Pierre Overney était un ouvrier de 24 ans, tué en 1972 par un vigile de la Régie Renault de Billancourt. Mais alors, pourquoi ce livre ne s'appelle-t'il pas "Il a tué Pierre Overney" ?
Dans ce fabuleux ouvrage, qui n'est pas un roman mais se lit comme tel,
Morgan Sportès relate l'histoire de la Gauche Prolétarienne, organisation maoïste dirigée par des intellos de bonnes familles, qui recrutaient des prolos en vue du Grand Soir. Parmi ces prolos, Pierre Overney, qui était animé d'un profond désir de justice sociale, et qui a finalement fini sa vie au cours d'une "opération" décidée par les grands penseurs du mouvement.
Ce que montre ce livre, assemblage de témoignages et d'extraits de journaux et autres documents, c'est la désinvolture avec laquelle les
maos-intellos ont manipulé les
maos-prolos, avant d'auto-dissoudre la GP pour mieux se recycler dans les médias ou les ministères, laissant sur le carreau tous ceux qui croyaient vraiment en la Révolution -et en avaient besoin. Je suis également stupéfaite par l'incroyable violence, physique et verbale, qui régnait alors entre la GP et le PCF/la CGT ; les articles de la "Cause du Peuple", le journal du mouvement dirigé par
Sartre (qui deviendra "Libé"), sont de véritables appels au meurtre ! Comme l'auteur, on ne peut que s'interroger sur les raisons pour lesquelles l'Etat pompidolien a toléré ces excès.
Au-delà du drame de Pierre Overney,
Morgan Sportès décrit les aberrations de ce mouvement : l'expulsion grotesque de
Sartre, de Billancourt, qui m'a fait beaucoup rire ; les
maos-prolos grévistes de la faim, qui trouvent refuge dans l'église du coin dont ils parent la façade de portraits de Staline et Mao, et qui reçoivent la visite de l'intelligentsia française,
Simone Signoret en tête, qui leur distribue des biffetons de 500 francs ; le leader de la GP,
Benny Lévy, qui deviendra rabbin à la fin de sa vie, 30 ans après avoir contribué à créer les Comités Palestine, etc.
Mais ces aberrations ne soulignent que davantage la dangerosité de la GP -et surtout de ses meneurs, les
maos-intellos protégés par leur argent, leur réseau et leurs diplômes, qui ont tourné le dos à leurs anciens camarades
maos-prolos et à leurs idéaux de justice, et ont longtemps occupé des postes-clefs pour contrôler l'opinion française.
Reste cette question : à quoi a servi la mort de Pierre Overney, dans ce grand foutoir maoïste ?
J'ai adoré cet ouvrage, simple et émouvant -humain, qui m'a en outre permis de comprendre pourquoi maoïstes, trotskystes et communistes, se détestaient autant. L'auteur est un grand pédagogue, et son écriture est fluide ; c'est un réel plaisir de le lire ! Enfin, chose sidérante, j'y ai retrouvé une personne que j'ai jadis rencontrée -hasard ou coïncidence ?
Si vous voulez déguster une bonne tranche de France pompidolienne, n'hésitez pas à vous jeter sur ce livre, qui comblera intelligemment votre temps de cerveau disponible (clin d'oeil à Mougeotte, ancien camarade et N°2 de TF1).