On trouve dans mes écrits et mes conférences de cette époque certaines affirmations apparemment en contradiction avec ce que j'ai dit plus tard au sujet du christianisme. Cela tient au fait suivant: Lorsque j'utilisais le mot « christianisme », j'avais présent à l'esprit le dogme de l'au-delà tel qu'il était employé dans les confessions chrétiennes. Partout l'expérience religieuse faisait état d'un monde de l'esprit demeurant inaccessible à l'homme, quel que soit son effort pour développer ses forces spirituelles. L'enseignement dispensé par la religion, ses prescriptions morales trouvent leur origine dans les révélations que l'homme reçoit du dehors. A cela s'opposait ma conception de l'esprit, estimant qu'il en est du monde spirituel comme du monde perceptible aux sens: on doit pouvoir en faire l'expérience à travers ce que l'homme perçoit en lui et dans la nature. Mon individualisme éthique s'y opposait aussi; il ne pouvait pas chercher la source de la vie morale dans des commandements venus du dehors, mais dans le seul développement des facultés psychiques et spirituelles de l'être humain habité par le divin.
Ma première rencontre avec les ouvrages de Nietzsche se situe en 1889. Avant cette date je n'avais rien lu de lui. Les idées exprimées dans ma « Philosophie de la Liberté » n'ont donc pas pu être influencées par sa pensée. En lisant ses écrits, je ne pus me soustraire à l'attrait de son style tellement marqué par sa situation dans la vie. J'eus l'impression que son âme, à la fois grâce à une discipline intérieure et par tempérament, était à l'écoute de la spiritualité de son temps; elle devait cependant ressentir que ce genre de vie intellectuelle ne la concernait pas, qu'une véritable vie exigeait un univers différent, dépourvu des fâcheux aspects de l'existence présente. Un pareil sentiment avait fait de Nietzsche le censeur inspiré et acerbe de son époque, un censeur souffrant de sa propre action critique.
Dans tous mes travaux se rapportant à Goethe il m'importait de présenter le contenu et l'orientation de sa «philosophie». Il s'agissait de prouver comment l'ingéniosité universelle de la recherche et la spiritualité de la pensée goethéenne étaient parvenues à découvrir certains détails dans des secteurs spéciaux des sciences naturelles. Il ne m'importait nullement d'attirer l'attention sur telle ou telle découverte particulière, mais bien plutôt de faire voir qu'elle résultait spontanément de la contemplation spirituelle de la nature.
Quiconque parcourt en solitaire les sentiers de l'esprit ne saurait s'en émouvoir. Par contre, celui dont l'activité spirituelle doit s'insérer dans un contexte humain, sera, par de telles pratiques, profondément affecté dans son âme; cela est vrai surtout si la certitude de son orientation intime se recouvre à tel point avec son être qu'il ne peut pour l'essentiel s'en écarter.
L'acte de connaissance devient ainsi un processus se déroulant dans la réalité. Des questions surgissent dans l'univers; les réalités apportent des réponses. Pour l'homme, la connaissance n'est autre chose que sa participation au dialogue que se livrent les êtres et les événements du monde spirituel et du monde physique.
RUDOLF STEINER Artiste et enseignant - L'art de la transmission - Céline Gaillard
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=37325 Rudolf Steiner, tout comme Kandinsky, Klee ou encore Beuys furent tout à la foi...