Dans ces brèves nouvelles écrites en 1909,Soseki raconte des petits fragments de vie,des souvenirs de jeunesse de sa propre vie ou celui d'un autre,au Japon ou en Angleterre où il y a séjourné deux ans.Il y mélange réalisme et fantastique où des détails de la vie quotidienne deviennent les protagonistes.Il n'y a pas à proprement parler d'histoire dans ces contes ,ceux sont plutôt des petits tableaux poétiques où la délicatesse de la touche,la finesse de l'observation,la précision et l'attention aux détails surprend,émeut et nous fait aussi sourire: cet ivrogne qui entouré de la foule déclare "je,j'suis un être humain!"(l'être humain),les traces d'incendie durant une tempête de neige,qui le lendemain disparaissent ne laissant qu'un"son presque imperceptible de koto"(l'incendie),cette magnifique description ,pur sensations visuelles d'un cortège d'enfants déguisés ,ceux de l'auteur(le cortège)....La lecture de ces vingt-cinq petits textes ne sont que du pur bonheur !A lire et à relire!
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Une série de petites tranches de vie, d'inspiration éminemment autobiographique mais aussi empreintes d'une mélancolie ouverte sur l'imaginaire... d'où peut-être le titre.
Entre Japon et Angleterre, Sōseki observe l'arrivée du printemps. Il explore la ville moderne, un lieu labyrinthique et démesuré, à la lisière du fantastique, car même un énorme incendie y est absorbé sans laisser de traces. À Londres, les immeubles se dressent tels des "ravins". Comme si au lieu de s'élever, on s'enfonçait dans l'obscurité. Les masses de maisons et d'hommes identiques engloutissent le narrateur, puis s'évaporent en un brouillard industriel où l’on se perd. Solitude dans la foule.
À l'inverse, la nature fournit des repères, une continuité. Elle semble toujours garder dans ses couleurs les traces du temps passé, tandis que la rencontre avec un serpent promet des retrouvailles dans l'avenir.
Sur le plan des rapports humains, le manque de communication, et même le non-dit, sont soulignés par la pudeur narrative, en particulier face à la culture anglaise. Dans tout cela, le foyer familial est un lieu rassurant où l'on peut rejouer la vie en un défilé innocent, comme une ombre de la réalité, derrière un paravent protecteur.
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D’un seul battement d’ailes, l’oiseau vola jusque sous l’appui de fenêtre. Il resta un moment sur la fine branche d’un grenadier, mais on le sentait apeuré. Deux ou trois fois, il changea de position ; dans le mouvement qu’il fit, il m’aperçut accoudé à la balustrade, et s’envola soudain. J’eus à peine le temps de me dire que le haut de la branche avait bougé, légère comme de la fumée, que l’oiseau avait posé ses pattes délicates sur un des barreaux de la balustrade. Je voyais cet oiseau pour la première fois, et naturellement, j’étais incapable de lui donner un nom, mais la couleur de son plumage m’émut étrangement.
Pour la première fois, j'eus l'impression que j'étais englouti dans une mer humaine. J'ignorais l'étendue de cet océan. Cependant le flot était calme, quoique immense. Simplement, il ne fallait pas songer à s'en extraire. Je jetai un regard vers la droite, c'était sans issue. Je me tournai vers la gauche, sans issue également. Je regardai derrière moi : l'espace était hermétiquement clos. Pourtant le mouvement se déplaçait en avant, dans un grand calme. Comme sous l’emprise d’un destin auquel il est impossible d’échapper, j’avançai moi aussi, réglant mon pas sur celui de ces milliers de têtes noires qui semblaient s’être donné le mot pour suivre la même cadence.
Dans cette ville insolite où les maisons ont toutes trois étages, avec des façades identiques, tout est loin de tout. Où tourner ? Quelle rue prendre pour retrouver mon chemin ? Je n'en ai pas la moindre idée. D'ailleurs, en admettant même que je rejoigne la rue, je me sens incapable de reconnaître la maison où je vais habiter désormais. Quand je l'ai vue hier, elle se dressait dans l'obscurité, aussi sombre que l'air du soir.
.....La maîtresse des lieux était une femme aux traits accusés, avec des yeux caves, un nez retroussé, le menton pointu et les pommettes saillantes ; il était impossible à première vue de lui donner un âge, tant elle était au-delà de la féminité.
Toutes les faiblesses humaines, aigreur, envie, entêtement, rigidité, doute...devaient avoir pris plaisir à se jouer de ce visage pour lui donner son aspect disgracieux...
1 Jour de l'an
Après avoir avalé un bol de Zôni, je me suis retiré dans mon bureau.Peu après, trois ou quatre visiteurs sont arrivés.Tous sont jeunes.L'un d'eux porte une redingote.Ce n'est probablement pas son vêtement de tous les jours,car ses gestes sont empruntés, on sent qu'il cherche à ménager le tissu de molleton .Les autres sont comme d'habitude vêtus à la japonnaise, sans la moindre concession pour le Nouvel An.Preuve de l'étonnement général,tout le monde se met à pousser des oh! et des ah! à la vue de la redingote.Moi aussi,en dernier,j'ai lancé un oh! surpris et admiratif.( Page 7).
Presque malgré moi, j'ai tendu la main vers cet oiseau si beau. Celui-ci comme s'il m'abandonnait sa destinée, accepta la main qui s'avançait vers lui et vint tranquillement mettre dans le creux de ma main ses ailes tendres, ses pattes délicates, sa gorge frémissante. J'ai regardé alors sa petite tête arrondie et j'ai pensé: "cet oiseau ...". Mais je n'arrivais pas à continuer. La suite restait enfouie au fond de mon coeur, comme si l'ensemble était légèrement brouillé.s'il était possible, à l'aide d'un pouvoir mystérieux, de rassembler au même endroit tout ce qui recouvre le fond du coeur, et d'en distinguer nettement les contours, cette forme... eh bien je crois que ce serait quelque chose de la même couleur que l'oiseau que je tenais à présent, là, dans le creux de ma main...
Bonjour et bienvenue dans le monde de notre Vie Intérieure. Nous parlons aujourd?hui de la mort?
« Il cessa de pleurer, et, le visage tourné vers le mur, il se mit à réfléchir, l?esprit obsédé par cette unique pensée : Pourquoi, pourquoi cette chose épouvantable ? Mais quoi qu?il fît, il ne trouvait aucune réponse. Et quand l?idée qu?il n?avait pas vécu comme on doit vivre se dressait devant lui, il chassait cette idée bizarre en se rappelant aussitôt la parfaite correction de son existence. Presque toujours le visage tourné vers le mur, il souffrait, seul, de ses souffrances insolubles, il se plongeait, seul, dans ses pensées insolubles. « Qu?est-ce donc ? Est-ce vraiment la mort ? » Et la voix intérieure répondait : « Oui, c?est la mort ». ? « Mais pourquoi ces souffrances ? » Et la voix intérieure répondait : « Comme ça, pour rien. »
Tolstoï, La mort d?Ivan Illitch.
Comme tous les êtres vivants, nous allons mourir un jour. Mais à la différence des autres êtres vivants, nous en sommes conscients. Ce qui fait dire à Woody Allen : « Depuis que les humains se savent mortels, ils ont du mal à être tout à fait décontractés ». Alors, pour nous décontracter, nous nous efforçons de ne pas trop y penser : « L?homme est adossé à sa mort comme le causeur à la cheminée », écrit Paul Valéry.
Mais la mort parfois nous tire par la manche. Nous sommes impliqués de loin, par la disparition d?une connaissance ou d?une célébrité ; nous sommes en présence du corps sans vie d?un ami, près d?un cercueil, à côté d?une tombe? Ou, plus déstabilisant encore, nous sommes impliqués dans notre propre chair, au travers d?une maladie menaçante diagnostiquée chez nous.
Alors, nos illusions s?envolent. le temps de l?insouciance et des fausses croyances est terminé : nous ne pouvons plus faire comme s?il nous restait un temps illimité à vivre. Non, le temps qu?il nous reste n?est pas illimité. Pire, il est incertain, et peut-être serons-nous morts demain.
Face à la mort et au cortège de peurs qu?elle pousse devant elle, c?est notre vie intérieure qui peut nous donner force et lucidité. Sans un salutaire travail de l?âme, notre crainte de la mort influence et parasite notre vie. Les recherches scientifiques ont montré qu?en activant la peur de la mort, on pousse les humains à plus de matérialisme, plus d?égoïsme, plus de rigidité psychologique. A l?inverse, s?entraîner à un abord lucide, apaisé et réaliste, de l?idée de sa mort apporte peu à peu une forme d?apaisement et d?équanimité, envers une perspective qui ne réjouit, tout de même, personne ! C?était le conseil de Montaigne : « Otons-lui l'étrangeté, pratiquons-la, accoutumons-la, n'ayons rien si souvent en la tête que la mort. »
Alors, de notre mieux, accueillons les irruptions de la mort dans nos vies : devant les faire-part de décès, à l?écoute du glas de l?église voisine? Immobilisons-nous, et laissons toutes les images, les pensées et les souvenirs liés à la mort se répandre en nous ; efforçons-nous, simplement, de rester reliés à notre respiration, au souffle de la vie en nous et autour de nous.
Rendons-nous, de temps en temps, dans les cimetières ; prenons le temps d?y marcher dans les allées, de nous y asseoir ; et là encore, sans rien chercher, sans rien poursuivre, laissons-nous habiter par ces instants, observons cet environnement de vie et de mort mêlés. Restons là, à écouter le chant des oiseaux, le pas des visiteurs sur le gravier? J?ai souvent fait cet exercice avec certains de mes patients qui souffraient d?une anxiété de la mort, et nous en avons gardé, eux et moi, des souvenirs d?expériences très fortes, et paradoxalement très douces.
Connaissez-vous ce haïku du poète japonais Natsume Sôseki ? « Sans savoir pourquoi / J?aime ce monde / Où nous venons pour mourir. ». le contraire de la mort, c?est la naissance. Nous sommes entrés, nous allons sortir. Et entre les deux il y a la vie. Vous ne trouvez pas qu?elle est belle ?
À demain, et ne perdez jamais le lien? avec vous-même.
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