Dans le Wyoming, Einar est un homme qui s'écoute vieillir. Suant dans le sauna, il se remémore l'édification de ce petit abri en bois, vingt ans plus tôt. C'était une idée, lorsqu'il était enfant, de Griffin, son fils qui se proclamait Viking de part sa descendance.
Einar est un abandonné. Sur la colline, au pied d'un peuplier, deux stèles, celle de sa femme et celle de son fils, sont la preuve de cet abandon. Il loue les terres de son ranch. Ne lui restent qu'une vache laitière, une ribambelle de chats et un vieux cheval. Tout en sirotant une petite tasse de lait frais, il s'assoit chaque matin dans son fauteuil à bascule et observe un couple de ratons laveurs qui lapent le lait apporté. Et puis, dans le petit chalet d'à côté, il va faire sa piqûre de morphine à son ami de toujours, Mitch. Karl, le vieux chien, se traîne aussi péniblement.
Un peu plus à l'est, dans l'Iowa, Griff vit dans une caravane en toc. Petite fille de neuf ans et demi, elle insiste pour que sa mère Jean tienne enfin ses promesses : quitter Roy à la prochaine blessure, et l'oeil au beurre noir est là, ce matin, témoin irréfutable. Elles prennent donc la route mais leur vieille voiture qui rend l'âme les oblige à faire halte chez Einar. Il ignore l'existence de sa petite-fille Griff mais garde bien vivaces la haine et la rancoeur envers son ex belle-fille.
En alternant les visions de chaque personnage et en utilisant les caractéristiques de chacun pour la narration, l'auteur varie avec souplesse les styles d'écriture. le déroulé est très cinématographique. Les scènes, qui n'ont rien de palpitant mais déploient plutôt le côté très réel d'une vie qui suit son cours, nous offrent d'abord les images puis laissent flotter autour d'elles toutes les impressions et sentiments qu'elles véhiculent.
Les personnages sont tout en retenue. Les dialogues vont à l'essentiel et ne s'embarrassent pas de démonstrations affectives ou autres. Pourtant, entre chaque parole, pas besoin de long discours pour percevoir la difficulté du pardon, l'impossibilité de poser des mots sur le passé.
Cette histoire de famille et d'amitié n'a absolument rien d'extraordinaire, ni d'original. On imagine sans mal son issue et c'est alors dans la profondeur des rapports humains qu'elle renferme tout son charme.
C'est dans ce vieux ranch que Griff va découvrir une stabilité et un milieu familial qu'elle appelle de tous ses voeux pour ne plus refaire sa valise une fois de plus.
On saisit alors la complicité et l'attachement que les deux vieux cow-boys vont éprouver envers cette gamine qui désire tant leur plaire. Elle représentera l'étincelle qui leur manquait pour continuer une vie devenue si pesante.
La beauté de cette lecture se cache aussi dans l'affection que l'on devine intensément entre ces deux taciturnes, un total partage de leurs souffrances respectives.
Et puis, il y a l'ours ; un grizzli qui remplit aussi une belle partie de la vie qui s'écoule dans cet Ouest américain.
Il m'a juste manqué un peu plus de passages pour me noyer dans l'horizon immense du Wyoming, sentir avec plus d'intensité les odeurs de pins et de sauge sauvage.
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