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Critique de Nastasia-B


Juste un mot : SUBLIME !
Une fois n'est pas coutume, je vais essayer de faire court car il n'y a pas grand chose à dire si ce n'est : « Chapeau l'artiste ! »
Imaginez : Vous vivez de la terre en pleine période de crise (Dust Bowl + dépression post 1929* — voir le premier P.S. au bas de cette critique si vous souhaitez quelques informations sur le contexte) dans un sale Oklahoma qui refuse d'offrir de bonnes parcelles.

Vous êtes endetté auprès des banques au point de devoir quitter votre terre pour honorer vos créances (je vous conseille à ce propos, si vous ne le connaissez déjà, L'Argent Dette sur Dailymotion ou Youtube). Où allez vous ?

Là où tout le monde vous dit que c'est mieux ; la Californie, l'Eldorado en quelque sorte (pour mémoire, voir L'or de Blaise Cendrars).

Ouais ! La Californie... et toutes les misères qui vont avec et que vous pouvez vous figurer (du garagiste véreux, aux super propriétaires, toujours prêts à faire travailler à l'oeil une main-d'oeuvre en souffrance).

Ce livre dépasse de loin les frontières des États américains, c'est une allégorie de l'immigration en général. Les Africains, Sud-Américains, Asiatiques qui arrivent péniblement au fond d'un container, sur un radeau ou par quelque autre moyen sommaire et dangereux en Europe ou dans n'importe quelle autre terre soi-disant "promise" doivent vivre à peu près la même chose que les Joad des années 30 aux États-unis.

La magie de Steinbeck, c'est une écriture juste, basée sur un chapitre d'ordre général directement suivi par la mise en situation pour les infortunés Joad. du zéro faute littéraire, un monument de littérature, probablement le plus grand roman du XXème siècle et il s'est même permis le luxe de laisser poindre "le vin de l'espoir" derrière "les raisins de la colère".

Chapeau l'artiste ! même si ça commence à faire beaucoup de fois que je l'écris, ce ne sera jamais de trop, du moins c'est mon minuscule avis, qui se balance comme une feuille roussie désespérément accrochée au rameau dans un matin gris de novembre, autant dire, pas grand-chose.

P.S. 1 : le phénomène du Dust Bowl — littéralement le « bassin de poussière » — est un phénomène à la fois climatique et anthropique d'une ampleur exceptionnelle qui toucha plusieurs états des États-Unis durant environ une décennie, de 1932 à 1941, dont le coeur se situait, principalement, sur une zone équivalant à peu près à la moitié de la France métropolitaine.

(Les principaux états touchés furent l'Oklahoma, le Texas, le Nouveau-Mexique, le Colorado et le Kansas, même si bien d'autres états furent eux aussi touchés plus ponctuellement au cours de la période, comme le Nebraska, les Dakota du Nord et du Sud, le Wyoming ou encore l'Iowa, par exemple, ce qui représente au total une superficie comprise entre deux et quatre fois la France métropolitaine, en fonction des épisodes tempétueux considérés, notamment, le pire d'entre eux, survenu le 14 avril 1935.)

Il s'agit d'une très vaste zone de plaine située directement à l'est des montagnes Rocheuses. Historiquement, la végétation qui s'y maintenait était de la prairie, dans laquelle paissaient d'immenses troupeaux de bisons. L'absence naturelle d'arbres dans toute cette zone aurait pu ou aurait dû retenir davantage l'attention des nouveaux agriculteurs venus s'installer sur ces terres à la fin du XIX et au début du XXè s.

Labourer ces terres, retirer les plantes herbacées qui maintenaient le sol fut, dans un premier temps — c'est-à-dire des années 1900 à 1930 —, relativement sans conséquence sur la productivité agricole, de sorte que de nombreux agriculteurs pauvres, désireux de devenir propriétaires investirent sur cette zone, notamment dans les années 1920 où les prix des denrées agricoles étaient élevés après la Première guerre mondiale, et le travail de la terre, rendu plus aisé par la mécanisation.

Cependant, une zone semi-aride, puisque c'est ce qu'elle est, reste une zone semi-aride ; et en tant que zone semi-aride, elle est sujette aux épisodes de sécheresse. Jusque là, rien à dire, rien qui ne soit autre que naturel, même si l'intensité et la durée de ladite sécheresse furent exceptionnelles. En revanche, ce qui n'est pas naturel, c'est que le vent quasi permanent qui arrive des montagnes Rocheuses rencontre d'immenses zones de terre dénudées.

Et là, ce furent des millions, des milliards de tonnes de poussière qui furent arrachées aux sols et mis en suspension dans l'air. Voilà qui est entièrement imputable aux hommes et aux techniques productivistes de l'époque.

Ajoutons à cela le prix des denrées agricoles qui s'effondrèrent du fait même du crach boursier d'octobre 1929, une crise économique qui s'installa pour longtemps, doublée d'une crise climatique d'une longueur, d'une intensité et d'une fréquence hors du commun, jamais vue ni avant ni après en ces lieux et, durant presque dix ans, des récoltes quasi nulles.

Il faut imaginer des coups de tabac à répétition soulevant d'inimaginables nuages de poussière noirs et opaques, hauts comme des montagnes, sur des distances de parfois 300 km, capables d'occulter toute lumière en plein midi, capables d'accumuler suffisamment de sable pour faire disparaître votre maison en une fois sous une dune monumentale, capables de vous abraser les jambes si vous êtes dehors les jambes nues, capables de vous faire avaler tellement de poussière que vos poumons s'en trouvent emplis et que vous pouvez en succomber.

Ajoutons à cela de larges abus de la part des secteurs bancaires et fonciers, et l'on comprend mieux pourquoi des millions de personnes furent d'un coup dépossédés de leur moyen de subsistance, écoeurés de leur lopin de terre, et, de ce fait, jetés sur les routes en quête d'un nouveau gagne-pain.

P.S. 2 : même si j'aime assez le film de John Ford de 1940 (donc un an seulement après la sortie du roman), c'est peu dire qu'il est très en-dessous du livre. Vu la densité et la longueur du roman, le réalisateur a choisi de se focaliser sur certains tableaux, il fait notamment l'ellipse de toute la descente aux enfers que constitue le trajet depuis l'Oklahoma jusqu'à la Californie, qui est, personnellement, ce que j'aime le mieux du livre (même s'il m'est difficile de prétendre qu'il existe des endroits que j'aime moins dans ce livre car j'aime absolument tout). Ce film vaut surtout pour l'illustration très réaliste et contextuelle qu'il procure de l'oeuvre de Steinbeck.

N.B. : ce livre est évidemment à l'origine du superbe titre de Bruce Springsteen : The Ghost Of Tom Joad.
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