" Fallait - il que je meure pour te prouver que tu ne pouvais vivre sans moi ? " écrit à Asta , d'outre -tombe , Joseph qui fut son grand amour " .
" Avons - nous un autre but dans la vie que celui de naître, de tousser deux ou trois fois , puis de mourir ? "
Voici un roman construit comme un puzzle géant , non linéaire, sans continuité oú le lecteur devra maintenir son attention constamment, ce qui risque de détourner ou décourager nombre d'adeptes.....Difficile d'écrire une chronique !
Mais quel roman !
On dirait que le romancier Islandais n'a que faire de mettre à l'aise son lecteur et de le tranquilliser :" Il est impossible de raconter une histoire sans s'égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et reculer , non seulement une fois mais au moins trois--- ---car nous vivons en même temps à toutes les époques" ..-----
Nous voilà prévenus...
L'histoire d'une femme Asta : Reykjavik , début des années 50 ( un prénom dérivé du mot " amour", Ast en islandais )..de sa naissance à sa vieillesse ..
Une séquence conte l'amour fou , charnel,exalté entre Sigvaldi, la trentaine avec Helga, 19 ans, belle, d'une beauté aussi impardonnable qu'incompréhensive, vibrante duquel naîtront deux filles en deux ans , Sesselja puis Asta....
Puis l'auteur rompt le rythme de l'histoire une 1ère fois : vingt ans plus tard , Asta vit à Vienne, suit des études de théâtre en même temps qu'un traitement psychiatrique ....
Quand à Sigvaldi il est tombé d'une échelle , tandis qu'il agonise sur le trottoir ses souvenirs refont surface emmêlés , en désordre qui brassent une grande partie du roman : instants de vie, paysages dans lesquels s'inscrivent les époques , les pays pour recoller les piéces d'une Fresque Familiale :
Helga , la femme aimée passionnément, Asta et Sesselja, Sigrid , Josef,..
L'auteur écrit surtout sur " la maniére qu'a le destin d'ouvrir les portes " .
Ses mots nous brûlent et nous entraînent au coeur de cette fresque familiale envoûtante, puissante , inédite , originale, sociale, charnelle, spirituelle ,contemporaine , urbaine (Reykjavik) houleuse (auprès des fjords de l'ouest), et place l'amour surtout avec un grand À au centre : amour paternel, maternel, filial , fraternel, passion amoureuse . ....
Pour l'auteur c'est la capacité d'aimer et de souffrir qui confére à l'existence humaine son intensité et qui la justifie.
C'est l'amour dans toutes ses définitions, la vie et rien d'autre entre microcosme familial et macrocosme universel, la confiance et la connivence , l'inexpiable échec, le chagrin éternel, la compassion pour tout ce qui vit et souffre, la brièveté de l'existence ... le temps qui passe qui efface tout.
Oú l'on croise des Poétes et des écrivains , oú l'on entend de la musique : Ella Fitzgerald, Elvis Presley, Nina-Simone , Billie Halliday ...
C'est une oeuvre foisonnante, pétrie de sensibilité , de poésie , ample, profonde , exaltante qui signe d'une façon fragmentée le fil de la vie d' Asta ....merveilleusement traduite, tissée d'amour , de bonheur , de grâce et d'infinie noirceur .....de tout ce qui peut suspendre le temps ...
L'écriture est sensuelle , charnelle, vigoureuse , un VOLCAN islandais ....
Difficile de traduire en mots ce lyrisme , ces sentiments plus grands que nous et ces vies qui s'enlisent sous nos yeux malgré une incessante pulsion de vie et une quête inlassable du bonheur.
L'auteur est un conteur ensorceleur, singulier, capricieux . Sa logique narrative nous rend impatient ...... Il dit "L'amour" dans Toutes ses déclinaisons et touche à l'universel .
Je salue son travail .
Ce n'est que mon avis , bien sûr !
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Àsta, enlevez le a final et vous obtenez amour en islandais, mais vous tenez surtout un des refrains du roman. C'est en effet d'amour dont il est souvent question dans ces tranches de vies familiales et amoureuses, entremêlées et souvent tumultueuses, donnant au final l'image d'une saga quelque peu dynamitée. Car si le début nous amène sur la conception d'Àsta par ses parents Helga et Sigvaldi, le parcours narratif ne sera pas linéaire loin de là, nous informe vite l'auteur : «Si tant est que ça l'ait été un jour, il n'est désormais plus possible de raconter l'histoire d'une personne de manière linéaire, ou comme on dit du berceau à la tombe. Dès que notre premier souvenir s'ancre dans notre conscience, nous cessons de percevoir le monde et de penser linéairement, nous vivons tout autant dans les évènements passés que dans le présent.»
Une narration rythmée par les souvenirs du père d'Àsta tombé d'un immeuble dont il repeignait la façade. Désormais étendu sur le trottoir il s'adresse (ou croit s'adresser) à cette norvégienne réconfortante, lui transmettant les épisodes de sa vie qui défilent dans sa mémoire au gré du vent. Une narration rythmée aussi par les lettres d'Àsta à un amour perdu, ou encore par les nouvelles que nous donne l'auteur du récit depuis sa retraite au fin fond des fjords de l'Ouest, avec pour seul voisin un entrepreneur de tourisme local pour le moins envahissant. Autant dire que l'on navigue entre les époques et les personnes, sans se perdre pour autant, on construit le puzzle au diapason d'une prose toujours aussi poétique et lyrique, profonde, sous tension permanente de questionnement sur le sens de la vie.
Et c'est magique, comme toujours avec Jon Kalman Stefansson. La lecture est envoûtante sous les décors contrastés d'Islande. Les lumières d'été et les nuits d'hiver y sont comme des pendants de la vie et la mort, les personnages si humains prennent corps sous les étoiles qu'allume l'auteur.
Encore une bien belle réussite à mes yeux, pour un auteur (souvent associé au travail de son traducteur Eric Boury) dont je suis résolument fan.
« Je le mesure depuis maintenant six mois et un jour. Les résultats sont disponibles : il s'avère que mon manque de toi dépasse les limites du monde des vivants. En réalité, il les dépasse tellement qu'il engendre une certaine agitation jusque chez les défunts. »
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Sigvaldi est tombé de son échelle alors qu'il repeignait des fenêtres. Agonisant sur le trottoir, des souvenirs affleurent qu'il confie à la jeune femme venue lui porter secours. Il déroule ainsi dans la belle et sauvage Islande des bribes de vies. Celle d'Ásta, sa fille, celles d'Helga et de Sigrid, ses épouses, celle de son frère, et d'autres encore.
Il est des moments où il est délicieux d'exister. Des moments qu'on aurait préféré ne pas connaître. Des moments de routine où rien ne se passe. Tout cela forme la vie, des vies. En Islande comme ailleurs, il est des choses qu'on ne saurait fuir, la fuite du temps en est une. Remarquable conteur et poète, Jón Kalman Stefánsson construit un puzzle du temps avec des instants de vie de ses personnages. De la jeunesse à la maturité, de la vieillesse à la mort, différents pour chacun, des temps pour aimer, regretter, pleurer, chanter ou même... espérer.
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De par son ampleur, de par sa profondeur, Ásta est un roman exaltant. C’est le sixième livre traduit de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson, l’auteur de D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds (Gallimard, 2015) et d’A la mesure de l’univers.
Lire la critique sur le site : Liberation
Agencé comme un puzzle géant, ce grand roman mystérieux passe du présent au passé, et retour au présent, à toute allure. Il revient au lecteur de chercher la pièce manquante. C’est un écrivain qui raconte. Mais il y a aussi les souvenirs du père d’Asta au moment où il tombe d’une échelle, et des lettres d’Asta elle-même.
Lire la critique sur le site : Liberation
Après son éblouissant diptyque ( D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds et À la mesure de l’univers), Jón Kalman Stefánsson signe l’un des romans marquants de cette rentrée. Une femme y évolue sur le fil de la vie.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Sur les traces d’une héroïne dans tous ses états, Jón Kalman Stefánsson livre d’une plume vigoureuse un récit fragmenté sous le sceau de l’amour.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Avec « Asta », vie d’une femme tourmentée par la tristesse et la mauvaise conscience, le romancier islandais signe un roman aussi superbe qu’envoûtant.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Page 52
Mais bon sang, ce que c’était compliqué de fixer cette fichue corde à la poutre, et de l’attacher de manière à ce que le nœud coulant soit à la hauteur adéquate, franchement, ce qu’elle pouvait être maladroite. Ce fut toutefois cette maladresse qui la sauva, comme quoi, ce n’est pas forcément un avantage d’être bon bricoleur, c’est là un don susceptible de se retourner contre vous. Le couple surgit au tout dernier moment. L’homme était descendu chercher la clef, poussé par son épouse, persuadée qu’il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Peut-être parce que cette femme était une lectrice assidue, elle lisait entre quinze et vingt romans par ans, elle possédait l’ensemble des recueils de poèmes de Miroslav Holub, tous dédicacés. Or les lecteurs assidus, surtout quand se sont des lectrices, sont plus ouverts que d’autres aux souffrances de la vie. La poésie et la littérature les rendent plus sensibles. Le couple entra chez Asta au tout dernier moment, alors qu’elle avait enfin réussi à fixer la corde à la poutre et à se la passer autour du cou. Je n’arrive pas à croire qu’une jolie jeune fille comme vous veuille mourir, murmura la famme tandis que son époux descendait appeler un médecin. Je ne suis pas jolie, marmonna Asta, la voix tellement brouillée par les médicaments qu’on la comprenait à peine, mais sa propriétaire comprit sa réponse, peut-être parce qu’elle avait beaucoup lu, la lecture ouvre tant d’espaces à l’intérieur des gens. Elle comprit et lui répondit, ce n’est pas à vous d’en juger, ma petite.
Vous ne seriez pas écrivain ? Mais c'est génial ! Je veux dire, d'avoir un écrivain dans cette maison. Les touristes vont être rudement contents. Pour beaucoup d'étrangers qui séjournent à Strönd, l'Islande, c'est avant tout le pays des aurores boréales, de la nature, de la littérature, de la poésie et des macareux moines. Et de Björk, évidemment. Mais comme je ne peux leur promettre ni Björk ni les macareux, ce n'est pas mal d'avoir un écrivain islandais sous la main, et c'est nettement mieux qu'un jacuzzi ou une pluie d'étoiles filantes ! Je pourrai sans doute augmenter mes prix de dix pour cent grâce à votre présence. Certains de vos livres ont-ils été traduits ? Où est-ce que je peux les acheter ? Je leur dirai que vous écrivez un roman sur l'Islande et ses champs de lave. Oui, et évidemment, aussi sur la mer, et sur la pêche à la barque. Ils seront scotchés ! Mais à part ça, vous faites quoi dans la vie ?
C’est différent dès que je me mets à écrire. Alors, tout change ! L’écriture libère des choses en moi. Ça te semblera peut-être étrange, mais quand j’écris, je deviens plus grand que l’homme que je suis. Oui, je me transforme en une corde sensible qui tremble entre le visible et l’invisible. Il existe au moins deux mondes, mon cher frère. D’une part, celui que nous voyons tous, celui dont te parlent les journaux, ce qu’on dit à haute voix - et d’autre part, il y a cet univers secret. Toutes ces choses que nous omettons de dire, que nous taisons, que nous cachons, que nous refusons de reconnaître. C’est là que résident toutes nos peurs. C’est aussi là que demeurent nos espoirs déçus, ou ce que nous n’avons pas eu le courage de conquérir. Ce monde, tu l’appelles poésie, et tu le prends pour de la pure invention. Mais que tu le veuilles ou non, cette maudite poésie est parfois la seule chose qui soit capable de cerner l’existence telle qu’elle est vraiment.
Je regarde la lune, ma chère sœur. Elle a la politesse de se placer dans le noir du ciel de manière à occuper presque toute ma fenêtre. Tu sais, ce sont les ténèbres qui la rendent si brillante qu'elle éclaire parfois complètement la nuit. Le jour, elle est pâle, on la dirait malade, la plupart du temps, on ne la voit même pas. Elle a besoin de la nuit pour s'épanouir, c'est l'obscurité qui lui donne sa lumière. Il en va de même des défunts. Nous les voyons la nuit alors que la lumière du jour les efface.
Certains se rappellent avec précision le jour, l’heure, la minute voire l’instant où leur enfance a pris fin, et c’est rarement de bon augure. Ceux pour qui l’enfance s’éloigne si lentement qu’elle ne disparaît jamais tout à fait sont nettement plus chanceux, ils continuent d’abriter au fond d’eux l’enfant qu’ils ont été.
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Aujourd'hui, je ne vais y aller par quatre chemins : voici l'un des plus grands romanciers contemporains. Il est islandais et croyez-moi vous allez adorer ses livres !
« Lumière d'été, puis vient la nuit », de Jon Kalman Stefansson, c'est à lire aux éditions Grasset.