Mutineries et contre-mutineries, flibusteries et autres fourberies, on connaît (ou pas) l'histoire de ce récit d'aventures d'humains à la quête du trésor caché sur une île mystérieuse. De 7 à 77 ans on est susceptible d'accrocher sans réserve au ton de ce narrateur mi-enfantin mi-adulte, à coup sûr diablement efficace.
Je me suis laissé séduire chez mon libraire préféré par la dernière traduction de Jean-Jacques Greif, et me suis lancé dans une comparaison incomplète et rapide avec ce qui se faisait en 1911 (merci aux ebooks libres de droit, « adaptation de André Laurie »).
Les pirates s'expriment maintenant dans un langage populaire, élision des « e » et expressions courantes plongent le lecteur dans la vraisemblance là où à une autre époque on ne semblait pas prêt à la privilégier au détriment d'une bienséance langagière.
« Quand on aura besoin de Ben Gunn, reprit-il, tu sais où le trouver, mon petit Jim. Précisément où je t'ai rencontré aujourd'hui... Et celui qui viendra aura soin de tenir à la main quelque chose de blanc, – et de venir seul, surtout !... « Ben Gunn a ses raisons ! » (voilà ce que tu diras). » (1911)
« Et quand y'aura b'soin de Ben Gunn, tu sais où l'trouver, Jim. Juste où qu'tu l'as trouvé jourd'hui. Et çui qui vient doit avoir kekchose de blanc à la main ; et doit venir seul. Oh ! Et tu diras aussi : « Ben Gunn a ses propres raisons. » Tu diras ça. » (2018)
Pour moi l'arbitre : « C'est mieux maintenant» : 1 – « C'était mieux avant » : 0.
Long John Silver se découvre en 2018 avec un surnom de «Barbecue» par ses potes les pirates, point de « Barbecue » en 1911 ni de surnom apparemment (je n'ai pas relu en entier l'ancienne version, juste quelques recherches et comparaisons rapides). Est-ce une liberté de traducteur ou y avait-il un surnom dans le texte originel ? L'effet barbecue est personnifiant, je l'ai ressenti comme positif envers le fameux Long John Silver (mais j'aime bien les barbecues il faut dire).
« Lui et John Silver faisaient une paire d'amis et cela m'amène à dire un mot de notre cuisinier. » (1911)
« C'était un proche compagnon de Long John Silver, et la mention de ce nom m'amène à parler de notre cuisinier, que les hommes surnommaient Barbecue. » (2018)
« C'est mieux maintenant» : 2 – « C'était mieux avant » : 0.
Le passé simple est mort, vive le passé composé. La narration reste au passé bien sûr, (passé composé + imparfait) versus (passé simple + imparfait), le subjonctif disparaît également (il me semble). Plus moderne à coup sûr, moins marqué d'une époque où l'on privilégiait apparemment un langage écrit soutenu (voire élitiste). Avec le passé composé, la narration semble plus orale qu'écrite aussi à mon avis, et plonge (peut-être) mieux dans l'action.
« Les rebelles ne reparurent pas et ne donnèrent plus signe de vie. Ils avaient leur compte pour ce jour-là, selon l'expression du capitaine. » (1911)
« Les mutins ne sont pas revenus. Pas un coup de feu n'a été tiré depuis les bois. Ils avaient « reçu leur ration pour la journée », comme l'a dit le capitaine, [...] » (2018)
« C'est mieux maintenant» : 3 – « C'était mieux avant » : 0.
Le vocabulaire a été re-lifté aussi. Je suis tombé par hasard sur le terme de « squire » en 1911, remplacé par un « sieur » (il y a aussi mutin à la place de rebelle dans le spoiler précédent, les exemples sont légion)
« Nous y trouvâmes le squire et le docteur installés au coin d'un bon feu et fumant paisiblement leur pipe. » (1911)
« Le sieur et le Dr. Livesey étaient assis, pipe à la main, de part et d'autre d'un bon feu. » (2018)
Le score reste inchangé pour moi faute de vision d'ensemble : « C'est mieux maintenant» : 3 – « C'était mieux avant » : 0.
Et 1 et 2 et … 3 zéro, avec beaucoup de subjectivité je me range du côté de la modernité et m'arrête là, mais je pourrais entendre une préférence de puristes pour la préservation de l'oeuvre dans sa version originelle (encore qu'une traduction dénature forcément).
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