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EAN : 9782246831525
234 pages
Grasset (04/05/2022)
3.6/5   350 notes
Résumé :
« Lorsqu’on commande un café à Naples, on peut en régler un second qui sera offert à qui n’aura pas les moyens de s’en payer une tasse. Il est indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso : un café suspendu. Voici un récit composé de sept histoires que j’ai recueillies par bribes au café Nube pendant les quarante dernières années. Toutes sont liées par ce fil invisible qu’est le café suspendu. Du côté de celui qui offre comme de celui qui reçoit, la vie pas... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (89) Voir plus Ajouter une critique
3,6

sur 350 notes
Jacques Madelin, le narrateur, est un Français installé à Naples depuis un amour de jeunesse malheureux. Agé aujourd'hui de soixante-douze ans, il est caricaturiste et habite un appartement au-dessus du café Nube, où il passe ses journées à noircir son carnet de notes et de croquis pris sur le vif. Quarante ans d'observation de la vie du quartier et de ses habitants lui ont enseigné l'âme humaine. Marqué par ce joli symbole de partage et de solidarité qu'est la coutume napolitaine du café suspendu, cette tasse que l'on règle en même temps que la sienne pour l'offrir à qui viendra sans avoir les moyens de payer, il s'en sert de fil conducteur pour se remémorer sept histoires dont il a été témoin.


C'est un véritable voyage à Naples que nous propose ce délicieux pêle-mêle d'anecdotes et d'impressions, qui peu à peu laisse entrevoir, en quelques portraits touchants, la vie intime des habitants d'un quartier, comme si l'on y vivait soi-même. Une épouse trompée, un médecin chinois déraciné, un jeune mafieux en fuite, une jeune fille aspirant au bonheur, un écrivain sans visage qui pourrait être Elena Ferrante, une femme légère, un homme insomniaque : autant d'être cabossés par la vie que le simple geste d'un café suspendu va relier, tissant insensiblement la cohésion d'une petite communauté, telle un village au sein de la grande ville.


Avec l'élégance et la délicatesse qui la caractérisent, la plume d'Amanda Sthers cisèle chacun de ces sept contes en petits concentrés d'émotion et de poésie. Si tous n'ont pas le même impact, y flottent toujours un parfum de mélancolie, l'impression d'existences aux rêves demeurés tristement hors d'atteinte. Ce sont les parcours d'êtres anonymes et invisibles, ceux à côté desquels on passe habituellement sans les connaître, et dont chaque partition n'en compose pas moins l'orchestre de la vie.


Une jolie tranche d'humanité, photographiée avec bienveillance dans un moment suspendu à observer le tourbillon de la vie des autres, et une amusante invitation au partage d'un roman... suspendu !

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Quelle belle invention napolitaine que celle du café suspendu qui permet à un consommateur de régler d'avance la tasse d'un client insolvable !

Jacques MADELIN , caricaturiste français exilé, ou plutôt réfugié, à Naples observe depuis 1982 la clientèle du Nube, et raconte sept histoires en un récit qui se situe entre contes et roman. Chapitres inégaux, indépendants mais traversés par quelques personnes retrouvées au fil des pages et des années.

L'atmosphère italienne, l'ambiance napolitaine, le regard vers les quarante dernières années sont savoureuses et le style d'Amanda Sthers agréable. Mais la trame décousue, les apparitions en pointillé des personnages m'ont déconcerté et certains ont un comportement pour le moins éloigné de l'invention généreuse du café suspendu. D'où un certain sentiment d'inachevé au terme de cette lecture.
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A Naples, la coutume est bien établie : au bar, on commande deux cafés, dont un est destiné à quiconque en aura envie sans en avoir les moyens. le café suspendu est un geste de générosité au delà de la simple charité. Avec le café, c'est aussi la possibilité de se mêler à l'assemblée cosmopolite d'un lieu convivial.

« On a beau faire une mauvaise réputation à Naples et recommander de prêter attention à son sac quand on s'y promène, il y a des tasses fumantes de générosité partout dans la ville »

Pour Jacques, un français qui est venu rejoindre sa dulcinée sur un malentendu, c'est la déception amoureuse qui l'a conduit à poser ses valises dans le quartier, et à passer de longues heures au café Nube. Quoi de plus inspirant que le défilé disparate des clients au comptoir. Une manne pour un caricaturiste ! Lorsqu'il ne croque pas ls touristes, il écrit.

C'est ainsi que ce roman nous offre des tranches de vie, glanées au hasard des confidences et des commérages. Silvia, Fernanda, docteur Chen et tant d'autres alimenteront la légende, sur une période d'une vingtaine d'années. On y croisera même Elena Ferrante !

Le récit est une déclaration d'amour pour la ville animée et frénétique :

« Il y a dans Naples une injonction organique, une boucle d l'Histoire à laquelle on doit se soumettre, une sensation aiguë du destin. On ne peut échapper à ce que cette ville a inscrit dans le livre de notre vie, on doit s'y résoudre comme on s'abandonne malgré la peur dans les bras de l'être aimé »


Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas, mais se répondent au gré des liens tissés entre les personnages. le style est vivant, l'humour n'est pas absent, et c'est une belle excursion que nous propose ici Amanda Sthers. le roman se termine sur une proposition généreuse, celle de faire de ce roman un roman suspendu…

234 pages Grasset 4 mai 2022
#Lecafésuspendu #NetGalleyFrance

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L'ami prodigieux

Amanda Sthers nous offre un voyage à Naples avec ce nouveau roman. Dans les pas de Jacques Madelin, un amoureux transi qui décide malgré ses déboires de s'installer au-dessus du café de son ami Mauricio, elle réussit une formidable chronique qui court sur quatre décennies. Brillantissime!

Pour commencer cette chronique, il me semble opportun de commencer par expliciter le titre choisi par Amanda Sthers, car il explique tout à la fois le lien entre les récits qui composent ce livre et sa construction. Nous sommes à Naples, une ville dans laquelle une sympathique coutume a été instaurée. Lorsqu'on commande un café, on peut en régler un second indiqué sur l'ardoise du bar comme un café sospeso : un café suspendu, c'est-à-dire un café qui sera offert à une personne qui n'a pas les moyens de le payer. Si l'origine de cette tradition est vague, elle n'en offre pas moins au narrateur qui vit dans un petit appartement au-dessus du bar de Mauricio Licelle, son meilleur ami, l'occasion de découvrir tout à la fois les donateurs et les bénéficiaires de leur générosité.
Le café Nube est un poste d'observation idéal pour Jacques Madelin, arrivé dans la capitale de la Campanie a 30 ans pour y retrouver un amour de vacances et y vivant toujours 42 ans plus tard. "J'ai perdu l'amour mais je suis resté dans la ville."
Voici venu pour lui l'heure de nous restituer la chronique des décennies passées dans l'estaminet, sept histoires qui "toutes sont liées par ce fil invisible qu'est le café suspendu".
La première met en scène deux femmes amoureuses du même homme, deux rivales qui vont finalement essayer de trouver un terrain d'entente, quitte à en faire payer le prix au mari et amant. Ce dernier, comme souvent en pareil cas, étant le dernier à apprendre ce qui se trame dans son dos.
Arrive ensuite Chen, un docteur pratiquant une médecine Chinoise Ancestrale qui ne va pas tarder à trouver des patients conquis par son savoir. Mais ce n'est qu'après avoir rencontré Jacques et découvert le café suspendu qu'il pourra à son tour arrêter de déprimer et d'avoir le mal du pays en y voyant une similitude avec son art: "Vous comprenez alors la médecine chinoise ! Nous anticipons comme vous le faites. le mal est invisible mais vous savez qu'il existe et vous rétablissez l'harmonie."
Suivra la rencontre dans des conditions assez rocambolesques de Lucie et Ferdi, une rencontre placée sous la figure tutélaire de Diego Maradona, l'idole des tifosis et qui nous donnera aussi l'occasion de côtoyer "des choses qui ne sont pas élégantes… pas honnêtes… Des choses en lien avec la… Des choses pas belles.» le terme qu'il ne faut pas prononcer ici est Camorra.
Nous ferons aussi connaissance avec Agrippina, dont la mythomanie deviendra légendaire, à tel point qu'après sa mort elle continuera à vivre en chacun des habitués grâce à ses anecdotes et de légendes, mais aussi à travers sa petite fille Chiara, à la recherche d'un bonheur qu'elle pense impossible.
C'est avec une autre femme, Livia, que va se refermer ce roman qui vous réservera bien des émerveillements. Livia donnera par exemple à Jacques l'occasion d'intégrer le choeur dans lequel elle chante mais aussi de découvrir un tableau du Caravage, Les Sept Oeuvres de miséricorde.
Ajoutons à ce résumé deux Intermezzo qui nous livreront des éclaircissements sur la biographie du narrateur et je n'aurais encore rien dit sur l'élégance de la plume de la romancière, sur sa formidable érudition qui font de ce livre un précieux guide touristique et sur cette habile construction qui permet de lier les histoires entre elles en faisant se croiser des personnages, en les faisant réapparaître après des décennies. Des années 1980 à aujourd'hui, c'est aussi un pan d'histoire contemporaine qui se dévoile, du tremblement de terre de Monteforte Irpino jusqu'au confinement en raison de la pandémie. Bref, n'hésitez pas à arpenter les rues de Naples avec ce précieux guide, ses attachants personnages et sa précieuse philosophie. Il se pourrait même que vous croisiez Elena Ferrante!
Après la confession épistolaire d'Alice à son masseur japonais, reparti au pays du soleil levant dans Lettre d'amour sans le dire, Amanda Sthers apporte avec ce seizième roman toute l'étendue de son talent.


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L'histoire commence doucement, insidieusement. le narrateur vit au-dessus du café qu'il fréquente dont le propriétaire est son meilleur ami, Mauricio. Il y passe la majeure partie de son temps, s'éloignant pour gagner sa vie modestement en croquant des caricatures des touristes.

Il est arrivé à Naples pour une histoire d'amour qui n'existait pas vraiment, a vécu un tremblement de terre et a décidé d'y rester.

Il aime observer les clients du café, ceux qui offrent un café suspendu, ceux qui viennent boire un café suspendu. La vie du quartier est agréable malgré la mauvaise réputation de Naples. Il va nous raconter, nous offrir des portraits de personnes rencontrées, observées, mine de rien, donnant de temps en temps un coup de pouce au destin. Ces portraits sont des simulacres pour poser des questions plus existentielles sur l'amour, l'argent, la place dans la société, le déracinement, l'exil, l'amitié. Les récits commencent en 1982 et s'arrêtent en 2020. Au milieu de ces années, une rencontre avec une écrivaine qui se cache sous différentes personnalités pour rester anonyme, va le transformer et changer sa façon de penser, ses sentiments mais il ne s'en rendra compte que bien plus tard, quand Mauricio prend une décision radicale suite au décès de son épouse au début de la pandémie qui l'obligera à changer de vie.

Ce roman pourrait et paraît, du moins au début, très simple. Une petite histoire sympa de quartier et de café suspendu. Pourtant en le refermant, les questions existentielles des personnages trottent dans ma tête, me font comprendre la profondeur des écrits de l'auteure. On s'enfonce littéralement dans l'histoire, comparant la vie des personnages à un moment de questionnement dans notre vie.

C'est la première fois que je ressens le besoin d'enquêter sur un auteur, de connaître son parcours. Et même si j'ai un début de réponse, cela n'explique pas tout. La plume fluide et légère est en fin de compte le couteau qui remue dans la plaie. C'est brillant.
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critiques presse (2)
LeFigaro
25 août 2022
Sept histoires d’hommes et de femmes cabossés par l’existence. Un recueil au charme fou.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
À Naples, un café sospeso, est un second café que l'on paie et qui sera offert à qui n'aura pas les moyens de s'en payer une tasse. Cette vieille tradition a inspiré le nouveau roman d'Amanda Sthers. Une immersion dans la foule napolitaine à travers sept portraits aux goûts de poésie, d'humanité, de générosité et d'émotions.
Lire la critique sur le site : RadioFranceInternationale
Citations et extraits (102) Voir plus Ajouter une citation
Au début de l’année, à peine relevée des festivités, Naples prend les couleurs de son carnaval, les enfants circulent déguisés dans la ville qu’ils colorent de serpentins et cotillons, bombolini, cannoli, castagnole, la ville dégouline de sucre, la joie populaire a besoin d’exulter dans ce Sud qui déborde de vie ; puis le soleil se rallume pour les fêtes de Pâques, pour le Vendredi saint se déroule la via Crucis. Dans la matinée la tradition napolitaine prévoit la visite des tombes et dans chacune des églises qui constellent la ville, on rend hommage au Christ mort ; pour le samedi c’est le struscio, la promenade le long des principales avenues de la ville, pour exhiber son habit neuf. Et le dimanche de Pâques, Mauricio m’invite à partager le repas familial. Le lundi de l’ange, on digère, et la digestion peut durer jusqu’à ce qu’avec l’été arrivent les bateaux, les accents chantants du monde entier, en juillet la festa del Carmine où l’on brûle symboliquement le campanile de Santa Maria, en août, on dort les débuts d’après-midi puis la serviette sur l’épaule on s’en va à la mer ; je descends la longue volée d’escaliers qui ouvrent sur la Gaiola surplombée par des rochers jumeaux reliés par un petit pont ; la plage s’étend entre Marechiaro et la baie de Trentaremi et ouvre sur la vertigineuse porte Tyrrhénienne de l’infini. Parfois, on pique une tête à Riva Fiorita avec sa vue sur le Vésuve ou encore en pleine ville au Lido Sirena, en bas des petites marches discrètes de la rue Posillipo, même bien après le mois de septembre. En octobre c’est le culte des âmes du purgatoire, interdit par l’Église mais qui continue en cachette car qui refuserait ce pacte passé entre les vivants et les morts abandonnés avant d’avoir atteint le paradis ? Il suffirait que les vivants prient pour qu’ils y aient accès, en échange on demande quelques petits miracles.
Faites que maman me laisser aller à la boum, que le jolie fille me regarde, que mamie ne meure pas, que je gagne au loto, que mon sexe grandisse, que je pêche une sardine en cristal…
Et puis le froid arrive, au mois de décembre au centre de Naples c’est partout Noël, la via San Gregorio Armeno se transforme en atelier de crèches, dès la fin de l’été on a commencé à mettre en scène les personnages des petits théâtres dans chaque foyer, le presepe napoletano, et j’espère naïvement être l’un des santons d’une famille, le dessinateur de la place…
Je suis épris de Naples comme on est épris de liberté pourtant ma vie s’est réglée sur la sienne.
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Je marche dans l’aéroport glacial. Les gens sont masqués et ne se regardent pas. Tous semblent en transit dans un monde étroit, le cou baissé sur un écran qui feint un rapport aux autres. Nous sommes devenus des abstractions sans relief. Alors je suis seul, à nouveau, comme je suis arrivé. Je n’ai plus rien à écrire, plus rien à dessiner que des paupières fermées, des visages cachés pour nous sauver la vie. Mais avec la fin des liens, la mort est entrée dans le monde moderne bien avant le virus. Il ne fait que nous achever. J’avance en ligne, je montre mes papiers, mon test, ma déclaration de santé. Les voyages ont perdu leur romantisme, le monde est une boutique de souvenirs suggérés, de moments qu’on n’a jamais vécus.
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Il n'était pas homosexuel comme les bruits le laissaient entendre ni même asexué, il voulait juste être en paix, rêver chez lui, boire du thé, se déchausser, ne pas expliquer si sa journée avait été bonne, ni s'intéresser à quelqu'un. Il ne comprenait pas cette obsession des gens à vivre en couple. Quand il avait besoin de rire ou de sociabiliser, alors il invitait ses vieux amis de lycée au bar et ils rentraient ivres chacun de leur côté, lui vers un lit frais qui l'attendait, eux vers des reproches et des explications à donner.
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(Les premières pages du livre)
Ouverture
(à l’italienne)
Si vous fermez les yeux, vous entendrez les linges qui dansent au vent comme autant d’étendards, les mâts clinquants des bateaux, les voix qui rient ou crient au loin, la mer Tyrrhénienne qui s’en va et revient, quelques Vespa agiles, et tout ce chœur improvisé vous dira qu’un chemin est gravé sous les semelles de ceux qui foulent les pavés napolitains. Il y a dans Naples une injonction organique, une boucle de l’Histoire à laquelle on doit se soumettre, une sensation aiguë du destin. On ne peut échapper à ce que cette ville a inscrit dans le livre de notre vie, on doit s’y résoudre comme on s’abandonne malgré la peur dans les bras de l’être aimé.
Mon nom est Jacques Madelin, j’ai soixante-douze ans. Je suis français mais une histoire m’a mené dans la baie de Naples il y a quarante-deux années. J’ai perdu l’amour mais je suis resté dans la ville. Je vis dans un petit appartement au-dessus du bar de Mauricio Licelle, mon meilleur ami. Le café Nube appartenait à son père et son grand-père avant lui. Nube veut dire nuage ; de lait, de pluie, dessin dans le ciel ou annonce d’un orage. Nuage comme le flou de mon cœur incapable d’aimer à nouveau.
Lorsqu’on commande un café à Naples, on peut en régler un second indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso : un café suspendu, offert à qui entrera sans avoir les moyens d’en payer une tasse. Certains disent que cette tradition a été initiée lors des années douloureuses de la Seconde Guerre mondiale, elle serait née de l’habitude d’une bande de copains qui laissaient toujours un peu plus d’argent car ils ne savaient jamais lequel d’entre eux avait pensé à régler l’addition ; certains la font remonter au dix-neuvième siècle, lorsqu’il existait encore des cafetiers ambulants qui se promenaient avec deux gros récipients, l’un empli de café et l’autre de lait. Quand ils croisaient un malheureux, ils lui tendaient le café suspendu qu’un homme plus fortuné avait payé avec le sien, par solidarité et sans doute, dans ce pays imprégné de chrétienté, par charité. Un ami m’a dit que je me trompais, que c’est le fameux acteur Totò, proche de ses racines et généreux, qui en était l’instigateur. Peu importe son origine, le café sospeso vit encore aujourd’hui. On a beau faire une mauvaise réputation à Naples et recommander de prêter attention à son sac quand on s’y promène, il y a des tasses fumantes de générosité partout dans la ville.

Je suis caricaturiste de profession. Le soir, sur la piazza del Plebiscito, je croque les touristes de passage. Parfois, je ne veux pas aller si loin et je marche quelques minutes jusqu’à la piazza del Mercato. La journée, j’écris dans un coin du café. Mauricio accomplit toujours les gestes de la matinée de façon identique et dans le même ordre. À sept heures, il ouvre la porte en fer, recule de quelques pas pour admirer son palais depuis le milieu de la rue, on dirait un enfant qui aurait grandi dans la nuit. Parfois, on sent encore l’odeur du poisson fraîchement livré au restaurant de la rue derrière. Marcello entre. Il allume une seule lumière, cela suffit. Le bar est propre mais il l’inspecte. Bientôt, on lui portera les cornetti à la crème de la boulangerie de sa cousine et il les installera dans la petite vitrine au bout du bar. Dans l’arrière-boutique, il dépose son veston sur un crochet, déboutonne sa chemise et reste en débardeur blanc. Il s’empare d’un sac en toile de jute plein de grains de café et remplit la machine par une trappe qui s’ouvre sur le haut. Il s’assure qu’elle est bien fixée à l’arrivée d’eau et l’allume. Le petit voyant rouge déclenche alors en lui une satisfaction qui s’exprime souvent par un sourire. Tandis que l’eau chauffe, il trace le menu du jour d’une écriture précise. Sa femme Maddalena cuisine dans leur appartement juste en face, il ira chercher les grands plats recouverts de papier d’aluminium en fin de matinée. Après le service, ils déjeuneront ensemble, feront la sieste et Mauricio redescendra pour ouvrir le bar à seize heures trente précises. Quand il écrit le repas au tableau, il pense toujours « encore quelques heures et c’est à mon tour de manger ! ». S’il ne reste pas de café suspendu de la veille à l’ardoise, Mauricio en indique un. Puis, il fait couler le premier café de la journée et le boit. Court. Très chaud. Légère crème couleur noisette. L’espresso italien a la pointe d’amertume qu’il faut pour marquer le palais, loin du café apprécié par les puristes, trop torréfié selon eux, charbonneux alors qu’il devrait avoir des parfums fermentés comme le vin. Je ne suis pas un spécialiste mais jamais je n’ai goûté de café meilleur que dans le sud de l’Italie. Rares sont ceux qui s’asseyent pour boire leur café. Les petits déjeuners s’avalent au bar dans une cohue joyeuse, jus d’orange sanguine mêlé à la grenade débarrassée de ses pépins par une machine qui n’existe qu’à Naples, gourmandises englouties à la va-vite, du sucre plein les mains. Blagues à la criée. On croirait les salles de marchés boursiers de l’époque où tout le monde hurlait pour vendre et acheter. Nul ne veut rater cette plongée matinale dans la vie. Même les vieux se calent contre le comptoir. Sur les banquettes, on retrouve les dodus, ceux qui comptent rester, ceux qui doivent convaincre une femme de se déshabiller, un homme de signer un chèque, un père de les écouter enfin, et moi, assis avec mon stylo comme dans un bistrot français à ma place habituelle, à l’angle droit du café Nube. Certains retirent leurs alliances chaque matin. Quand une femme entre, il y a un frémissement dont elle se réjouit, les regards s’unissent pour célébrer sa beauté, les voix se font plus fortes sans agressivité. Il faut en être témoin pour comprendre comment les Napolitains regardent les femmes. Un sourire, un café et on s’en va dans la ville sous les yeux du Vésuve. Mauricio aime à me rappeler qu’il est considéré comme le volcan le plus dangereux du monde avec un ton de fierté, comme si cela glorifiait la masculinité napolitaine.

Avant d’être ce liquide noir, le café est un fruit rouge, il suit le chemin de l’amour. Les grains naissent dans des caféiers, petits arbustes qui vivent cachés à l’ombre des sous-bois, si on ouvre leurs fruits charnus, on trouve deux grains verts qui attendent d’être moulus, broyés de chagrin, réduits à la couleur de la cendre. Il m’a fallu du temps pour comprendre que le monde des impressions dépasse de beaucoup celui que l’on considère comme réel. Il y a dans ce qu’on appelle l’intuition, la part essentielle de la vie. Nommez-la : instinct, sensation, atmosphère ; je pense tout simplement à l’espace qui contient l’amour, abrite la haine avant qu’elle ne se loge dans les poings, l’espoir qui fait courir plus vite, la peur aussi, le dégoût, la méchanceté, et le plaisir avant qu’il ne devienne orgasme. J’ai toujours su que mon ouvrage consistait à appréhender cette abstraction pour en faire des mots, des images, des valses d’émotion afin de lui donner une forme. Chaque artiste tire cette couverture invisible du côté qu’il croit être juste ; parfois il prend sa revanche sur la surdité des autres à ce qui l’a fait souffrir, souvent, il pense détenir le secret de la morale. Aujourd’hui, j’ai la conviction que faire le bien c’est avant tout accepter les émotions flottantes sans laisser leurs ondes sales nous articuler tels des pantins de chair. Maintenant que je vieillis, j’ai l’impression qu’une tasse de café suspendu a parfois plus de valeur qu’une œuvre d’art. Du côté de celui qui laisse comme de celui qui reçoit, la vie passe dans cette tasse qu’on tend dans son imaginaire ou qu’on accepte de mains inconnues. Ce qu’on offre, ce n’est pas un café, c’est le monde autour, du chahut à partager, des regards à croiser, des gens à aimer.
Voici un récit fait de sept histoires que j’ai recueillies par bribes au café Nube pendant les quarante dernières années, toutes sont liées par ce fil invisible qu’est le café suspendu.
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Dans la langue italienne, on emploie peu le futur. Les choses qui vont arriver sont déjà inscrites, on les formule au présent. Les outils d'expression des Italiens expliquent fort bien leur tempérament ; ils usent d'un passé formulé dans une syntaxe empreinte de nostalgie aiguë, d'un conditionnel baigné de belles promesses et d’un temps qui même présent reste hypothétique et flottant.
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