"Il vivait un de ces moments déterminants où l'on comprend qu'une page est en train de se tourner ; que la personne qu'on voyait s'éloigner ne reviendra plus."
À l’inverse de son frère jumeau, fils parfait et adoré, Peter occupait la place du mouton noir dans sa famille. Petit, il avait été le cauchemar de ses parents. Beau garçon, éveillé, mais terriblement mauvais à l’école. Il était sans arrêt puni, menacé de redoublement ou temporairement exclu, du fait de son comportement ou de ses résultats déplorables. Une dyslexie diagnostiquée très tardivement avait failli détruire sa jeunesse. Ses camarades le traitaient d’idiot, ses professeurs perdaient patience et finissaient par renoncer. Personne ne s’expliquait les difficultés qu’il rencontrait à l’école. Ses parents étaient pourtant des gens instruits, et Peter semblait lui-même intelligent. Alors on l’accusait d’être paresseux, quand en réalité les mots et les consignes n’avaient aucun sens pour lui. Ceux qui se moquaient de lui, Peter les punissait à coups de poing. Il n’était pas rare qu’il revienne de l’école avec le tee-shirt déchiré et un œil au beurre noir – et ses adversaires faisaient encore plus peine à voir. Au lycée, il préféra adopter une attitude d’indifférence hostile et arrogante, mais celle-ci n’était là que pour masquer son profond sentiment d’incompétence.
Cette fois-ci, cependant, il ne frappa personne. Il avait l'impression de mourir. Il était en train de perdre tout ce qui comptait à ses yeux. D'abord sa carrière, et maintenant sa femme et ses fils.
1.
Depuis un mois, c'était un vrai cauchemar. Peter McDowell, assis dans son bureau envahi de cartons, regardait fixement l'écran de son ordinateur. Il avait passé les cinq derniers jours ainsi. Et aujourd'hui, en ce vendredi 10 octobre 2008, le cours des actions continuait de dégringoler. C'était le pire krach boursier que Wall Street ait connu depuis la Grande Dépression.
Très peu avaient survécu au tsunami de ce dernier mois.
Ce n’était pas comme ça que Peter avait imaginé partir… Mais il n’avait pas dit son dernier mot. Pas question de baisser les bras. Il ferait le nécessaire pour se tirer d’affaire, quitte à se serrer la ceinture. Tôt ou tard, il reviendrait dans la course. Restait à savoir quand, et comment. En attendant, les choses n’allaient pas être faciles
Incompris et mal-aimé, Peter avait renoncé à fournir le moindre effort. Quant à son frère, il était devenu son ennemi juré, la source de presque tous ses problèmes. Pour Peter, impossible de rivaliser avec lui.
Ce n'était pas comme ça que Peter avait imaginé partir... Mais il n'avait pas dit son dernier mot. Pas question de baisser les bras. Il ferait le nécessaire pour se tirer d'affaire, quitte à se serrer la ceinture. Tôt ou tard, il reviendrait dans la course. Restait à savoir quand, et comment.
L'espace d'un instant, Peter sentit une colère familière sourdre en lui ; il l'étouffa aussitôt. Cette époque était révolue. Il n'était plus n'était plus un gamin effrayé et enragé mais un homme dont la femme voulait divorcer.