Il m'a fallu beaucoup d'années avant de me décider à lire
Déogratias. Quelques pages aux couleurs bien sombres, feuilletées au hasard de librairies, ne m'y avaient guère incité. Maintenant que c'est chose faite, je pense qu'il faut prendre le temps d'entrer dans l'histoire, suivre son rythme assez lent que retardent en effet de nombreux flash-backs (aisément repérables , car les vignettes concernées ne sont pas encadrées par un trait noir comme les autres). Prendre d'autant plus son temps que plusieurs éléments ne s'éclairent que dans les toutes dernières pages. Et ne pas hésiter à relire, à revoir chaque vignette dans ses détails souvent fouillés, révélateurs du pays et du moment d'histoire en cause. Ne pas attendre non plus une explication ou une fresque du génocide : ce n'est qu'un conte, mais un conte terrible, autour d'une poignée de personnages emblématiques de l'époque et de ses protagonistes. Un détour préalable par les livres de
Jean Hatzfeld ne serait pas superflu pour qui voudrait aller au coeur du génocide. Mais l'on peut tout aussi bien suivre le cours imparable d'une tragédie où sont entraînés une poignée d'humains dérisoires de fragilité ou bassesse. Humanité poignante des victimes, laideur des coupables, et puis ce personnage halluciné et hallucinant mi- humain, mi-chien, rendu fou par l'horreur. Un grand, grand ouvrage, écrit à peine six ans après les faits, au ton juste, très bien informé, en bref la BD dans toute sa magnificence (des images paradoxalement très belles), la BD dans toute son importance, car levant le voile sur un pan peu glorieux de la fin du 20e siècle et dans lequel la France n'est pas exempte de lourds soupçons.
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