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Critique de LucienRaphmaj


Opération de sorcellerie évocatoire

La Sudaïeva PPS est le nom d'une mitraillette (« l'arme de la victoire » du siège de Leningrad, dixit Wikipedia). Et il serait aisé de dire les 343 slogans sont autant d'action poétique lancées contre les « responsables du malheur » pour reprendre la lexicologie en cours chez Volodine (j'y reviendrais). Mais ce serait trompeur. Il y a toujours une hésitation chez Volodine sur le passage à l'acte.
Ici comme ailleurs, dans la fiction tissé autour de la fonction auteur, assumée ici par Maria Soudaïeva.
En effet Slogans s'ouvre sur une préface, notice biographique par son traducteur qui met en scène l'auteur : Maria Soudaïeva fut une activiste contre la mafia de la prostitution à Macau, souffrant de troubles psychiques. Elle s'est suicidée en 2003 en ayant remis à Antoine Volodine le manuscrit de ses écrits jamais édités, avec la tâche de les reprendre et de les traduire en « français langue étrangère » comme il le revendique lui-même pour ses propres livres écrits (sous-traduits ?) en français.
Il y a du génie dans cette mise en scène de deux lieux communs de la littérature : d'abord celui de la littérature passée où l'on présentait sous sa pauvre plume de traducteur des oeuvres oubliées de poètes inconnus (je songe par exemple aux « Cahiers d'André Welter » de Gide, mais le procédé est en place un peu partout, tiens, ouvrez « les liaisons dangereuses » pour voir). le deuxième lieu commun est celui de la littérature post-exotique qui a fait du trouble dans l'identité un tropisme central des fictions, et là encore, au coeur de la préface : « je lui avais fait remarquer qu'elle avait tout d'une héroïne post-exotique » (Volodine à Soudaïeva). Et par ailleurs le nom de Maria Soudaïeva se trouve déjà dans « le post-exotisme en 10 leçons. Leçon 11 » de Volodine, sans ajouter que tous les noms, les images, les scansions, le si particulier « humour du désastre », sont ceux que l'on retrouve depuis « Biographie de Jorian Murgrave »…
Mais au final qu'importe que Maria Soudaïeva ait ou non existé (qui sait), le personnage via la mise en scène de la préface touche à quelque chose d'émouvant, dépersonnalisé par les troubles psychiques, les luttes contre un ennemie sans visage, concourant à créer un recueil pour des voix anonymes.

Car la magie opère. Les sections de 7x7x7 (343) slogans s'enchaînent et déploient cette puissance de « sorcellerie évocatoire » propre à la poésie selon Baudelaire. Volodine préfère Lautréamont parait-il, et cela se ressent dans ces slogans proche du requin et des monstres en tout genre, avec un goût pour le mystère et l'improbable. Lautréamont plaquait dans sa piaule parisienne de grand accord sur son piano toute la nuit – au grand dam de ses voisins – lors de sa composition des Chants de Maldoror. On s'imagine bien quelque chose comme ça, un peu aussi à la Artaud-dernière-période scandant ses textes en frappant un peu partout. Oui, il y a de ces choses-là, mais avec aussi toutes la rhétorique et l'univers post-exotique avec sa cohérence et sa puissance propre.
Et je reste ébloui par le retournement qu'opèrent ces « Slogans ». Reprenant ce qui fut pour le XXe siècle appel aux masses notamment pour les idéologies meurtrières et capitalistes, Soudaïeva en reprend la matrice fondamentale, la force de suggestion, l'incitation, l'ordre délirant pour nous faire rentrer dans les « maisons étranges » de ces slogans sans origines, sans but, et criant à la mort, à la révolution, à la liberté, à la poésie, aux désillusions, aux rêves et à l'égalitarisme à venir, aux mouettes, aux singes, aux méduses et aux araignées, à toutes ces choses qui font la réalité pas si lointaine du post-exotisme et qui résonne furieusement en nous (en moi, disons).
La puissance évocatoire de ces textes les a amenés à être porté au théâtre moins d'un an après sa parution.
A la limite des poèmes, nous dit Volodine en préface. Que de poèmes, Volodine ! Que de poèmes !
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