Je viens de terminer cette oeuvre de Steinbeck, dont la fin, bouleversante, m'a laissée épuisée d'émotion.
Malgré quelques réserves cependant. Emettre ces réserves me dérange d'autant plus, que Steinbeck a un verbe, a un style et nous emporte avec ses personnages vers la dimension de l'universel. Oui, c'est vrai ! Mais ....
Je livre ici une impression sous le coup de l'émotion immédiate provoquée par une lecture exigeant une attention soutenue, avec des personnages, archétypes de sentiments universels :
Lee, le sage, philosophe et curieux de l'âme humaine, le personnage le plus généreux de cette histoire, animé de tant d'empathie envers les autres ! et d'une sagesse, dont on doute presque qu'elle puisse être humaine !
Adam, l'être calme et pondéré qui refuse de voir le mal et se complaît dans une fausse idée, sublimée, éthérée de l'humain.
Cathy, la garce, la mauvaise femme, foncièrement immonde, dont on ne peut comprendre les motivations ! Elle ne voit les autres qu'à travers un prisme négatif ! Et c'est là où le bât blesse, un tel être peut-il vraiment exister ?
Aaron, le fils d'Adam et de Cathy, celui dont la pureté (l'angélisme?) apparaît comme un anachronisme et son frère jumeau Caleb, le plus "normal" d'entre tous. Jeune homme ballotté entre mauvaises pensées et bons sentiments, choqué par la découverte de ses origines, aimant et détestant son frère pour les qualités qu'il décèle chez lui et dont il se sait dépourvu et luttant contre ses penchants qu'il juge pervers.
Enfin, Abra, cette jeune femme heureusement équilibrée, très vite (trop vite) mature et consciente que les amours enfantines vécues avec Aaron n'étaient que duperie !
Voilà pour la famille Trask.
Et côté Hamilton, le patriarche, Samuel, homme sage, mesuré, intelligent, inventif et compréhensif qui anime l'oeuvre entière de sa présence et cela bien après sa disparition !
Ce qui me gêne dans
A l'est d' Eden ?
Une construction un peu bancale. Un déséquilibre dans l'alternance des chapitres. Un certain nombre de personnages dont l'utilité dans l'histoire qui nous est contée n'apparaît pas évidente,
donne même l'impression de digressions oiseuses. Bien sûr Steinbeck a voulu évoquer sa famille et restituer le foisonnement de la vie à travers de multiples personnages !
Mais, il me semble, pour la pertinence de l'ouvrage, que le propos de l'auteur aurait gagné à être resserré autour des principaux événements et des principaux personnages ! l'enfance et les rapports conflictuels d'Adam et son frère Charles opposés à ceux des jumeaux Aaron et Caleb ! par exemple.
Pourquoi nous décrire la famille Hamilton et nous raconter le devenir de chacun d'eux, alors que le seul personnage indispensable de cette famille pour la compréhension de l'oeuvre est Samuel, un des moteurs principaux de l'intrigue, lui qui illumine la première partie de cet ouvrage, lui dont les discussions avec Adam et Lee font le sel de cette oeuvre.
Là, dans les quelques chapitres où ces trois protagonistes sont réunis, réside la substantifique moelle et la richesse du livre tout entier. Là se trouve la justification du demi siècle d'histoire ici évoquée et c'est la voix
De Lee qui nous en livre la teneur en transmettant ce message divin de la Bible et les essais de traduction qui en sont faits : "domine" - ou - "tu le domineras" - ou - "tu peux le dominer" ! C'est là que s'expriment (ou pas) la liberté, la responsabilité et la volonté de l'homme et là que réside le pouvoir qu'il prend (ou pas) sur le monde !
Et c'est là que s'exprime le génie de Steinbeck en démontrant que l'homme, création divine, peut, ou pas, influer sur ce que l'on peut dénommer son destin. Timshel !