![]() | klakmuf 18 février 2014
Chaque langue humaine représente l'une des possibilités d'un spectre vraisemblablement ouvert. Ces possibilités sont des lectures du temps et du monde auxquelles j'ai fait allusion. L'allemand "Weltanschauung" est précis et juste. Une langue remplit une alvéole de la ruche des perceptions et des interprétations potentielles. Elle articule une construction de valeurs, de sens, de suppositions qu'aucune autre langue n'égale exactement ou ne supplante. Parce que notre espèce a parlé et parle en des langues multiples et variées, elle engendre la richesse des milieux et s'adapte à eux. Nous parlons des mondes. Babel aura donc été le contraire d'une malédiction. Le don des langues est précisément cela, un don et une bénédiction incalculables. + Lire la suite |
Laure Adler s'entretient avec l'essayiste et philosophe du langage George Steiner. Diffusion de l'émission “Hors-champs” sur France Culture le 14 décembre 2015. Photographie : George Steiner, le 6 mai 2015, dans sa maison à Cambridge, au Royaume-Uni. © GREG FUNNELL POUR “LE MONDE”. Son site web : http://www.gregfunnell.com/#!/index. Intellectuel européen, spécialiste de littérature comparée et de traduction, critique littéraire, passionné de lettres et de langues, il est l'auteur de “Après Babel. Une poétique du dire et de la traduction” (1978), “Les Antigones” (1986), ou encore “Poésie de la pensée” (2011). George Steiner est né à Paris en 1929. Ses parents, d’origine autrichienne, ont fui leur pays face à la montée du nazisme. Les Steiner sont cultivés, font partie de l’élite. Le jeune George est donc initié très tôt aux lettres et langues : il parle l’anglais, le français, l’allemand et le grec ancien.
Cette enfance est bercée de musique, elle fait partie de sa vie. « Il paraît que certains chefs d’orchestre arrivent à lire une partition et l’entendent dans leur tête. C’est très rare. Moi je suis incapable de lire une partition. » Très jeune, ses parents l’emmènent au concert. « La musique peut m’apporter un grand bonheur. Elle peut accompagner. La musique est au-delà du bien et du mal. »
Au début de la Seconde Guerre mondiale, la famille fuit à nouveau, quitte la France quelques mois avant l’invasion de Paris par les Allemands, et part pour New York où George Steiner poursuit ses études et obtient la nationalité américaine. Suivent de brillantes études qui le conduisent à enseigner dans les institutions universitaires les plus prestigieuses.
Dans son métier d’enseignant, il est confronté à des jeunes dont il déplore le manque de volonté de s’engager en politique : « Les jeunes ont un dégoût devant le processus politique lui-même, et ça c’est très grave. Aristote a dit que si on ne vient pas sur l’agora pour exercer la politique, il ne faut pas se plaindre que des bandits s’emparent du pouvoir. » Il raconte que quand il est venu travailler à Cambridge, la plupart de ses étudiants avaient l’ambition de faire de la politique à haut niveau, d’entrer au Parlement britannique, tandis qu’aujourd’hui, peu d'entre eux sont tentés par une carrière politique.
L’avenir devient de plus en plus complexe, estime George Steiner, et le cerveau humain ne serait pas assez grand pour répondre à tous les problèmes. « Nous sommes débordés de questions auxquelles nous ne sommes pas capables d’apporter des réponses. Le flot immense d’informations dépasse notre capacité limitée… »
Extrait musical :
Erik Satie, “Le Poisson rêveur – Esquisse”, interprété par Bojan Gorišek
Invité :
George Steiner
Thèmes : Essai| Poésie| Culture| Philosophie| Politique| Art| Musique| George Steiner
Source : France Culture