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Critique de Merik


Merik
06 septembre 2020
Introduire le village sur lequel l'auteur s'apprête à parler au long de trois cents pages presque en s'excusant, le présenter comme étant plutôt banal, sans aucune extravagance si ce n'est l'absence de cimetière ou d'église, si ce n'est peut-être aussi les quelques centenaires rigolards ou la recrudescence d'octogénaires qui le composent, il fallait oser. On pourra toujours y déceler une marque de confiance en soi, une assurance tout risque dans son propre talent de conteur. Toujours est-il, introduction par défaut d'intérêt réel ou simple ruse narrative, l'accroche est bel et bien là, originale et culottée. Jon Kalman Stefansson nous la joue à l'envers et ça fonctionne déjà, on a envie de savoir, et surtout de faire connaissance avec la population du village. le faisceau narratif qu'il dirige alors sur huit habitants pour autant de chapitres se révèlera à la fois caustique et pittoresque, lyrique et poétique.
Il y a le directeur de l'Atelier de tricot qui subitement se met à rêver en latin, il ne lui en faudra pas plus pour poursuivre sa destinée vers la maîtrise de l'idiome et tout plaquer pour scruter les étoiles.
Il y a Jonas le frêle adolescent rougissant au moindre frémissement féminin, hypersensible connecté au monde des oiseaux.
Il y a David fils de l'Astronome, en proie à la vie des fantômes au sein de l'Entrepôt.
Il y a aussi Kjartan son collègue à l'Entrepôt, réfractaire aux idées sur l'au-delà, plus ancré dans la terre et l'appel de sa chair.
Et il y a tous les autres, que le focus soit porté sur eux ou pas. Car le lecteur ne tient pas entre les mains un chapelet de destinées égrenées sur le tempo régulier d'un recueil de nouvelles, ça serait sans compter sur la maîtrise constructive de l'auteur. Celui-ci déroule au contraire une prose inspirée et libre sans paraître digressive, encline à suivre le fil d'une anecdote, d'une rencontre ou d'un événement pour façonner peu à peu une galerie de personnages et tisser l'écheveau d'une communauté de quatre cents âmes.
L'être humain reste ainsi placé au centre, comme toujours avec cet auteur. Non seulement de son village mais aussi d'un univers incommensurable parsemé d'astres, de présences spectrales ou de trous noirs, où le cosmos et l'au-delà ne manquent pas de le remettre à sa juste place métaphysique, en quête d'un sens qui lui échappe, « […] c'est la quête qui nous enseigne les mots pour décrire le scintillement des étoiles, le silence des poissons, les sourires et les tristesses, les apocalypses et la lumière d'été. » L'humain paraît à la fois grand ou envahissant, on ne parle que de lui et de ses tracasseries quotidiennes, son caractère et sa vie, mais il est aussi infinitésimal, replacé dans le contexte abyssal de l'univers et du mystère de la vie. Une question de point de vue. Il ressort aussi de ce roman une teinte de dérision et d'ironie, le rire rivalisant parfois avec le lyrisme, « […] un rire sincère est un étrange mélange de volupté et d'oubli de soi, nous nous désagrégeons en lui, nous tourbillonnons en surplomb du personnage que nous incarnons au quotidien, il fait de nous des êtres humains. »
Écrit en 2005 et publié maintenant en France, il m'a semblé plus mordant que ses précédents traduits en français. En tout les cas reconnaissable, les aficionados ne manqueront pas de replonger avec délice dans le style singulier de cet auteur, envoutant et aérien, en relation étroite avec le travail remarquable de son passeur, Eric Boury.
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