aimante, Antigone.

Il arrive à Colone, bourgade située à deux pas d'Athènes, province aux ordres de Thésée, le roi d'Athènes, un brave parmi les braves doublé d'un juste. le vieil Oedipe lui demande l'hospitalité et le droit de finir ses jours ici, loin de sa cité de Thèbes, dont il fut naguère le roi aimé et adulé de tous. En vertu de quoi, l'aveugle promet à Thésée une bénédiction sur sa cité.

Fort d'être le représentant de la légendaire (à l'époque) hospitalité athénienne, le roi Thésée assure protection et tranquillité à Oedipe pour sa dernière demeure. Mais c'est bien évidemment sans compter sur Créon, régent de Thèbes depuis le départ d'Oedipe et sur Polynice, le propre fils d'Oedipe qui tous deux souhaitent ardemment le retour de celui-ci dans les environs de Thèbes car...
OOOOUUUUHHHH !
... sans quoi un vilain présage menace la cité...
OOOOUUUUHHHH !
... une malédiction divine...
OOOOUUUUHHHH !

De suite, ça fait peur et l'on comprend l'empressement tant de Créon que de Polynice à vouloir rapatrier le vieux bonhomme. Mais c'est qu'Oedipe a la tête dure. Il se souvient, l'animal, que les deux affreux l'avaient chassé comme un loqueteux jadis, tandis qu'il aurait bien voulu rester dans sa bonne ville de Thèbes.

Maintenant qu'il est effectivement devenu un loqueteux, ils voudraient de lui ? Pour sauver quoi, une cité de vices ? Non merci, vous pouvez rentrer chez vous mes p'tits gars ! le tout est de savoir si les mesures de coercition décrétées par Créon et les supplications de Polynice sauront infléchir les résolutions du vieil entêté. Sans compter le concours de Thésée dans tout cela, ainsi que d'Antigone et sa soeur Ismène.
C'est, bien évidemment, ce que je m'en voudrais de vous dévoiler maintenant.

Voici donc une pièce de la toute fin de vie de son auteur Sophocle, qui ne sera d'ailleurs représentée, à l'époque, qu'à titre posthume sous l'insistance du petit-fils du tragédien. On y lit forcément quelques accents autobiographiques entre ce vieil Oedipe et ce vieil auteur. Sachant, au demeurant, que Sophocle avait vu le jour à Colone, comme par un fait exprès.

Ne serait-ce (comme un certain Georges Brassens bien des années plus tard), une manière de supplique pour être enterré à l'endroit de son choix ? Ne serait-ce également une manière de critique sociale qui dénoncerait le manque de respect à la vieillesse ? Ne peut-on y voir aussi une dénonciation du manque d'hospitalité à l'encontre des étrangers ?

Le propos est, à cet égard, fort intéressant et plus d'actualité que jamais.
Par contre, j'avoue que la pièce en elle-même n'est pas ultra captivante à mes yeux (pas encore aveugles) et même j'aurais tendance à penser l'inverse. Ceci dit, cela reste du Sophocle et, des trois grands tragédiens grecs, celui-ci est et demeure mon favori.

Mais tout ce bavardage, bien sûr, n'est que l'avis félon d'une vieille thébaine égarée, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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