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Critique de fbalestas


Cher Monsieur Stefansson,

Je sais, c'est idiot, je ne devrais pas commencer comme ça, pas dire ces mots-là, me centrer sur votre livre, et c'est ce que je ferais sans doute dans un instant.

Mais permettez-moi juste un aveu, Monsieur Stefansson, la lecture de votre roman m'a peut-être coûtée mon couple. Ou bien comment doit-on dire lorsque la personne avec qui vous vivez vous laisse pantoise, seule, avec votre livre entre les mains ?

Je n'aurais pas dû. Pas dû me relever la nuit pour poursuivre cette lecture. Pas dû continuer toute la journée sans voir passer les heures, alors qu'il était temps de « profiter des vacances », de préparer le repas, de vaquer à toutes les occupations que vous proposent gentiment les villes qui vous accueillent. Je suis désolée, je n'aurais pas dû.

Pas plus que je ne devrais m'appesantir sur ces quelques phrases, que je devrais me précipiter pour parler des histoires de ces femmes et de ces hommes au nom imprononçable, vivant à l'autre bout de notre planète, alors que je suis là, bêtement, votre livre à la main, et seule alors que la porte vient de claquer.

C'était peut-être le livre de trop.

Ou bien, comme me le suggérait la personne avec qui j'étais censée partager mon quotidien, peut-être que oui « les femmes qui lisent sont dangereuses », effectivement, comme cela m'a été dit ce matin.

Passe encore qu'il faille me déposer régulièrement à la bibliothèque pour faire le plein, passe encore que je doive passer du temps sur les écrans pour partager mes coups de coeur, il fallait encore que je tombe sur vous, Monsieur Stefansson, et que je ne puisse rien faire d'autre que de vous lire jusqu'au bout.

Il faudrait donc que je parle ici de Peter le pasteur et de Gudridur, de Haraldur et Aldis, d'Hafrun et Skuli, de Soley, d'Asi et Mundi, de Svana, de Kari, d'Odi, de Margret qui apparaît en songe à Runa, ou d'Eirikur le guitariste, de Pall, d'Halldor et de Skuli, il faudrait que je parle d'un diable qui surgit à tout moment, interrompant un récit qu'on voudrait tellement entendre se poursuivre, mais je suis désolée, Monsieur Stefansson, mais je vais avoir du mal à parler de votre « Ton absence n'est que ténèbres » d'une seule traite.

Car voyez-vous, à cause de vous, je suis bien embêtée. Il va falloir sans doute qu'à cause de vous je me décide à faire mon portrait sur l'un de ces sites miraculeux promoteurs de relation amoureuse, et comment vais-je faire pour apparaître sous mon meilleur jour ? Et si, miraculeusement, j'en venais à avoir un premier rendez-vous, que dirais-je à la personne face à moi pour justifier d'être seule dans une société où tout doit s'expliquer ?
Je ne pourrais jamais dire que c'est à cause d'un livre – personne ne me croirait.
Je ne saurais même pas par quel bout commencer pour dire de quoi parle le livre d'ailleurs, et je m'emberlificoterai les pinceaux comme je le fais à cet instant, toute en digression, au lieu de dire tout le bien que je devrais de votre récit.

Mais voilà, c'est plus fort que moi. J'ai dû attraper votre virus.
Notez d'ailleurs que je vais vous faire un aveu – encore un, me ferez-vous remarquer.

Je vous ai déjà vu. Vu pour de bon. Oh, certes, pas en tête-à-tête, ne rêvons pas trop, mais entendu dans une grande salle parler de l'un de vos précédents livres que j'avais lu religieusement. Je me souviens surtout de votre démarche. de la façon dont vous avez glissé le long des rangs où je me trouvais pour vous approcher de l'estrade. Oui je sais : c'est idiot mais je me souviens surtout de votre démarche pour aller jusqu'à l'estrade.
Je ne devrais pas le dire, ni pas plus l'écrire. Ou bien, rêvons encore une minute : et si cette minuscule chronique, pouvait vous atteindre – non, je ne pense pas que Babelio soit connu en Islande, c'est trop loin, lorsque vous êtes venus jusqu'à moi pour que je vous écoute vous étiez à des milliers de kilomètres de chez vous.
De mon côté, l'Islande je n'y ai jamais mis les pieds, juste vu des reportages, ou plutôt si, je devrais vous avouer encore quelque chose – pardon, une dernière fois, je sais que j'abuse et je ne voudrais surtout pas vous lasser – j'ai le souvenir d'un rêve très lointain, que j'ai fait quand j'étais toute petite mais dont je me suis souvenue longtemps, rêve d'un paysage que beaucoup plus tard j'ai appris à nommer « fjord », et j'étais à bord d'un grand bateau, à l'avant, et je me laissais couler le long de la coque vers le fond de cette eau sans fin.

Je rêve donc. Non pas que cette 80ème chronique sur votre livre – tout a déjà été dit par les Babeliotes, bien plus loquaces que moi, sur la qualité de votre écriture – ne mérite qu'on s'y attarde, et comme vous ne connaissez pas Babelio, aucun risque que vous la lisiez un jour, à moins, que, une très infime probabilité, mettons une chance sur un million peut-être, un éditeur, à court d'idées, et qui tombe par hasard sur ces quelques mots, et veuillent les traduire en objet – je sais je suis en plein rêve, mais c'est à cause de votre livre – oh non pas un grand éditeur, pas une maison d'édition avec de grands auteurs comme ceux qu'on invite à la Grande Librairie ou dont on parle dans les grands journaux, non, une toute petite maison d'édition, qui ferait de ces quelques lignes un bel objet relié à la main, qui se vendrait un euro sur les marchés, de la littérature locale en quelque sorte, coincée entre les tomates et le saucisson. Et si ce petit objet pouvait voguer jusqu'au nord de notre Europe, telle une bouteille à la mer, et que quelqu'un le découvre ...
Je digresse, j'en conviens.

Il faut revenir à votre récit ou plutôt à vos récits, vous qui avez le talent du charmeur de serpent : vous nous appâtez, vous nous faîtes croire que l'amour peut survenir entre deux personnes que tout oppose – un pasteur et une paysanne illettrée par exemple – et il faudrait qu'on vous suive, et en plus vous vous arrêtez au meilleur moment.
C'est affreux.
Vous nous piégez, Monsieur Stefansson, et à cause de vous des couples se disputent et se déchirent alors qu'il y a tant à faire à l'extérieur.

J'imagine encore un truc – promis c'est le dernier, mais c'est de votre faute aussi, vous nous faîtes croire à l'improbable, et en plus vous nous mettez une musique de Tom Waits, Ella Fitzgerald ou David Bowie en fond sonore, et on ne peut que vous suivre, c'est très injuste ce que vous faîtes.

Alors j'imagine que je vous rencontre un jour pour de vrai, pas dans une conférence comme lorsque je vous ai entendu, mais en tête-à-tête, un truc totalement improbable encore, allez je dirais une chance sur un milliard cette fois-ci, mais voilà vous nous avez fait croire que rien n'était impossible dans votre récit, alors j'extrapole.

Mais que vous dirais-je dans ce cas ? Je serais aussi muette qu'au premier rendez-vous avec un jeune cadre dynamique après avoir posté mon portrait sur un site de rencontre. Je me tiendrais là, les bras ballants, ou plutôt avec une tasse de thé dans la main, et déjà je pense que notre rencontre démarrerait très mal, parce que certainement vous aimez le café comme les litres que vous faîtes boire à vos personnages - celui du Pasteur notamment, servi par Gudridur qui n'en croit pas ses yeux – mais a-t-on idée de s'appeler avec des noms pareils ? – et moi je n'aime pas du tout le café : vous voyez ? ça ne collerait absolument pas entre nous, et je n'aurais rien à vous dire parce que tout est dit là et qu'il est grand temps de refermer cette chronique.

Bon, j'en termine donc, moi qui n'ai jamais l'habitude d'écrire si long - mes amis Babeliotes vous le confirmeront.

Vous m'avez écrit « Vous prenez une décision, un tel sombre dans le désespoir, un autre embrasse le bonheur, mais il y a toujours un tribut à payer. Vous ne prenez aucune décision et vous voilà paralysé ». Et je vous en remercie de m'avoir écrit ces simples mots.

Et vous avez terminé par « Et maintenant que je t'ai vue sourire, que va-t-il advenir de moi ? »

Je dirais juste, pour terminer, et encore pardon d'avoir été si longue
Et maintenant que j'ai fini « Ton absence n'est que ténèbres », que va-t-il advenir de moi ?
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