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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Moi, je n'aime pas les puzzles. Surement un traumatisme d'enfance lié à la perte d'une pièce venue ruiner la représentation d'une biche orange ou d'une copie crevassée d'un paysage de montagne digne d'un calendrier d'éboueurs.
Malgré cette allergie aux jeux de patience, je n'ai pas perdu mon temps dans la structure alambiquée de ce roman, casse-tête qui aurait pu casser d'autres parties moins pensantes de mon anatomie si son auteure n'avait pas été Emily St.John Mandel, cette romancière canadienne dont « Station Eleven », chef d'oeuvre apocalyptique, a rejoint mon panthéon: l'étagère la plus haute et la moins stable de ma bibliothèque.
Assembler toutes les pièces de ce puzzle, c'est découvrir un ciel gris derrière une baie vitrée. Sur la paroi transparente, une inscription sous forme de graffiti : « Et si vous avaliez du verre brisé ? ». Une sensation de mal à la gorge est autorisée.
Cette vision glaçante est celle de l'hôtel Caiette, palais isolé sur une île au nord de Vancouver. Gîte pour millionnaires fatigués à trop compter leurs pépettes, l'établissement appartient à Jonathan Alkaitis, avatar de Bernard Madoff, le défrayeur des chroniques de 2008, le genre à organiser des diners mondains en pleine pandémie pour continuer à réseauter le VIP.
Le roman va raconter les circonstances de sa chute, de la ruine de tous ceux qui lui ont fait confiance, autant par naïveté que par avidité. Employés, compagnes et victimes vont interroger leur mauvaise conscience et Emily St.John Mandel les décrit ici comme des spectres amorphes que l'économie a extradé du monde réel, apatrides argentés qui trainent la malédiction de la culpabilité comme un boulet de vieux fantôme écossais. Les zombies de Wall Street.
Mais rassurez-vous, l'histoire ne fréquente pas uniquement les pages saumonées du Figaro pour pêcheurs de bons placements. Inutile d'être un crac du Cac 40, un nostalgique de la bourse de Paris avec René Tendron ou de suivre le cours du Dow Jones pendant son jogging à Central Park pour se passionner pour ce récit. Derrière chaque trader, oui, un être humain fragile sommeille et les personnages en orbite de ce scandale financier portent des traumatismes d'enfance, la perte d'être chers et la nostalgie des rêves brisés. Des gens anormaux comme tout le monde.
La structure narrative brillantissime utilisée par Emily St.John Mandel fait écho au montage financier utilisé par Madoff pendant des dizaines d'années : la fameuse pyramide de Ponzi. Pas le gars qui a la classe avec une banane sur la tête et un vieux cuir, sacré Fonzi. Il s'agit ici de Ponzi, un homme d'affaire qui en 1919 inventa cette magouille pour cols blancs pressés de finir millionnaires. Happy days. Si cette fraude consiste à rémunérer les investissements des clients non par des placements miraculeux mais par les apports de nouveaux gogos, l'auteure a très habilement construit de la même façon son récit, l'intrigue s'enrichissant au fur et à mesure de personnages secondaires qui prennent de plus en plus d'importance et portent l'histoire jusqu'à l'effondrement. Un échafaudage de gratte-ciel.
Sauts dans le temps, puis dans le vide, je me suis laissé séduire par cette histoire aride portée par une écriture à la fois distancée et poétique. Cette romancière excelle dans les personnages hors sol et dans les ambiances froides et mélancoliques qui rappellent certains films de Sofia Coppola.
Un peu lent au démarrage mais ensuite les pages se tournent toutes seules, emportées par le souffle glacial d'une bise canadienne. Pas l'haleine de caribou.
Je veux bien miser mon livret A sur la consécration littéraire d'Emily St.John Mandel. Rien que son nom fleure bon la postérité.
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Avec ce roman à la fois étrange et troublant, Emily St John Mandel plante son étendard là où l'ordinaire et l'étonnant se rencontrent, là où des personnes d'apparence banale s'arrêtent pour se demander comment ils en sont arrivés exactement là. le roman s'ouvre et se clôt avec la disparition nocturne d'une femme prénommée Vincent, elle dégringole du pont d'un porte-conteneurs près des côtes mauritaniennes.

Vincent, caméléon à l'agilité sociale parfaite, entrée presque par hasard dans le royaume de l'argent, n'est qu'un des personnages qui peuplent le roman. Elle est accompagnée de Léon, cadre dans une compagnie maritime qui bascule dans la marge ; d'Olivia, peintre octogénaire qui a eu son heure de gloire ; de Paul son frère toxicomane et musicien et de bien d'autres. Tous ont gravité autour de Jonathan Alkaitis, financier new-yorkais, double romanesque de l'escroc Bernard Madoff. Tous ont été profondément impactés par les agissements de ce seul homme lorsque la pyramide de Ponzi s'est écroulée et que l'escroquerie a été révélée.

A partir d'un mystérieux oracle inscrit à l'acide sur la paroi de verre de l'hôtel, adressé à Alkaitis ( «  et si vous avaliez du verre brisés ? »Emily St John Mandel a un talent fou pour tisser un récit complexe et imbriqué, tressant magistralement les interconnexions entre ses personnages disparates. Elle alterne des couches temporelles oscillant entre judicieuses analepses et ellipses audacieuses, qui pourraient perdre le lecteur, mais au lieu de cela l'hypnotise, aspiré par ce kaléidoscope de destins ( le parcours de Léon est juste superbe, quel magnifique personnage ! ). Je me suis seulement extraite de l'envoutement durant une cinquantaine de pages, lorsque le récit narre la découverte de l'escroquerie financière autour du choeur des employés serviles qui ont fermé les yeux.

Entre satire, ironie et tragédie, se dessine in fine une réflexion profonde sur la mutabilité de la vie, sur les frontières poreuses entre la culpabilité et la responsabilité, entre le passé et le présent. Tout est flou dans le ressenti des personnages qui doivent se confronter à la réalité de leur vie. Dans ce roman hanté de fantômes, les passages les plus beaux sont sans doute ceux où Alkaitis en prison, assaillis par les fantômes de ceux dont il a détruit la vie, s'inventent une contre-vie afin de s'évader. Les sections oniriques de cette réalité alternative apaisante donnent lieu à des moments de lecture très intenses. Il y a tellement de façon de hanter une personne dans ce roman adulte et profond.


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Une femme, Vincent, tombe de nuit d'un porte-conteneurs malmené par la tempête. Treize ans plus tôt, elle travaillait avec son frère Paul à l'hôtel Caiette, un luxueux établissement isolé sur l'île de Vancouver. Son destin basculait le soir où, juste quand le milliardaire new yorkais Jonathan Alkaitis pénétrait dans l'hôtel, un mystérieux et inquiétant tag apparaissait sur la façade vitrée : « Et si vous avaliez du verre brisé »…


Le récit commence là où il finira, dans un plongeon à pic et un tumulte d'images ultimes. Happé par la frénésie de l'incipit, le lecteur apprendra bientôt ce qui s'est enclenché un quart de siècle plus tôt, préparant Vincent à se laisser emporter par une illusion qui la perdra, en même temps que presque tous les personnages. Ce mirage a un nom et un visage : Jonathan Alkaitis, alter ego romanesque de Bernard Madoff, organisateur d'une gigantesque escroquerie construite sur le principe de la pyramide de Ponzi.


Comment une arnaque aussi massive, que d'aucuns avaient pourtant publiquement percée à jour, a-t-elle pu prendre autant d'ampleur et durer si longtemps ? Emily St John Mandel met en évidence les mécanismes humains qui ont conduit les protagonistes à se laisser enfermer, plus ou moins consciemment, dans une vulnérable mais séduisante bulle d'irréalité, à l'image de cet hôtel de verre, cocon douillet et exclusif à l'écart du monde, dont on en vient à oublier qu'il pourrait voler en éclats comme du cristal. Choisissant de ne voir que ce qu'il veut bien, selon l'opportuniste principe qu"'il est possible de savoir quelque chose et en même temps de ne pas le savoir", chacun s'aveugle en jouant du flou entre réel et virtuel, entre mensonge et apparences, pour apprendre à s'arranger avec ses craintes et ses scrupules, dans un complexe jeu de dupes où l'illusion finit par prendre corps.


Cette exploration psychologique construit peu à peu une galerie de portraits nuancés, souvent ambivalents, d'une grande humanité. Il s'en dégage une mélancolie de plus en plus prégnante, au fur et à mesure que s'estompe l'effet hypnotique du mirage qui maintenaient les personnages dans leurs illusions et leurs faux-semblants. Bientôt ne subsistent plus que la réalité crue du malheur et de la déchéance pour les uns, l'insupportable hantise de la culpabilité pour les autres, dans une évocation où affleurent émotion et poésie.


Savamment enchevêtrés, les éléments narratifs de cette histoire s'assemblent en un tableau désenchanté d'une société tellement obsédée par l'argent, qu'elle en arrive collectivement à se convaincre de la réalité de fantasmes insensés. Une lecture troublante sur la plasticité de nos représentations mentales, lorsque l'intérêt parvient à ce point à distordre notre perception du réel.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Un roman d'époque, celle de la première décennie du nouveau millénaire, entrelaçant de manière fragmentée et acérée, les excès scandaleux de la finance aux questionnements sur nos choix de vie : ceux que nous aurions pu faire lorsqu'il était encore temps, questionnements particulièrement douloureux, les vies parallèles possibles qui s'en suivent, ainsi que tous les fantômes qui nous habitent du fait de nos choix.
L'hôtel de verre est un édifice qui, lorsque nous le regardons bien, réserve plein de lectures possibles, plein de pièces cachées. Un casse-tête, un puzzle en trois dimensions inséré dans un récit non linéaire, dans lequel l'auteure saute d'une époque, d'un personnage, d'un continent à l'autre, d'un point de vue à l'autre, sans effort, avec une étonnante souplesse, permettant à la forme d'épouser le fond.

Oui, un roman d'époque, Emily St.John Mandel braquant son projecteur sur le monde d'avant, pendant et immédiatement après la crise de 2008. Lumière est faite sur les excès de Wall Street, sur les montages éhontés du monde de la finance, sur la façon dont des personnes pourtant intelligentes les ont soutenus, jusqu'à son éclatement. La métaphore du verre prend alors tous son sens. L'auteure s'appuie pour cela sur le scandale Bernard Madoff, à l'origine d'une vaste arnaque, arrêté en décembre 2008 ainsi que quelques-uns de ses employés, tous complices d'avoir perpétré un crime massif. Il a créé en effet une vaste pyramide de Ponzi, arnaque consistant à récupérer des capitaux auprès d'investisseurs, parfois des personnes qui mettent là toutes leurs économies, celles pour leur future retraite, et de les rémunérer avec un rendement inouïe, attirant par là même d'autres investisseurs, le miel attirant les abeilles, rémunération fictive en réalité fruit du vol des personnes qui viennent d'arriver. Une arnaque en chaîne…Forcément la pyramide s'écroule un jour, notamment lorsque de nombreux investisseurs veulent retirer leur argent tous en même temps.
Intéressant de traiter de la pyramide de Ponzi, édifice particulièrement opaque et malsain, pour soutenir cet hôtel de verre, ce monde épuré où l'argent et l'aisance, l'insouciance qu'il permet, offre une vie calme, dénouée de turbulences, semble-t-il. L'hôtel de verre transparent posé sur le sommet de la sombre et machiavélique pyramide de Ponzi, vous percevez l'image surréaliste que cela dessine dans votre imaginaire ? C'est cela ce livre…et lorsque l'édifice de verre explose, pour les protagonistes, c'est comme avaler du verre brisé tant l'impact est bouleversant…prison fédérales, terrains de camping, clubs marginaux et interlopes, l'auteure braque le projecteur sur ces lieux vers lesquels les coulisses bien propres de Wall Street peuvent mener.

« Léon n'avais pas compris et il avait néanmoins confié à Alkaitis son épargne-retraite. Il n'avait pas réclamé des explications détailles. L'un des défauts caractéristiques de notre espèce : tout plutôt qu'avoir l'air stupide. La stratégie d'Alkaitis lui avait semblé obéir à une certaine logique, même si la mécanique précise –options d'achat, ventes à découvert, buy and hold, conversions – échappait à son entendement ».

L'hôtel de verre est la métaphore du monde de la finance, bel édifice épuré en apparence. Une métaphore également, nous l'aurons compris, du monde des puissants, des riches. L'hôtel de verre est aussi ce que nous abritons en nous en termes de facettes, de pièces, nos choix, nos regrets, nos obsessions. Qui peuvent nous faire exploser, fragilité humaine intrinsèque qu'un rien peut faire éclater. Si j'ai trouvé le traitement de la pyramide de Ponzi intéressant, j'ai trouvé cette facette du livre totalement passionnante, me retrouvant avec émotion dans les questions soulevées. Les différents protagonistes tentent d'imaginer leurs vies si certaines décisions avaient été prises dans le passé, vies parallèles possibles dans lesquelles ils se perdent parfois, des « contrevies ». Une vie suppose nécessaire une « contrevie » que nous n'avons pas vécu. Sur cet aspect, le livre m'a fait penser au monumental 4,3, 2, 1 de Paul Auster. Ce roman qui s'écoule telle une rivière qui se séparerait en bras. Au lieu de prendre un chemin et de nous raconter une histoire, l'auteur américain se veut omniscient et décide de prendre tous les bras de la rivière, en parallèle, pour voir ce que cela donne. Une expérience de littérature. Quatre histoires, quatre destinées pour un même personnage. Nous sommes bien entendu loin de ce monument, mais ici Emily St.John Mandel touche du doigt cet aspect, avec délicatesse et poésie, si c'est beaucoup moins impressionnant, ça n'en reste pas moins troublant et renvoie à nos propres choix. Surtout, j'y ai retrouvé la même mélancolie, ces destinés fruit du hasard et de choix qu'un rien aurait pu changer…

« Ce qui la retenait dans le royaume, c'était le fait – précédemment inconcevable – de ne pas avoir à penser à l'argent, car c'est bien cela que l'argent vous procure : la liberté de cesser d'y penser. Si vous n'en avez jamais été privé, vous ne pouvez pas comprendre la profondeur de cette donnée, à quel point cela change radicalement votre vie ».

Le livre est également rempli de fantômes, de « vrais » fantômes, non là pour donner un accent gothique ou fantastique au livre, l'auteure y voit plutôt des projections de nos culpabilités, des spectres qui nous hantent. Nous avons tous en nous quelques spectres, non ? Il nous arrive tous d'imaginer notre vie si nous n'avions pas pris telle ou telle décision…Nous reconnaissons tous des décisions prises parfois sous le coup de la facilité. C'est pourquoi ce livre vibre, il tinte comme lorsque nous effleurons du doigt un verre de cristal, il « chante » avec mélancolie. Fantômes de la culpabilité donc mais aussi fantômes des deuils qui hantent la vie des protagonistes, notamment la jeune Vincent qui ne parvient pas vraiment à s'en libérer.

Et puis l'hôtel de verre, au-delà d'être une métaphore au sens multiple, est réellement un hôtel, l'hôtel Caiette, établissement dressé au milieu d'une nature sauvage, sur une petite île de Vancouver. Une nuit un étrange message est gravé à l'acide sur un des murs de verre du hall : « et si vous avaliez du verre brisé ? ». Vincent, prénom rarement employé pour une femme, est serveuse dans cet hôtel et ce message la perturbe grandement. Elle sait que c'est son demi-frère, le taciturne Paul, qui travaille comme agent d'entretien, qui l'a écrit. Au même moment, elle fait la rencontre de Jonathan Alkaitis, milliardaire, propriétaire de l'hôtel, qui lui offre de jouer le rôle de sa femme en échange d'une vie luxueuse, à l'abri des soucis financiers. Or l'immense richesse de cet homme repose précisément sur une immense pyramide de Ponzi.

« Nos clients, à Caiette, ont envie de voir la nature sauvage, mais il ne veulent pas être dedans. Ils veulent juste la regarder, idéalement par la fenêtre d'un hôtel de luxe. Ils veulent être à proximité de la nature sauvage ».


En résumé, ce livre est un livre non linéaire composé d'une multitude de points de vue permettant d'offrir plusieurs perspectives à différents moments du temps, comme le ferait un édifice en verre, mettant en exergue des histoires intimes de fantômes et de choix de vie, maillées à un thriller financier basé sur le mécanisme de la pyramide de Ponzi. Une façon d'illuminer l'humanité trop souvent oubliée dans les dédales de la crise financière, de parler aussi, à côté des pertes financières, de la culpabilité, de l'hypocrisie, de la honte, du courage…Un livre sur la perte de confiance dans le genre humain aussi. J'ai lu ce livre en apnée. Plongeant, comme l'héroïne, dans l'eau glacée des méandres de nos interrogations existentielles actuelles. Il me tarde de retrouver les personnages principaux de ce livre dans le tout dernier livre de l'auteure canadienne de cette rentrée 2023, raison pour laquelle, tout comme l'a conseillé Stéphane (@Lenocherdeslivres) à qui je dois cette lecture (merci à toi), j'ai décidé de lire l'hôtel de verre avant La mer de la tranquillité…titre énigmatique en fan de Fernando Pessoa que je suis…

« Donnez-moi du calme, donnez-moi des forêts, l'océan et pas de routes. Donnez-moi les promenades à pied à travers bois jusqu'au village en été, donnez-moi la brume se levant sur l'eau, donnez-moi la vue sur les branches feuillues, le matin, de ma baignoire. Donnez-moi un endroit où il n'y ait personne, parce que jamais plus je ne ferai totalement confiance à quelqu'un ».


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Des vies qui se croisent. Des jeunes gens qui cherchent une direction, un sens à leur existence. Un lieu central et pourtant isolé en pleine forêt : un hôtel de verre y est construit. Point nodal de ces fils qui se croisent avant d'être emmêlés, voire coupés pour certains.

Pour commencer, je n'avais pas prévu de lire ce roman. Même si Yogo, notre cher Maki, chante régulièrement sur son blog les louanges d'Emily St. John Mandel, je n'avais pas encore franchi le pas. Mais j'ai reçu, et je remercie pour cela les éditions Rivages, le dernier roman de cette autrice, La Mer de la tranquillité. Intrigué par le résumé, je l'ai entamé. Or, au bout d'une quarantaine de pages, le drame ! Référence était faite à un personnage et son destin qui nous était narré dans L'Hôtel de verre. Ni une ni deux, j'interromps ma lecture et fonce vers ma médiathèque (adorée car le livre était en rayon, à m'attendre sagement). Et c'est ainsi que j'ai commencé à me plonger dans la prose et la narration si particulières d'Emily St. John Mandel.

En lisant cet ouvrage, je n'ai pu m'empêcher de penser à certains romans de Paul Auster où les personnages semblent se laisser porter par les évènements. Un peu aussi comme Scarlett Johansson dans le célèbre Lost in Translation (Sofia Coppola, 2003). On suit des épisodes de vie, qui semblent décousus. D'autant plus décousus que l'on passe de l'un à l'autre, au gré des volontés de l'autrice, sans raison ou fil apparent. le fil apparaît progressivement. Très progressivement. Et il est parfois très fin. Mais quelle importance ?

Mais tout cela vaut pour la première moitié du roman, le temps que s'installent les êtres dans leurs vêtements, dans leurs habitudes. Dans la deuxième partie de L'Hôtel de verre, la narration devient plus traditionnelle. On tourne autour d'un sujet particulier dont le centre est Jonathan Alkaitis. Ainsi que sa nouvelle épouse. Mais je ne peux en dire plus sans gâcher votre futur plaisir de lecteurice. D'ailleurs, je pense qu'avec Emily St. John Mandel, ce problème va se présenter souvent : comment parler de ses livres sans rester superficiel mais sans pour autant trop en dévoiler ? J'essaie…

Les histoires racontées sont belles et tout de suite entraînantes. On fait la connaissance de Vincent. Une jeune femme malgré son prénom plutôt masculin. Une histoire de poésie. Dès les premières pages, on la découvre en mauvaise posture : seule dans l'océan après avoir chuté d'un navire. Des bribes de pensée la saisissent. Nous apparaissent lors de courts chapitres. Elle pense à son frère. On le découvre dans la partie suivante (Tout fonctionne ainsi. Et c'est parfait.). Paul est un jeune homme paumé : il ne sait pas que faire de lui, de ses études. Il végète et un bête accident va décider en partie pour lui. Puis c'est au tour de l'hôtel et de son personnel. L'hôtel Caiette « se trouve au milieu de nulle part » pour citer son directeur général. Il est inaccessible en voiture, entouré par la forêt canadienne, « à l'extrémité nord de l'île de Vancouver ». Seul le bateau permet de le relier au reste de l'humanité. Sur une vitre de ce bâtiment de luxe apparaît un soir une phrase violente et inexpliquée (du moins, jusque vers la fin du roman) : « Et si vous avaliez du verre brisé ? ». Là encore, bel exemple de l'écriture d'Emily St. John Mandel : elle nous jette cette phrase et ses conséquences à la figure, et c'est à nous de tenter de comprendre comment toutes ces pièces peuvent s'imbriquer.

C'est d'ailleurs pourquoi j'ai préféré la première partie de ce roman à la deuxième. Car le début vole dans tous les sens, d'une existence à une autre. Je me suis laissé porter avec délice d'une époque à une autre (les années sont indiquées ce qui permet de s'y retrouver), d'une vie à une autre. Or, sur la fin, on tourne autour de la même histoire. Intéressante, je n'en disconviens pas. D'ailleurs, j'ai dévoré ce livre. Mais le côté aérien des premiers chapitres m'a un peu manqué dans la suite que j'ai trouvé plus lourde. Comme si le début n'avait été qu'une préparation de la résolution finale. Eh bien j'ai beaucoup aimé cette préparation. D'autant qu'elle est servie par des images touchantes, par des bribes de descriptions surprenantes, réussies : « C'était une froide journée de novembre avec des nuages bas. Il roula vers le nord au volant d'une voiture de location grise, traversant une série de localités grises d'où on voyait par intermittence la mer grise sur sa droite, un paysage d'arbres sombres et de McDonald's et de supermarchés sous un ciel plombé. »

J'aurais dû écouter Yogo plus tôt. Cette découverte d'Emily St. John Mandel a été pour moi, sinon une révélation, du moins une très heureuse surprise. J'ai adhéré dès les premières lignes à sa façon d'écrire, à ce qu'elle propose. Et la lecture de la mer de la tranquillité a confirmé cette première impression (on en parle bientôt). Je vais ajouter les plus anciens ouvrages de cette dame, même s'ils n'appartiennent pas tous à mon domaine préféré qu'est la SFFF (c'est d'ailleurs le cas de L'Hôtel de verre), à ma liste. Vous aussi, laissez-vous emporter par cette prose envoûtante.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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"Et si vous avaliez du verre brisé" ce graffiti a été gravé sur une des immenses baies de l 'hôtel Caiette, hôtel de luxe construit sur les rochers et dominant la mer dans un endroit isolé où l' on accède que par la mer, sur l île de Vancouver. Jonathan Alkaitis, le richissime homme d'affaires, en est le propriétaire.
Vincent, la barmaid, officie au bar c' est là qu'elle va rencontrer le patron et que leurs destins vont se lier.
Alkaitis est un escroc de haut vol. Il place l'argent des riches pour les rendre plus riches soi disant... En fait, il élabore une pyramide de Ponzi et personne ne reverra son argent. Il va plonger dans la ruine , sans aucune émotion, tous les gens qui lui ont fait confiance, détruire leur vie sans frémir. Il est impitoyable et ira jusqu'au bout.
Ce roman, d'une construction destructurée avec des bonds en avant, des retours en arrière, des passages qui s'insèrent dans le récit comme des pièces de puzzle, traite et parle de l 'Argent, "l' argent est un pays en soi" dit l'auteure dans le roman, les gens riches viennent tous du même pays. L'argent qui fait et défait les fortunes, et les puissances,. Des gens qui vivaient dans des palais, se retrouvent en camping car sur les routes de l'Amérique profonde, et plus personne ne les reconnaît, ils sont évités, devenus gênants.
Alkaitis dans sa prison, après sa chute, en est réduit pour continuer à vivre à s'inventer une vie alternative, un échappatoire et vit entouré des fantômes des gens qu' il a côtoyé dans son ancienne vie.
Vincent aura de multiples vies, tel un caméléon, elle change et s'adapte aux circonstances, barmaid, femme de milliardaire, cuisinière sur un super tanker. Elle se fond dans tous les rôles, sans problème, sans nostalgie.
Il est bien question d'argent dans ce roman celui qui fait les puissants, les richesses et qui precipite aussi dans la ruine, le malheur et le suicide, qui détruit les familles et engendre la haine quand il vient à manquer. La société capitaliste l'a érigé en maître absolu. le monde est un théâtre où les fortunes se font et se défont. Ce monde ainsi représenté dans le roman sous forme de puzzle vertigineux fascine par sa puissance qui n'a égal que sa fragilité.
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Tel un château de cartes patiemment échafaudé qu'une petite pichenette vient détruire, cette histoire raconte le destin bouleversé de personnes reliées entre elles par l'audace crapuleuse d'un homme , Jonathan Alkaïtis .

Étonnante Emily St John Mandel , un petit bout de femme canadienne, toute frêle , mais au talent immense qui m'avait déjà transporté aux anges avec Station Eleven .

Celui-ci est plus âpre , il se mérite plus , mais quelle audace de mélanger les années, les vies de ces femmes et de ces hommes, qui, comme les cartes du château se retrouvent à terre quand l'arnaque financière d'Alkaïtis éclate...

On s'attache à Vincent, jeune femme au passé tourmenté par la disparition de sa mère et qui navigue dans la vie au gré des courants sans se laisser dériver , sa caméra au bout de son bras comme un miroir de son âme brisée .

Mais , si elle est l'élément central de l'histoire , tous les fils la reliant à un lieu ou un événement, les autres ne jouent pas que des rôles de faire valoir , c'est vraiment très bien mené.

L'hôtel de verre , propriété de l'homme d'affaires apparait comme un symbole de la fausse transparence , paquebot isolé sur son ile , blessé dans son orgueil par un graffiti étrange : "Et si vous avaliez du verre brisé ?" une phrase qui tourne dans la tête du lecteur jusqu'à ce qu'il en comprenne le sens .
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A travers le destin croisé de Paul et de sa demi-soeur Vincent, nous sommes embarqués dans un roman hypnotisant.
Des histories qui s'entremêlent et des allers-retours dans les époques permettent de rentrer dans la psychologie fine des personnages.
Il est question des choix que nous faisons et de leurs conséquences.
L'écriture est fluide ; l'ambiance sombre et nostalgique.
La narration est parfaitement construite provoquant chez le lecteur une fascination malgré un sentiment d'étrangeté.
J'ai vraiment aimé.
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Ce roman noir aborde avec intelligence les conséquences de la crise des subprimes, s'intéresse aux dommages collatéraux, à ces hommes et à ces femmes pris dans l'engrenage... En mêlant les perspectives et les époques, Emily St. John Mandel parvient à ménager un certain suspense et à ne révéler que tardivement les liens qui unissent les bribes de son récit (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/07/25/lhotel-de-verre-emily-st-john-mandel/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Caiette à l'extrême nord de l'île de Vancouver, un hôtel de verre au milieu d'un univers de forêts.
Une verrue architecturale ? Pas du tout.
Si l'hôtel est incongru dans cet environnement, il a quelque chose d'enchanteur, d'hors du temps et offre un luxe incroyable à des clients qui souhaitent pour quelques jours échapper au rythme trépidant de leur vie, sans réseau, entourés d'un nature préservée, dans un très grand confort.
Tout commence, ou presque, quand en 2005, un message est inscrit au marqueur à l'acide sur une des paroi de verre de l'hôtel : « Et si vous avaliez du verre brisé ? »
Qui a bien pu écrire une chose pareille ?
Vincent, la barmaid qui est revenue travailler sur l'île qu'elle avait fui ?
Son frère Paul, musicien toxico, qui a rejoint l'équipe d'entretien grâce à l'intervention de Vincent ?
Un client comme cet industriel qui noie son insomnie dans un whisky ?
Et à destination de qui ?
Jonathan Alkaitis, l'investisseur réputé, propriétaire des lieux ?
Ceci n'est pas une enquête. C'est plutôt une manière ingénieuse de nous présenter les personnages mêlés à cette histoire, l'histoire d'une arnaque monumentale dont la référence à celle orchestrée par Madoff n'est pas fortuite, des personnages clés auxquels vont s'en ajouter d'autres, qui à eux tous, vont construire cette pyramide de Ponzi sur laquelle repose la fortune supposée d'Alkaitis au sommet de l'édifice.
Et quand la crise de 2008 grippe les bases plus que fragiles de ce bel édifice, c'est la catastrophe pour ceux qui ont eu envie de lui faire confiance, ont cru arrondir facilement et rapidement leur pelote, ou pire qui ont cru être des privilégiés dans le secret du génie Alkaitis.
J'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.
J'ai compris grâce à elle non seulement la combinaison d'arrangements des Madoff et autres combinards sans scrupules, mais aussi et peut être surtout, j'ai aimé cerner la séduction que peut exercer un homme qui étale sa réussite et laisse croire qu'il peut en faire profiter quelques élus.
Le verre brisé sera alors très difficile à avaler.
Une 1ère rencontre pour moi avec Emily St John Mandel mais certainement pas la dernière.
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