Les rumeurs courent plus vite que la vérité.
Les rumeurs courent plus vite que la vérité.
Les hommes fonctionnaient en société, mais d'une façon très différente du clan. Ils ne formaient pas une famille, elle l'avait découvert très vite, et leurs rivalités ne se réglaient pas en ayant recours à un combat sain ou à un tribunal impartial. Leurs émotions étaient puissantes, ils s'embourbaient dans leurs rancœurs et leurs colères. Ils se jugeaient, se condamnaient sans merci. Ils s'aimaient aussi, avec force et passion, malgré les interdits qu'ils se créaient.
Son cœur loupa un battement.
- Il sentait des choses, il avait ce supplément d'âme qui lui permettait de voir ce qui n'était pas visible pour nous autres.
Mina se figea. Ces quelques mots hérissèrent le fin duvet de sa nuque.
- Un supplément d'âme ? répéta-t-elle.
- Oui, c'était un être pur, très généreux, il avait un don. C'est ce que vous vouliez savoir, n'est-ce pas ?
- C'est si terrible que ça ? demanda-t-elle, les sourcils froncés.
- C'est pire. S'ils se rendent compte que tu les voix, alors ils s'accrochent à toi et ne te lâchent plus. Ils répandent tellement de tristesse et de colère, c'est insupportable. Alors je les ignore. Certains arrivent encore à sentir que je suis différente. Ici, dit-elle en balayant la salle du regard, c'est comme un endroit hors de la réalité. Crois-moi, quand tu dois annoncer à un revenant qu'il est mort, c'est triste et violent, ça n'a rien à voir avec cet endroit. Tu as de la chance de ne pas les voir, de juste les sentir, parfois. C'est une malédiction.
Il détacha de son cou le talisman qui y pendait et le lui offrit.
- Je ne peux pas accepter, dit Hikari en observant l'objet avec curiosité.
- Vous avez dit que vous n'étiez pas une déesse, mais je sais que ce n'est pas la vérité.
- C'est dangereux de me traiter de menteuse dans ce cas, répondit la chasseresse d'une voix faussement outrée.
En arrivant au Fushimi Inari Taisha, à Kyoto, Mina ouvrit de grands yeux émerveillés. Il y avait foule par ce beau temps et les visiteurs se pressaient sur l'esplanade qui bordait le lieu sacré, mais le regard de Mina était inexorablement rappelé par les torii et la montagne pointant sa verdure vers le ciel limpide.
La femme des neiges se plaça derrière le micro et se mit à chanter. Sa voix craqua comme la poudreuse fraîche tout juste tombée des arbres. Elle évoqua la bise annonçant les tempêtes et les feux-follets tremblants qui égaraient les hommes. Sa chanson portait en elle une langueur, un engourdissement, qui ne tarda pas à atteindre Mina.
- Cette légende dont tu as parlé, avec la pluie, c'est quoi exactement ? demanda Mina.
- Les noces de la renarde ?
- Oui, insista Mina.
- Il s'agit d'une procession nocturne qui accompagne le mariage d'un renard dans le folklore japonais. Cela correspond aussi aux rares pluies d'été par temps dégagé. Ce n'est qu'une vieille légende de campagne, fit remarquer la miko.