AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Occitania tome 1 sur 3
EAN : 9782264074485
522 pages
10-18 (05/03/2020)
3.85/5   294 notes
Résumé :
1165 en Occitanie. Deux cadavres déguisés en anges sont retrouvés dans deux abbayes différentes, en deux jours. Raimon de Termes, un jeune noble, est missionné pour tirer cette affaire au clair. Aloïs de Malpas est désignée comme coupable par les siens, tandis qu'un ami des victimes, Jordi de Cabestan, cherche à les venger.
Que lire après AngélusVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (77) Voir plus Ajouter une critique
3,85

sur 294 notes
5
26 avis
4
35 avis
3
14 avis
2
0 avis
1
0 avis
Ben je me suis régalée avec ce polar médiéval ! Dès la scène d'ouverture, grandiosement macabre, j'ai été happée : à l'heure matinale où sonne l'angélus, un serf, levé tôt, croit voir un ange accroché à un arbre ; il se prosterne jusqu'à comprendre que cet ange a les ailes qui saignent et qu'il est mort ... Juste un pauvre homme en fait, à qui le tueur a cloué des ailes d'oie.

Le XIIème siècle est magnifiquement restitué avec une intrigue solidement ancrée dans le terroir occitan, entre Narbonne et Carcassonne : fanatisme religieux, catharisme, fonctionnement des institutions politiques et religieuses, art de la taille de pierre, quotidien populaire, autant de thèmes parfaitement maitrisés et réinjectés sans lourdeur dans la trame policière. L'écriture est soignée, joliment teintée de langage médiéval. Les dialogues sont très réussis , notamment lors des joutes oratoires faussement feutrées entre l'archevêque de Narbonne et l'abbé de la Grassa ou celles entre ce même abbé et les nobles locaux qui montent en puissance face à une Eglise catholique qui veut conserver sa mainmise sur la société.

La très bonne idée est d'avoir confié cette quête du tueur à un trio de personnages très différents, aux desseins contradictoires, qui représentent très pertinemment la société occitane de ses années 1165 : Raimon de Termes, jeune noble fraîchement adoubé, mandaté par les autorités locales ; dame Aloïs, femme cathare issue du peuple qui est chargé de disculper les siens, boucs émissaires faciles dans ce contexte de montée du catharisme, secte dissidente du catholicisme officiel, fascinée par la pureté évangélique ; le maitre tailleur de pierre Jordi de Cabestan ( largement inspiré du Maître de Cabestany, un des plus grands sculpteurs médiévaux ) qui veut venger la mort des compagnons de son atelier. Les péripéties de l'enquête accompagneront leur cheminement intérieur.

Forcément, entre la toile de fond des rivalités intestines au sein du christianisme et le décor d'une abbaye où surviennent des crimes odieux dans une ambiance paranoïaque et mystique, on pense au Nom de la rose, chef d'oeuvre du genre, d'Umberto Eco. Et cet Angélus soutient la comparaison sans rougir. François-Henri Soulié a fait le choix d'un roman moins érudit, moins philosophique, pour privilégier une intrigue policière particulièrement retorse et bien rythmée. Quelques facilités scénaristiques pour introduire le tueur sur la fin n'ont en rien gâché mon plaisir.

Commenter  J’apprécie          1248
Voyage dans le temps avec cette saga à la Ken Follet signée François-Henri Soulié. Fin du XIIème siècle, les esprits bouillonnent dans le Sud de la France entre Carcassonne et Narbonne.
L'auteur nous livre une peinture très réaliste des enjeux économiques et sociaux de la société de l'époque qui s'invente. D'autant plus réaliste qu'elle est servie par des personnages hors du commun.
L'église a de plus en plus de mal à maintenir son contrôle sur la société. La noblesse rurale lui dispute son pouvoir. Les abbayes se font concurrence. Des catégories sociales nouvelles émergent, tailleurs de pierre, bistrotiers, artisans, qui veulent aussi s'affranchir des dogmes de l'église et des obligations imposées par la noblesse.
Chacun des personnages du roman porte les certitudes, les interrogations et les doutes de sa communauté.
C'est dans ce contexte que vont naitre les Cathares considérés comme hérétiques par Rome. Au sein de ce mouvement on trouve Enric de Malpas et sa femme Aloïs, des tisserands :
« Enric en est revenu fort meurtri de l'anathème lancé contre eux par le redoutable archevêque d'Arsac parlant au nom du pape. le prélat a même usé à leur égard d'un mot inconnu pour désigner leur prétendue infamie : catharos . C'est, paraît-il, une invention d'un évêque allemand, Eckbert de Schönau. Ce suppôt de la papauté a écrit un traité intitulé Sermones contra catharos , rédigé à l'encontre d'autres communautés chrétiennes semblables à la leur, au-delà du Rhin.
Au retour d'Enric à Narbonne, tous ont été troublés par le récit qu'il leur a fait de cette entrevue de Lombers. Il leur a expliqué que catharos signifie « pur » dans la langue grecque, mais que, dans la bouche de l'archevêque, cela sonnait comme un mot de dérision et de mépris. »
Les doutes sont aussi du côté de la noblesse, le chevalier fraîchement adoubé Raimon de Termes s'interroge : « Il y a trois jours de cela, au matin de son adoubement, il a juré de protéger l'Église. Mais quelle Église ? Celle de cet archevêque pétri de vices, infatué de son rang et ennemi déclaré des pauvres ? Celle encore de ces moines orgueilleux, félons et corrompus ? »

Entre Arnaud de Fabreza le seigneur de la région, et Mgr Pons d'Arsac l'archevêque de Narbonne, le courant ne passe pas :
« — Et l'Évangile ne nous enseigne-t-il pas à aimer les pauvres ?
— Certes, réplique l'archevêque en pinçant les lèvres, mais l'Évangile fut écrit en un temps où les pauvres se tenaient à leur place. »

Autour d'Aloïs et Enric, les certitudes sont réelles : «— Hérétiques est le nom que nous donnent les serviteurs du pape, mais nous sommes les serviteurs de Jésus. Nous sommes les Vrais Chrétiens. » , et on pose les bonnes questions : « J'ajoute que cette religion ne demande rien, ne veut rien posséder et ne prélève pas de dîme. On peut aisément comprendre que de tels arguments parlent aux simples et aux pauvres. Et voyez quel avantage cela représente pour la noblesse ! Tout l'intérêt des seigneurs est de n'être plus inféodés à Rome. Cela, l'Église catholique ne le tolérera jamais. »

Parfois, les points de vue se rapprochent comme autour de l'Abbaye de Saint Hilaire,
« — Pour tout dire, l'abbaye a vu diminuer ces derniers temps le nombre des pèlerins. Ce bon Hilaire semble quelque peu tombé en désamour. Notre ami, l'abbé Deltheil, a pensé qu'il était nécessaire de ranimer l'engouement pour la vénération des reliques en invitant le saint martyr dans ses murs. Je l'ai encouragé dans cette visée.
— Sage décision. Les cendres du premier évêque toulousain à Saint-Hilaire, voilà qui renforcera l'abbaye et rabattra les prétentions du comte de Toulouse.
Décidément on ne peut rien cacher à l'archevêque. Il est aussi fin politique qu'homme d'Église avisé. »

Parfois, la lutte est féroce au sein même des abbayes. A l'Abbaye de la Grassa, la succession de Maître Robertus est au coeur des discussions :
« — Je croyais que votre abbé avait désigné frère Diego comme successeur.
— Oh ! oui, oui. Robertus a fort bien préparé sa succession, et avec la plus grande sagesse. Mais ce sera quelqu'un d'autre qui lui succédera et non pas celui qu'il a imaginé.
— Comment pouvez-vous être aussi péremptoire en ce qui concerne un sujet tellement hasardeux ?
— Il n'y a rien de hasardeux dans les rouages d'une abbaye. Il peut survenir un accident, oh ! oui, oui. Mais point du tout de hasard… »

Mestre Béneset l'apothicaire a rejoint le mouvements des vrais chrétiens, son point de vue est toutefois plus nuancé que ceux du couple de tisserand, il est un scientifique :
« La demeure de mestre Béneset est une caverne aux mille senteurs. Dans la vaste pièce du premier étage où il reçoit ses hôtes, d'innombrables bouquets ont été mis à sécher, pendus aux solives, créant une sorte de jardin à l'envers où les plantes pousseraient tête en bas. D'innombrables boîtes et coffrets, disposés sur les meubles à étagères qui tapissent les murs, répandent les parfums de toutes les épices, les résines, les encens et les graines connus sur la terre. Auprès des boîtes sont d'autres récipients, pots de céramique ou fioles de verre, marqués d'inscriptions en langue grecque, latine ou arabe, indéchiffrables pour le profane. »

Jordi de Cabestan le tailleur pierre entend rester fidèle à son art quelque soient les circonstances : « Dès demain il se mettra à son véritable ouvrage : la sculpture en haut-relief d'un sarcophage destiné à contenir les restes de saint Sernin. Cet édifice constituera le maître-autel de l'abbatiale. Ce sera aussi le chef-d'oeuvre du sculpteur, l'aboutissement de toute une vie besogneuse passée à dialoguer avec la pierre. »

Au sein des abbayes, le débat fait rage sur les représentations religieuses et les images que les artistes en font : « Et que pouvions-nous faire, pauvres moines démunis, face à la puissance de ces abbés tout dévoués à leur propre gloire ? Nous sommes devenus la risée de nos chapitres qui ne voyaient en nous que les survivants d'un passé révolu. Partout, dans nos monastères, nous avons vu ces bruyants imagiers venir troubler le cours de nos méditations à grands coups de marteau et défigurer les maisons de Dieu par leurs images impies… »

La saga de François-Henri Soulié peut paraître longue (500 pages) mais elle n'est jamais fastidieuse, explorant via les personnages tous ce qui constitue la société de l'époque.
Les illustrations sont nombreuses et précises, « Ce matin, ce sera une purée de panais agrémentée d'un morceau de poisson fumé. Dans les maisons des Vrais Chrétiens, la viande est proscrite. Seul le poisson est autorisé en souvenir du miracle accompli par Notre-Seigneur sur le lac de Tibériade. Hors cette exception, on ne saurait faire ripaille de l'agonie d'un animal. Pas plus qu'on n'oserait répandre la moindre goutte de sang humain en bravant l'interdit du sixième commandement transmis par Moïse. »
L'humour n'en est pas absent : « En latin, cela s'appelle petroleum . Il m'a été rapporté d'Orient par un homme qui avait suivi la dernière croisade. Hélas ! je n'en possède qu'une amphore bien petite et il ne serait pas très sage de susciter une nouvelle croisade sous le seul motif d'aller nous approvisionner en petroleum ! »

Le fil conducteur est l'enquête que mènent chacun de leur côté Raimon, Jordi et Aloïs, pour débusquer l'assassin qui vise les compagnons tailleurs de pierre. Comme souvent la question qu'ils se posent est « à qui profite le crime. » ?

Angelus est un ouvrage agréable et facile à lire. Il nous plonge dans une période de l'histoire qui se terminera par la tragédie des Cathares.
Ouvrage intéressant et à lire.
Gageons que François-Henri Soulié écrira une suite à Angelus.
Lien : https://camalonga.wordpress...
Commenter  J’apprécie          390
Un vrai régal que cet « Angélus » de François-Henri Soulié ! Premier roman de cet auteur que je lis, c'est une vraie découverte. Cela fait longtemps que je ne m'étais pas plongée dans un vrai polar historique. Et bien je ne suis pas déçue de retrouver ce genre littéraire, ce fut un pur bonheur ! 520 pages en poche tout de même, un pavé que je n'ai pas lâché du début à la fin.

Nous voici parachuté au Moyen-âge, en l'An de grâce 1165 en terre d'Occitanie.
Premier meurtre : un ange accroché dans un arbre. le mort a été supplicié puis déguisé. D'autres vont suivre dans une macabre mise en scène « de cadavres angéliques ». Particularité des victimes : ce sont tous des ouvriers qui travaillaient pour l'atelier de Jordi de Cabestan, tailleur de pierre. La panique se répand au sein de l'atelier mais également dans les abbayes dans lesquelles travaillent les ouvriers. Certains y voient la main du Diable, d'autres n'hésitent pas à accuser les cathares, cette nouvelle « secte » qui prétend représenter « les vrais Chrétiens », ceux-là même que l'église nomme les hérétiques.

De Narbonne à Carcassonne, trois personnages principaux vont se lancer dans la recherche de l'assassin : Raimon de Termes, jeune noble nouvellement adoubé chevalier, missionné par l'église ; Jordi de Cabestan veut venger ses compagnons ; face à eux, Aloïs de Malpas désignée par les Cathares afin de les disculper de ces crimes. Tous trois vont mener l'enquête chacun de leur côté pour faire éclater la vérité mais également se battre pour défendre leurs croyances.

Quel plaisir j'ai eu à me lancer dans cette lecture : c'est peu de dire que j'ai dévoré ce roman.

François-Henri Soulié nous happe littéralement dans cette époque du moyen-âge en nous entraînant dans un suspense que l'on suit sans lever les yeux afin d'en connaitre le plus rapidement le dénouement. Sa force est d'employer une écriture fluide très détaillée mais facile à lire tout en utilisant également un vocabulaire faisant référence au langage médiéval. Outre l'intrigue, «Angélus » est également très enrichissant d'un point de vue historique car il nous plonge au sein de ce XIIème siècle notamment marqué par la guerre que va lancer l'église catholique contre les cathares (qui s'achèvera avec l'extermination totale de cette religion naissante….. et oui quelle que soit l'époque rien ne change !), ainsi que dans cette lutte de pouvoir entre l'église de Rome, les abbayes et les différents seigneurs féodaux du Sud de la France (époque où intrigues riment la plupart du temps avec violence…).

En conclusion, roman captivant de bout en bout rempli de rebondissements mais également riche en enseignement, qui n'est pas sans rappeler le magnifique « Nom de la rose « d'Umberto Eco mais également la saga de Ken Follet « Les piliers de la terre ». Une très belle surprise pour ma part.
Sorti directement en 10/18, n'hésitez pas : pour tous les amoureux des polars historiques c'est à lire absolument et urgemment car lorsque littérature rime avec autant de plaisir de lecture, il faut foncer.
Commenter  J’apprécie          440
Me voilà encore cafardeuse, comme toujours quand je referme un roman que j'ai ADORE. Oui, je me sens orpheline de cette histoire se passant en Occitanie, dans la région de Carcassonne. Abbayes, Cathares, Moyen-Age…tout me plait !

L'histoire est passionnante et rebondit continuellement, il s'agit d'un polar, finalement. Des cadavres sont découverts avec des ailes attachées au dos, mis en scène pour figurer des anges morts. Raimon de Termes, dont le parrain est le fameux Raymon de Trencavel est chargé par l'archevêque de traquer l'assassin. de l'abbaye de la Grassa à l'abbaye St Hilaire, en passant par Narbonne, tout nous mène aux Cathares et à la belle et sage Aloïs, mais aussi à l'Eglise catholique cupide et avide de pouvoir. L'imagier/ sculpteur sur pierre Jordi de Cabestan est particulièrement touché par les meurtres, et participera lui aussi à l'enquête qui nous conduira aux confins des bassesses humaines.

L'auteur manie la plume de manière éblouissante, son style imagé et rempli de tournures médiévales est savoureux. La façon de vivre des riches, des moines, des Cathares est mêlée à la description des paysages magnifiques de cette région que j'affectionne particulièrement.

Je ressors enchantée et comme je l'ai dit, le vague à l'âme. Une solution ? Deux, plutôt : lire encore un roman de cet auteur, et donc le tome 2 de la trilogie « Occitania » ; et réserver mes vacances au pays cathare !
Commenter  J’apprécie          4213
Il fut un temps où la présomption d'innocence n'existant pas, désigner un bouc émissaire était plus confortable que trouver le vrai coupable d'un crime. Ce temps que François-Henri Soulié a exploré est celui au cours duquel ce que l'église officielle, celle de Rome, qualifiait d'hérésie n'était rien d'autre que ce qui mettait en danger son monopole et donc ses propres intérêts. Il en fut ainsi de la foi dite cathare qu'avaient adoptée ceux qui se disaient tenants de la Vraie Foi, et se désignaient comme les bons hommes et bonnes femmes, sans attribuer à cette appellation la moindre once d'orgueil, bien au contraire.

Angélus tient son intrique en l'an de grâce 1165, en terre d'Occitanie ainsi que le précise la quatrième de couverture. Et lorsqu'un crime, puis deux, puis trois sont perpétrés contre le personnel de l'atelier du célèbre tailleur de pierre Jordi de Cabestan, travaillant à une oeuvre commandée au profit de l'abbaye de Grassa, il n'en faut pas plus pour y voir la main d'un hérétique, connaissant l'aversion de leur communauté pour tout ce qui incarne luxe et richesse et trahit la parole divine laquelle, selon eux, exhorte à la pauvreté et à la chasteté.
Raimon de Termes, jeune chevalier nouvellement adoubé est officiellement missionné pour rechercher le ou les coupables. Aloïs de Malpas, dont les frères de foi sont suspectés, et Jordi de Cabestan le maître artisan dont l'atelier est cruellement visé, se mettent de leur côté en demeure de démasquer ces coupables. Des enquêtes qui devront trouver leur point de convergence lorsque les intérêts divergent et les conceptions de la foi opposent dans un contexte social dont on a fort heureusement aujourd'hui du mal à apprécier l'atmosphère.

Avec cet ouvrage, il faut bien parler de polar, appliqué en un temps où les investigations n'avaient de pratiques que celles suscitées par l'observation et le bon sens pour oser contrecarrer une vérité dictée par celle qui régnait en maître sur les consciences, n'admettant ni contradiction ni concurrence.

Les enquêtes sont habilement conduites par chacun des protagonistes selon les prérogatives qui leur échoient du fait de leur statut. le climat de l'époque est bien restitué par une recherche documentaire que l'on soupçonne scrupuleuse. le contexte historique est maîtrisé. C'est un ouvrage crédible et prenant, même si l'on imagine assez tôt que le premier soupçon sera disputé pour que la justice des hommes parvienne à battre en brèche le préjugé dicté par les autoproclamés représentants de Dieu sur terre. L'inconnu portant sur le sort des petites gens lorsqu'ils sont pris dans les mailles de l'obscurantisme sous couvert de volonté divine.
Commenter  J’apprécie          331

Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
— Finie, la pluie ! lance joyeusement Guilhem qui s’est redressé, sa cage à souris en bandoulière.
La colère du ciel s’est apaisée. De vastes îles sombres s’éloignent dans la mer des nuées. Un pan d’azur effiloché s’esquisse à l’horizon.
L’arrière du chariot est détrempé, mais la bâche de lin huilé a protégé le chargement de laine. Rotland renonce à enfiler sa tunique mouillée. Elle séchera en cours de route. Avant de l’ôter, il avait pris la précaution de dissimuler le long de sa cuisse le couteau qu’il a dérobé la veille, à la maison. La lame emmaillotée d’un chiffon fait une grosseur suspecte. Aussi garde-t-il le haillon de berger dont il s’est enveloppé de crainte qu’Aloïs ne le découvre. Bien qu’il sache avoir commis là une faute, le garçon ne regrette pas de s’être armé secrètement pour le voyage. Si Guilhem a dit vrai, non loin dans les massifs montagneux rôde cet homme qu’il nomme « le tueur d’anges ». S’ils doivent l’affronter, tant vaut-il que ce ne soit pas à mains nues. Sans compter les autres dangers qui peuvent surgir au détour d’un sentier, bêtes féroces ou malandrins pour qui tout voyageur est une proie. À l’idée d’un possible combat, le cœur du jeune homme bat plus fort et s’enfle de fierté car telle est sa bravoure qu’il ne laissera personne mettre à mal l’enfant Guilhem ni la belle Aloïs vers qui il tourne son regard.
Pour ne point mouiller le bas de sa cotte, la jeune femme en a relevé les pans glissés dans sa ceinture. Alors qu’elle se penche pour ranger dans le chariot le sac contenant leurs provisions, Rotland ne peut se retenir de caresser des yeux le galbe des mollets, la fine attache des chevilles et la peau nacrée comme un coquillage qui doit être bien douce au toucher… Allons, il faut se mettre en route et chasser de son esprit ces pensées peccamineuses qui sont, d’après les Vrais Croyants, le plus court chemin vers la damnation.
Commenter  J’apprécie          100
Jordi est troublé au plus profond de son âme. Ce que profère l’ancien ermite, lui-même l’avait déjà pensé. Une haine des images peut avoir armé le bras du criminel.
Dans un sursaut instinctif, le Maître fouille la doublure de son bliaud. Il en tire la bourse de toile contenant la petite fleur sculptée que lui a offerte Peire Brun à leur départ de la carrière.
— Regarde, frère, dit-il en la tendant au moine. Et dis-moi ce que tu vois.
Le vieil homme saisit dans sa paume flétrie la parfaite fleur de marbre.
— Une fleur inconnue dotée de sept pétales.
— À quoi cela te fait-il penser ?
— Aux sept jours de la genèse où l’Éternel créa le monde.
— Mais encore ?
Le moine ferme un instant ses yeux d’enfant pour mieux pénétrer dans sa mémoire d’homme. Puis, les rouvrant, il ajoute ces mots :
— Je pense aux sept vertus du catholicisme… Mais sept est aussi le nombre des têtes de la Bête de l’Apocalypse ainsi que le nombre des archanges du même livre.
— Aussi, tu vois bien qu’au rebours de t’éloigner de la méditation l’image de cette fleur qui n’existe pas te ramène à la pensée de Dieu qui existe… Bernard de Clairvaux s’est trompé et tous ceux qui l’imitent se trompent à sa suite. L’image de la Création est juste et bonne, car elle est le signe de l’omniprésence du Créateur. Celui dont le cœur est épris de vérité sera toujours affamé d’images.
Commenter  J’apprécie          40
L'homme est stupéfait. Il contemple les modestes deniers comme s'il s'agissait d'un véritable trésor. Jamais, de toute sa vie de serf, il n'a tenu entre ses doigts une pièce d'argent. Alors que dire d'en posséder deux à la fois ?
Pour être sûr de ne pas les perdre, il les fourre dans sa bouche et presse son visage contre les mains du Maître.
« Un chien ne s'y prendrait pas d'autre façon pour manifester sa reconnaissance » songe le tailleur de pierre. Et il est en même temps ému par la touchante candeur de ce geste et révolté d'un monde injuste au point de rendre un tel geste possible.
Commenter  J’apprécie          90
A peine franchis les murs de la cité de Carcassonne, c'est déjà la pleine campagne, jonchée de rares masures d'où montent de filets de fumée pour parapher le ciel. Tout autour s'étend la mer figée des labours avec ses sillons de glèbe retournée ondulant comme autant de vaguelettes brunes qu'aucun vent ne fait bouger. Cà et là, quelques prés en jachère laissent la terre reposer. Plus loin commencent les contreforts rocailleux des monts des Corbières.
Commenter  J’apprécie          110
Sur un vaste plateau de bois reproduisant les dimensions exactes de la face du bloc de marbre, le modelage d’argile commence à prendre forme. Hier, jusqu’à ce que le jour déclinant les obligeât à renoncer, Maître Jordi et son apprenti ont bien avancé dans l’ouvrage de la maquette. Sur le côté droit du haut-relief, le Maître a placé l’architecture qui représentera le temple capitolin où les païens honoraient les dieux anciens. Ensuite, il a disposé les masses grossières de terre qui figureront la scène de l’arrestation du saint évêque par les prêtres ou les soldats. Pendant ce temps, Peire s’est chargé d’affiner les contours du Capitole à la ressemblance la plus proche possible du dessin sur le parchemin. Les portes et les fenêtres, la triple arcature du portail, les créneaux du fronton, tout cela doit être réalisé avec précision pour créer ce « piège à lumière » cher à l’imagier. À cette étape du travail, la terre offre tout loisir de rectifier ou de modifier lignes et volumes. Plus tard, dans le marbre, tout sera définitif. Comme le dit le Maître : « Il n’y a plus qu’un sculpteur pour faire œuvre après le sculpteur : c’est le Temps. Mais son œuvre à lui n’est que de destruction. »
Commenter  J’apprécie          30

Videos de François-Henri Soulié (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de François-Henri Soulié
Modération : Farid ABDELOUAHAB, historien Avec Isabelle HEULLANT-DONAT, professeure à l'Université de Reims, François-Henri SOULIÉ, écrivain, auteur de romans policiers.
À l'occasion de la publication du polar médiéval Magnificat (aux éditions 10/18, deuxième volet de la série Occitania), nous nous retrouverons en compagnie de son auteur François-Henri Soulié et Isabelle Heullant-Donat, spécialiste d'histoire religieuse et culturelle du bas Moyen Âge, pour aborder des questions aussi diverses que les femmes et le pouvoir, les jeux des conjurations et des complots, les spectacles au Moyen Âge ou la question de la restitution historique à travers la fiction romanesque.
+ Lire la suite
autres livres classés : romans policiers et polarsVoir plus
Les plus populaires : Polar et thriller Voir plus


Lecteurs (746) Voir plus



Quiz Voir plus

Le vocabulaire médiéval de Magnificat

Une psallette, ça vous dit quelque chose ?

Forme ancienne de palette
Spatule en bois de saule
École de musique religieuse
Autre nom de la lamproie

10 questions
22 lecteurs ont répondu
Thème : Magnificat de François-Henri SouliéCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..