Ce n'est pas commun dans la BD francophone d'aborder le point de vue de l'ennemi et c'est peut-être plus vrai encore pour la deuxième guerre mondiale où l'ennemi s'est doublé de l'occupant et s'est triplé du génocidaire (et l'on sait maintenant depuis un moment que, contrairement à ce qui a été longtemps dit, la Wehrmacht a directement participé au massacre qui n'est pas que le fait de la SS et de ses supplétifs).
Ce n'est pas commun, et pourtant les éditions Paquet l'ont osé avec cette tétralogie d'
Olivier Speltens, ce qui n'est pas étonnant puisqu'ils ont aussi osé aborder la très délicate question du contingent français engagé dans la SS (avec "Berlin sera notre tombeau", un tome paru à ce jour.)
Et c'est bien d'oser ce genre de chose et de sortir des sentiers battus, tant il est vrai qu'on peut parfois avoir l'impression que tout a été fait en BD sur la deuxième guerre mondiale.
Ils peuvent d'autant mieux se le permettre qu'ils le font très bien : pas d'équivoque ni de compromission, pas l'ombre d'une tentative de révisionnisme. Comme vingt-cinq ans plus tôt, on a affaire à des pauvres types, très jeunes, qui espèrent que la guerre sera courte et victorieuse, et qui ne peuvent que mesurer les dégâts une fois sur place : un interminable cauchemar, meurtrier et déshumanisant.
Et voici que nos quelques recrues, sévèrement rossées par le général Hiver Russe (comme une certaine Grande Armée 130 ans plus tôt), arrivent au front déjà plus mortes que vives, quasi sans avoir encore vu un seul "Ivan" (gageons que cela viendra !), après un voyage plutôt givrant.
Rendons grâce ici au trait et aux couleurs choisies, dans les tons bleus et crépusculaires, qui expriment terriblement bien le calvaire de l'urine qui gèle à l'intérieur même de votre vessie, les nuits sans dormir pour ne pas se transformer en bloc de glace, le désespoir qui se fraie un chemin insidieux dans votre esprit.
Sans doute n'y a-t-il pas de meilleure manière d'exprimer la folie hitlérienne que de mettre en scène ces gamins martyrisés par les éléments, comme l'exprime d'ailleurs fort bien ce soldat qui se met à hurler lorsqu'il apprend la chute de Stalingrad et la mort probable de son fils.