Il aurait tant voulu qu'Anna réponde. Il a presque oublié son accent d'italienne, sa diction de comédienne, dépeçant les voyelles, arrosant chaque consonne de sa belle conscience vive. Elle était douée, Anna, pour se fondre tout entière dans les décors d'une vie avec ou sans public.
L’ambition, c’est que de la sauvagerie. Ça vous piétine l’ego, ça vous rapetisse l’âme jusqu’à ce qu’on vous accroche une breloque sur le poitrail.
Pourquoi faut-il toujours que les autres vous préviennent qu'aux heures sublimes succéderont les peines ? Pourquoi faut-il toujours qu'on caviarde son présent par des futurs fébriles ? Elle avait bien assez de la réalité pour se soucier de connaître les nuances du possible. Le mystère n'est pas une idée de presbytère. C'est un torrent puissant dont le grondement est sourd à celui qui pense trop et qui peut être doux à ceux qui osent agir. Il faut tenter sa chance, affronter le hasard. La pensée fige. La vie remue. Les rêves enragent. Les jours diluent. Dire, c'est renoncer à ce qui n'a pas pris forme. Laisser faire, c'est inviter le mystère à tromper l'attendu. Anna a laissé faire. Elle a dit oui à tout, au mariage, à l'enfant, à l'avenir meilleur, et s'est retrouvée là.
Mais, ce qui le rend heureux, c’est surtout le mouvement. Non pas le but, parce que dans le but, il y a fatalement une fin. Mais l’élan. Le fait d’être porté vers un ailleurs, comme au temps de son enfance, quand il partait chasser. La prise importait peu. Ce qu’il aimait plus que tout, c’était la poursuite, le prétexte de la traque.
Je connais un vieil homme qui prétend que la conscience ressemble à un océan. Parce que sous la tempête, son fond demeure étal. La sienne est une banquise sur un socle de granit.
-Et la deuxième, c’est vous aussi ?
-Nagasaki ?
-Oui
–Non, ce n’est pas moi.
C’était déjà bien assez de coucher le soleil une fois.
Aimer, c'est tout prendre. L'autre et son paysage. L'être et ses interstices, ses attentes et ses doutes.
Anna est comme la bière. Elle a perdu sa mousse; elle ne pétille plus.
L’Amérique faisait la guerre aux Italiens comme elle. Et ses compatriotes, même naturalisés, étaient tenus en respect. Des camps avaient été construits, comme à Crystal City. On y parquait les Ritals comme les Japonais et les Allemands. Une dizaine de camps dont la presse parlait peu. Des camps par précaution… Elle y avait échappé de peu grâce à l’intervention du collaborateur d’un juge très influent, bien introduit dans l’armée.
En apnée de sa vie, elle se sentait couler en entrant des bulles avant de toucher le fond.