Et bien, si on m'avait dit un jour que j'allais autant kiffer un manga plutôt orienté shojo… ^^
Derrière le background historique passionnant du Quattrocento, ici mis en valeur par une documentation sans failles grâce au travail de supervision de Motoaki Hara (professeur spécialiste de l'histoire et de la culture italienne aux Universités de Tokyo et Ochanomizu) on retrouve les codes classiques du shojo : les rivalités estudiantines, les amitiés et les haines éternelles, les digressions sur les arts, la mode, la décoration et l'équitation… mais aussi les chérubins et les chérubines aux cheveux magnifiquement bouclés, les grands dialogues à coeurs ouverts où les personnages racontent toute leur vie et exposent leurs sentiments à tous les vents, mais aussi les nombreux rougissements et quelques relations crypto-yaoistes… Oui mine de rien c'est pas mal girly !
On suit initialement l'adolescence de Cesare Borgia, fils illégitime du cardinal espagnol Rodrigo Borgia, instrument de son père sans la lutte pour la Curie et pour l'Italie contre les Della Rovere et cie. Un personnage fascinant qui est passé à la postérité pour être débauché et sans pitié, alors que franchement il n'est ni pire ni meilleur que la plupart de ses contemporains. Mais il était bâtard et il était espagnol : les mixophobes italiens au sang bleu n'ont pas manqué une occasion de lui tailler des croupières ! Au sein de la Sapienza, l'Université de Pise, c'est à travers les yeux du jeune et naïf Angelo que nous allons suivre son histoire…
Niveau thématique, c'est vraiment bluffant comment au-delà de la politique et de la religion, Fuyumi Soryo arrive à se réapproprier les sujets chers aux grands et aux grandes mangaka des années 1970 : la bâtardise, le métissage, l'altérité… et surtout la lutte des classes (vous savez, le truc qui est censé être mort et enterré depuis des lustres mais qu'on subit chaque jour que Dieu fait / que les dieux font… MDM !) ! Mais bon, il faut se rappeler que le premier shojo à s'être émancipé du cahier des charges du genre avait été consacré à la Révolution Française… ^^
Niveau dessin, c'est très soigné pour ne pas dire très appliqué malgré la faible diversité du charadesign. Les habituées du genre shojo trouveront que le côté androgyne de plusieurs personnages n'est pas sans rappeler le travail de Kaori Yuki, l'une des reines du genre shojo (à mon humble avis cela ne doit pas être un hasard, et c'est tant mieux). J'ai été initialement déçu du manque de prise de risque dans les découpages et dans les mises en scène, mais la mangaka prend confiance en elle et nous offre rapidement des planches de toute beauté ! (et ce n'est que le début du feu d'artifice… ^^)
Après les événements bouleversants du tome précédent, nous avons ici un tome 7 bien plus calme qui commence par une magnifique célébration de la Nativité (une messe de Noël quoi ^^). Puis en partant de la description de la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption de Pise, on digresse plus que largement avec César, Auguste et Constantin, la querelle des investitures entre Henri IV et le pape Grégoire VII (remember la Pénitence de Canossa) et l’opposition entre Henri VII et Boniface VIII (remember le Saint Satan)… Alors certes il s’agit d’aborder des questions à la fois politiques et religieuses avec la dualité du pouvoir entre le temporel et le spirituel, et un réquisitoire contre l’arrogance, l’avidité et l’hypocrisie des puissants qu’ils soient laïcs ou clercs, mais la mangaka nous raconte surtout une belle histoire d’amitié entre un guelfe idéaliste et un souverain gibelin mort d’avoir réalisé le rêve de son meilleur ami…
Dante pensait avoir trouvé en Henri VII le prince idéal… Est-ce que Machiavel a trouvé en Cesare le prince idéal ?
(Sinon, en fin de tome on fait la connaissance d’un petit personnage appelé à amener sa modeste contribution à la Renaissance : un dénommé Michel-Ange… ^^)
L’Art se mêle ici intimement à l’Histoire et quand c’est aussi bien dessiné et aussi joliment raconté, on ne peut qu’applaudir des deux mains ! https://www.youtube.com/watch?v=iFyiMbA3rTw
Commenter  J’apprécie         161