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Charles Zaremba (Traducteur)
EAN : 9782267020274
172 pages
Christian Bourgois Editeur (19/03/2009)
3.86/5   7 notes
Résumé :

Les textes brefs qui constituent ce recueil offrent autant d'instantanés d'une civilisation en train de disparaître, celle de l'Europe centrale et orientale qui s'occidentalise à toute vitesse. A travers une série de réflexions sur des auteurs yougoslaves, des récits de voyage en Roumanie, en Slovaquie, en Ukraine et sur les routes de Pologne, Stasiuk célèbre la diversité ethnique et linguistique de ces territo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'aime la voix de Andrzej Stasiuk, une voix qui s'élève de cette Europe de l'Est oubliée dont « le passé a été dérobé, détruit et avili ».
Dans cet ‟on the road” slave qu'est « Fado » il nous fait partager sa vision de cette Europe qui va se renier en imitant l'Europe occidentale sans qu'une union soit possible : « Notre unité serait-elle si creuse et dépourvue de sens que la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux la remplit sans reste ? Tout cela semble mort-né. Y a-t-il quelqu'un que cela réjouisse vraiment ? Nous devons devenir vous, mais vous, voulez-vous être nous ? J'en doute. 

On s'enfonce avec lui dans la nuit pour ressurgir au matin dans un environnement nouveau, il nous invite aussi à regarder dans la vitre arrière, à partir à reculons pour mieux saisir « le lyrisme de la perte ». En tirant du néant, avant qu'ils ne disparaissent, les êtres et les choses qui ont attiré son regard il les fixe et leur offre une éternité.

« Une Skoda grise s'estompait dans l'ombre verte des arbres, mais en réalité, elle disparaissait dans le temps. Elle avançait dans un tunnel creusé dans l'immobilité. » p19

En évoquant une vieille carte ferroviaire de l'Autriche-Hongrie trouvée chez un bouquiniste qu'il déplie très rarement en raison de son extrême fragilité il nous dit qu' « elle sauvegarde le monde et, en même temps, montre sa décrépitude et sa fugacité. En la regardant, je contemple un néant que mon imagination veut absolument combler. »

Et que fait d'autre Andrzej Stasiuk que combler le néant et en fouillant la mémoire retrouver les strates du passé, mais aussi nous faire partager la tristesse et la beauté du monde présent ?

« Oui. le passé et la mémoire sont ma patrie et ma maison.(…) Renier sa mémoire est un suicide mental. Il suffit de regarder les campagnards qui font semblant d'être citadins, les citadins qui imitent l'aristocratie. Tous, ils fuient leur propre mémoire et ne trouvent rien pour la remplacer. L'amnésie est une forme de mépris de soi. » p 138-139

Et quelle poésie dans cet orage qui nait au-dessus du plus haut sommet des Carpathes pour ensuite s'éloigner droit vers le sud sans souci des frontières : « Il faisait encore clair à Klenovo, à Kvačany, à Rokyčany, il faisait clair au-dessus de Čergov, mais une obscurité violette tombait déjà au nord. La lumière passait seulement à travers une fente étroite, quelque part entre Lackowa et Jaworzyna. Ensuite, la paupière bleue du ciel s'est fermée pour de bon et, tandis que j'achetais de l'essence à Prešov, j'ai vu les premiers capillaires des éclairs. C'est en plein milieu de l'orage que j'ai roulé vers le poste frontière de Becherov. »

Pourquoi ce titre ?
Parce qu'après le passage de la frontière albanaise et avoir longé les rives du lac d'Ohrid , roulant vers la ville de Pogradec dans une vieille Mercedes, l'auteur entend à la radio une voix de femme dont il réalise brusquement en arrivant en ville que c'est un fado portugais :
«Il y a des coïncidences qui ressemblent à des plans sophistiqués. La mélancolie de la musique s'est mêlée à celle de la ville, et une image restera à jamais gravée dans ma mémoire : des maisons grises peu élevées, le chaos des rues, le ciel sans nuages, la nuée bleue au-dessus des eaux du lac et la voix grave de la chanteuse, pleine de tristesse inquiète. Je me suis dit alors que le Portugal ressemblait en un certain sens à l'Albanie, située également à la marge des terres, à la marge du continent, au bout du monde. Les deux pays mènent une existence quelque peu irréelle en dehors du cours de l'histoire et des événements. le Portugal peut tout au plus rêver de sa gloire passée, l'Albanie ne peut qu'aspirer à l'accomplissement que lui apportera un avenir indéterminé. » p 53

Le mot fado est dérivé du latin fatum, « destin », lui-même dérivé du verbe fari, « dire »
Dire le destin, le lire aussi comme les Tziganes que l'on croisent souvent dans ce « Fado », voilà qui convient parfaitement à ce beau recueil de textes d'Andrzej Stasiuk.
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Après ma lecture de Sur la route de Babadag, j'attendais en ouvrant Fado la suite. Mais Andrzej Stasiuk n'écrit jamais deux fois le même livre. Il commence bien à nous parler de ses voyages, toujours dans les mêmes contrées des confins de l'Europe, mais l'angle d'approche est différent. Les textes sont plus courts, au départ il ne semble pas avoir de lien entre les différents moments ou sensations évoqués. Ainsi il nous parle d'un voyage en Albanie, et d'un chauffeur de taxi qui écoutait une chanteuse de Fado, cette musique nostalgique qui convient bien finalement au monde en train de disparaître auquel il est attaché. Un drôle de monde ; par exemple son éditeur albanais lui explique que la parution de son livre sera retardée, à cause des quotidiennes coupures d'électricité. Nous découvrons que l'essentiel de la production en Albanie provient de centrales hydrauliques, qui lorsqu'il n'y a pas suffisamment d'eau ne tournent plus. Et ces centrales sont situées dans des montagnes, dans lesquelles les habitants vivent comme au dix-neuvième siècle, dans des maisons en pierres épaisses, le transport se fait à dos d'âne, et il n'y a ni eau courante ni électricité. Et c'est à cet endroit dans lequel le temps semble s'être arrêté qu'est produite l'électricité qui dans les lieux plus modernes du pays fait marcher les machines, les ordinateurs, les téléviseurs.
Et Stasiuk a une grande nostalgie de ce monde qui disparaît, ces anciennes coutumes, gestes séculaires, ce mode de vie en train de s'éloigner dans le néant, dans lequel la principale richesse des habitants est le temps dont qu'ils ont à disposition des quantités infinies. Plusieurs temps semblent se télescoper dans les endroits que l'auteur traverse, le passé et la modernité, même si cette dernière prend une forme parfois caricaturale, et peu engageante.
Dans la deuxième partie du livre, l'auteur nous montre l'endroit dans lequel il vit, dans les Carpates, un lieu qui ressemblent à tous ces lieux dans lesquels il voyage, où pour amener sa fille à l'école en hiver, il lui faut d'abord empoigner sa pelle et dégager la neige. Et la nostalgie de sa propre enfance, qu'il revit en partie dans celle de sa fille. Les souvenirs du petit citadin dans la campagne de ses grands-parents, avec l'eau tiré du puit, les vaches à traire, les chevaux à rentrer, comme cela s'est passé pendant des siècles, et comme cela ne se fera sans doute plus. Un monde qui disparaît en même temps qu'une vie s'écoule. le titre Fado résume en réalité très bien cette double et parallèle nostalgie, la tristesse, le regret, de voir le monde que l'on a connu ne plus être, en même temps que sa propre vie se raccourcit, que certains événements, personnes, sensations, ne sont plus que des souvenirs.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Ah, cette solitude d’Europe centrale ! Cet abandon éternel, irrémédiable, parce que les remèdes ne sont pas rétroactifs et ne peuvent ressusciter ce qui est mort. Solitude et délaissements éternels, permanents. Solitude des orphelins de la Grande-Moravie, des orphelins des Jagellon (Dynastie d’origine lituanienne qui régna en Pologne et épisodiquement en Bohême et en Hongrie aux XVe et XVIe siècles), de l’Autriche-Hongrie, de la Yougoslavie, des démocraties populaires. La boucle de l’histoire et le bouton du présent. Comment faire tenir un récit dans une langue dont la grammaire ne prévoit pas le temps futur ? Il en sort toujours une manière d’élégie, une espèce de légende, une narration circulaire qui doit revenir vers le passé, parce que non seulement le futur, mais aussi le présent la remplit de frayeur. Ici le passé n’est jamais une faute, c’est toujours une absolution. (…) La mémoire et le destin vus comme une nécessité nous préservent du contact froid de la solitude. Finalement, seul ce qui est passé a existé pour de vrai et confirme quelque peu notre existence centre-européenne.
(…) la folie de la littérature qui devance de quelques pas la folie du monde rappelle de manière inquiétante la santé. p 30 31 (Bulatović
)
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Durant ces jours d'été solitaires, alors que mes grands-parents travaillaient aux champs, j'avais l'impression de prendre part à un rêve.
J'entrais dans l'étable et refermais soigneusement la porte de bois brut. L'intérieur était plongé dans la pénombre. L'étable avait un toit de chaume et il y faisait frais même les jours de canicule. Des rais de lumière obliques passaient entre les planches du bâti. Une poussière dorée y virevoltait. En m'avançant dans l'espace obscur, je brisais l'une après l'autre les surfaces tremblantes de lumière qui se reformaient immédiatement après mon passage. Cela sentait le blé et le foin. Les poules grattaient le sol jonché de tiges à la recherche de graines. Un chat guettait une souris. Des moineaux s'étaient posés sur les poutres, sous le toit, et attendaient que le chat disparaisse pour se joindre aux poules. p 167
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…solitude définitive de l’autoroute où, pendant des heures, on ne voit pas âme qui vive, mais seulement un condensé d’humanité avec son besoin obsessionnel de mouvement et de victoire sur l’infini. Rien que des profils plats, des taches à peine corporelles derrière les vitres, des lucioles de mégots ou des doigts dans le nez. A moins d’arriver dans une station-service où tous ont l’air de victimes potentielles fatiguées et de voleurs alertes et affairés, où sur fond de ciel bleu marine les corps chauds des camions rappellent de gros rochers.
Tout cela est à peine vivant et semble consumer ses dernières forces, c’est en même temps un mouvement perpétuel mort dont le but reste de retenir l’éternité. p 8 (L'autoroute)
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Video de Andrzej Stasiuk (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Andrzej Stasiuk
Le jeudi 25 octobre 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr) recevait Hélène Gaudy en qualité de libraire invité.
Elle nous présentait sept livres qui lui tiennent particulièrement à c?ur :
1. Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves (02:05) 2. Andrzej Stasiuk, Un vague sentiment de perte (12:15) 3. Jakuta Alikavazovic, L'avancée de la nuit (20:40) 4. Sylvain Prudhomme, Là, avait dit Bahi (32:26) 5. Jean-Christophe Bailly, Description d'Olonne (42:16) 6. Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance (48:10) 7. Gwenaëlle Aubry, Personne (54:40)
En fin de rencontre, Charybde 7 évoquait chaleureusement plusieurs ouvrages d'Hélène Gaudy (1:00:30)
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