La qualité d'une pelouse s'estime, dit-on, à ses bordures : proverbe de jardinier. Je serais tentée d'étendre cet axiome aux productions littéraires. On peut avoir une idée de la qualité de l'oeuvre d'un auteur en allant pêcher dans ses livres les moins connus. C'est ce que j'ai fait en allant chercher chez John Steinbeck cet obscur et très confidentiel Règne éphémère de Pépin IV.
Alors, vous vous en fichez, je sais bien, mais je ne résiste pas au plaisir de vous conter ma rencontre avec cette oeuvre, et plus exactement avec ce livre. Il est des jours, nés sous le sceau de la chance, où il vous arrive entre les mains, comme tombés des cieux, de ces livres énigmatiques, faits de poussières et de longues heures d'attente d'un lecteur motivé sur les rayons las d'une bibliothèque peu passagère.
Voilà l'objet du délit : pas du tout la couverture ornée d'un chat languide qui figure sur la fiche de Babelio, non, un vieux livre beige, avec un cadre jaune d'or, une édition originale de la traduction de 1957 chez del Duca. Un livre aux feuilles à découper et, tenez-vous bien, dont le travail restait encore pour moitié à faire, preuve flagrante que l'ouvrage n'avait jamais été lu, certaines pages, jamais offertes à la lumière du jour. C'est émouvant ces choses-là pour des bêtes comme moi. 1957, pensez donc, je n'étais pas née et pas près de l'être et voilà qu'un livre me parlait de cette époque, par le bout de la lorgnette, les doigts de pied de l'édition… Mon coeur battit !
Et ce livre, une fois encore, attesta pour moi de l'immense talent de son auteur, son humour, sa verve, son intelligence et sa vision de l'existence. Qui plus est, le roman se passe en France dans les années 1950, en plein dans le moelleux de la IVème république. Steinbeck parvient à écrire un livre loufoque et drôle sur notre pauvre France, tout en étant d'une acuité et d'une profondeur sur la vie politique qui doivent nous interpeler, surtout aujourd'hui qu'il est l'heure bientôt de choisir un énième bouffon pour gouverner ce qui de toute façon est gouverné autrement par d'autres biais.
L'auteur nous rappelle donc le beau cafouillage qu'était la IVème république, avec ses gouvernements dont l'espérance de vie dépassait rarement les deux mois mais dont les acteurs de l'époque n'ont pas changé d'un iota. Peut-être même sont-ils encore plus caricaturaux de nos jours qu'ils ne l'étaient sous la plume de Steinbeck qui pourtant en rajoutait un peu. C'est à mourir de rire, on croirait que ce texte parle de nos guignols actuels.
Et, faute de consensus, et par des calculs troubles, la majorités des chefs de partis en viennent à considérer qu'il serait bon qu'un homme de paille fasse office de roi afin de leur permettre, en sous main, d'accomplir leurs projets propres à intérêts louches. Voilà comment le brave Pépin Héristal, fort lointain descendant de Charlemagne, noble désargenté faiblement rentier et demeurant avenue de Marigny, à Paris, se retrouve désigné d'office et à l'unanimité pour accomplir cette charge dont il ne veut à aucun prix. Sa passion à lui commence à l'astronomie et s'arrête à elle.
Pépin, muni d'une épouse tatillonne et de pensée courte, d'une fille qui rappelle à s'y méprendre Françoise Sagan (à laquelle John Steinbeck taille un joli petit costume, soit dit en passant) et d'un oncle, Charles Martel, marchand d'art perspicace mais à peine honnête, Pépin, donc, se voit contraint à la monarchie, lui qui était si bien, si tranquille derrière son oculaire de l'avenue de Marigny…
Si l'on ajoute à cela que Pépin a quelques principes, qu'il est ami du peuple et qu'il considère que si on prend la peine de le faire roi, c'est pour gouverner, on peut s'attendre à quelques petits quelques choses. Et là, c'est tout le roman ces " quelques choses ", c'est toute la finesse de Steinbeck qui, sous ses airs de nous amuser, nous fait passer sous la porte bien des messages, bien des pensées fécondes sur l'art de gouverner et les pratiques en usage.
À méditer, assurément, et à lire avant les élections, encore plus assurément, et une nouvelle fois un très grand plaisir à la lecture mais je ne vous dis que cela car voici venu la fin de règne de cet avis, éphémère, vous vous en doutez, et qui, comme tous les autres, ne signifie pas grand-chose.
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Une satire qui s'attache à démontrer quelques absurdités du monde politique, vues par la lorgnette inattendue d'un de ces nombreux américains qui prennent (ou ont pris) la France pour… quoi, au fait ? le pays des moeurs légères ? du bien vivre ?
Dans le genre, je persiste à préférer Swift, plus perspicace, plus acerbe.
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