Gayatri Chakravorty Spivak a marqué un tournant important dans les sciences sociales, notamment dans le domaine de l'analyse du colonialisme. Elle tente de déconstruire à travers cet essai la division internationale du travail et le capitalisme, en utilisant un niveau de langue soutenu, voire parfois difficile à comprendre.
Malgré cette utilisation de la langue parfois perturbante tellement elle est complexe, on comprend tout de même son engagement afin de mettre en évidence l'impérialisme et les relations de pouvoir et de domination pratiquées par les colonisateurs pendant des décennies, et met en évidence les différences entre les individus colonisés et les subalternes. Ici, l'utilisation du terme subalterne fait référence aux personnes qui n'ont aucun intérêt, aucune voix, et surtout aucune place dans la société : créant alors un vrai processus de marginalisation.
Ce texte s'inscrit dans la continuité de la réflexion de
Jacques Derrida, qui développait déjà l'influence considérable de l'ethnocentrisme dans la manière dont les individus élaborent leurs connaissances et leur rapport à l'altérité. Elle va plus loin en questionnant le droit à la parole de ces personnes marginalisées de force, une exclusion géographique visible dans les périphéries mais surtout une exclusion sociale profonde. Cette réflexion nécessite également de s'intéresser à la place des femmes dans ce processus de marginalisation afin de comprendre comment s'établit cette préférence basée sur les caractéristiques de genre. Elle crée des ponts entre différents auteurs et/ou idéologies comme lorsqu'elle s'intéresse à l'oeuvre de
Freud, notamment en ce qui concerne les femmes. Mais de manière plus globale, elle s'intéresse à déconstruire l'objectivation de la femme comme objet à protéger, notamment la femme subalterne du tiers monde.
J'ai particulièrement aimé la partie où elle met l'accent sur la façon dont la politique doit contribuer à devenir cet espace de paroles pour tous, sans distinction de genre, d'origine sociale ou d'autres différences prétendument compromettantes pour garantir un équilibre. Pour reprendre les mots de Ranajit Guha, il est temps de laisser la place à "la véritable politique des personnes qui insistent sur leur pleine autonomie". L'identité des êtres humains ne doit pas être l'élément fondateur d'une stratification sociale où les groupes sont séparés mais la preuve d'une diversité qui rend la représentation du monde si belle.
S'il y a une chose que je retiendrais de cette lecture, c'est ce processus et cette forme de conscience de l'altérité. La construction d'une société plus globale, avec l'intensification des échanges, a vraiment inauguré l'application de la création d'une identité marginalisée pour les personnes qui font les tâches ingrates de ce processus.
L'idée d'un "citoyen économique impersonnel" qui n'est considéré que pour sa force de travail fait évidemment écho à la théorie marxiste, mais résonne aussi avec notre réalité. L'exploitation honteuse, cruelle et inhumaine des Ouighours est la preuve alarmante que ce processus de marginalisation est, plus que jamais, toujours extrêmement présent. Non seulement ces personnes n'étaient pas représentées dans les médias traditionnels, mais en plus, les gens voulaient savoir ce qui se passait, car il s'agissait d'une profonde remise en question du respect des droits de l'homme et d'une reconsidération de notre façon de consommer. Pour reprendre l'idée de Spivak, ce manque de représentation dans les médias traditionnels, mais aussi dans les infrastructures, montre bien la lutte des représentations encore très présente en 2021.