Très bon pamphlet de
Pierre Tevanian et
Jean-Charles Stevens à l'encontre de ceux qui se gargarisent de la fameuse formule «
on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Les deux auteurs dénoncent avec brio les présupposés, souvent sordides, d'un tel énoncé.
Tevanian est un philosophe, cofondateur du collectif
Les Mots Sont Importants, présent sur le Web à travers le site https://lmsi.net/ et dont j'essaie de suivre les publications, toujours instructives.
Jean-Charles Stevens est un juriste, spécialiste du droit des étrangers.
Les deux auteurs examinent, presque un par un, les 10 mots de cette expression inique. Ils démontrent d'abord que l'un des gros problèmes de ce genre de sentence est d'être émise dans un but de clore toute discussion. Les premières lignes de l'ouvrage restituent bien cet aspect :
« Proférés pour clore toute discussion, ces dix mots semblent constituer l'horizon indépassable de tout débat sur les migrations. En France comme en Belgique, et sans doute ailleurs, ils tombent comme un couperet pour justifier toujours le « contrôle » et la « maîtrise » des « flux migratoires » – c'est-à-dire, en termes moins euphémiques : le refus, la restriction, la fin de non-recevoir et la répression » (p5).
En lançant ce genre d'affirmation péremptoire, comme s'il s'agissait d'un fait établi, d'un donné incontestable, le locuteur tend à déclarer inutile toute prise en compte de nos affects sur ces questions, comme stériles toutes discussions à ce sujet puisque, paraît-il, « les faits sont têtus ». C'est bien évidemment inexact, mais la formulation de la phrase est ainsi faite qu'on veut laisser penser qu'il n'y pas d'alternative. C'est ainsi et pas autrement.
Ce n'est pas là le seul méfait de ce coup de force rhétorique du « on ne peut pas », puisque, en sus de vouloir clore la discussion, on s'efforce par là de noyer toute responsabilité politique : « La responsabilité de la fermeture des frontières, du quasi-démantèlement de l'asile et des milliers de morts que ces politiques engendrent, n'est pas seulement diluée dans un « nous » indéfini, elle est purement et simplement niée, dans la mesure où le choix politique n'est pas assumé comme tel, mais présenté au contraire comme la simple reconnaissance et le simple accompagnement d'une stricte nécessité » (p17).
Puisque c'est là une donnée présentée comme incontestable, il n'y a pas lieu d'en faire le sujet d'un débat citoyen, d'en faire une question politique. Exit la réflexion et le débat politiques ! Ce laïus vise bien à clore toute discussion. Exit également la responsabilité politique ; nous n'y pouvons rien, mon pauvre monsieur, c'est comme ça !
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