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Critique de Dominique-Joelle


" Le P3 a été mis à l'arrêt." Chronique d'une mort annoncée, celle du dernier haut-fourneau de Moselle, inspiré de l'histoire de Fondrange. Beauté et grandeur de la fonte en fusion, dans une vallée démantelée par les plans sociaux.
Dès l'avant-propos, Isabelle Stibbe, dont c'est le deuxième roman, nous met en garde:
" mais si les cieux de Lorraine vous paraissent gris et humides, si vous préférez des paysages plus riants. Japon florissant ou élégante Italie - ,attention ! Habitués des soirées à l'opéra, des cocktails et de l'entre-soi, amateurs d'histoires de couples qui s'enflamment, se délitent ou se trompent, ou de quêtes existentielles d'intellos nombrilistes du café de Flore ou de ses succédanés, vous risquez de vous égarer. Ici vous entendrez parler acier, métallurgistes, syndicalistes, ici vous entendrez parler usines,, nationalisations, chômage. Si pour vous ces mots sont synonymes de nuisances et de laideur, s'ils vous font l'effet de répulsifs....,refermez aussitôt ce livre ou, pour les plus modernes d'entre vous, éteignez votre liseuse, en tout cas passez votre chemin, ce texte n'est pas pour vous, autant vous prévenir tout de suite. Entre le ciel et la boue , préférez le ciel, c'est moins salissant."
Voilà c'est gonflé! Mais c'est tiré de l'avant-propos de ce magistral ouvrage "Les Maîtres du Printemps" L'auteure nous aura prévenu, elle ne fait ni dans la dentelle ni dans la mièvrerie et ça laisse augurer de la suite. Et c'est beau. La poésie n'est jamais loin car Isabelle Stibbe sait tout au long de ces pages rendre belle cette Lorraine moribonde à force de plans sociaux multipliés, d'oublis et de trahisons des gouvernants successifs. Beaux aussi sont les hommes qui y vivent et surtout y travaillent, l'aiment et la défendent, croient en elle coûte que coûte.
Roman choral: Trois hommes que tout semble sinon opposer du moins séparer, vont se rejoindre et se faire echo autour du dernier haut fourneau sur le point de fermer. Ils prennent la parole tour à tour, se mettent à nu.
Il y a d'abord Max, quatre-vingts ans, sculpteur internationalement reconnu, à qui la vie a toujours souri. Issu de la grande Bourgeoisie, il n'a jamais eu à se soucier de son quotidien. Aujourd'hui atteint d'un cancer, diminué, il rejette les ravages de la maladie sur son corps. Son dernier projet, une statue d'Antigone pour le Grand Palais, devient rempart contre la maladie. Le ministère de la culture lui propose ainsi de contribuer à la survie du Site en réalisant la sculpture à partir de l'acier produit à Aublange, oeuvre qui témoignera su savoir faire de ces métallurgistes bientôt condamnés au chômage. Le vieil homme solitaire est confondu par la beauté fraternelle et virile de ces hommes qui se battent pour leur emploi, leur usine, la Lorraine. Il se laisse gagner par leur cause. Mais la vie qui lui a jusque là tout donné, lui laissera-t-elle le temps determiner sa Monumenta en acier lorrain?
Il y a également Pierre, délégué syndical (il refuse les termes édulcorés de partenaires sociaux) sincère et charismatique qui sous la plume d'Isabelle Stibbe représente le syndicaliste dans ce qu'il a de noble, fils d'émigrés espagnol, il est arrivé en Moselle au plus fort du plein emploi, sans y être préparé, il va être l'objet d'un véritable coup de foudre pour l'acier, la fonte et le métal en fusion. Il s'implique corps et âme dans l'action syndicale, galérant entre joies et désillusions des luttes collectives. Il croit dur comme fer en un avenir pour la sidérurgie et pour le site.
Le troisième homme c'est Daniel, l'homme politique. Issu lui aussi du monde ouvrier, il a honte de ses origines, les renie même. Devenu avocat d'affaires à force de travail, il est entré en politique pour assouvir ses ambitions démesurées. Député, il aspire à la consécration en briguant le portefeuille de ministre de l'industrie, la fermeture du dernier haut fourneau pourrait lui offrir une voie royale, en défendant l'potion d'une nationalisation provisoire, tous les espoirs lui semblent permis. mais il n'est pas issu du sérail, on ne lui fera pas de cadeau, les codes pour s'imposer au sein de ses pairs en politique, il doit les acquérir tout seul et c'est une peinture d'un monde implacable et cruel qui nous est dévoilée. L'expérience lui permettra de redécouvrir la dignité et la fierté de la classe ouvrière.
Splendeurs et misères de la vallée de la Fensch, dans un concentré de beautés quasi toujours présentes en dépit des laideurs et dégâts de la Finance essaimés en filigrane, l'auteure au travers des propos de trois protagonistes, nous invite à une réflexion en profondeur sur la notion de beau associée à l'univers de l'usine et de l'ouvrier, mais aussi sur l'art, l'évolution du monde et le besoin de continuer à rêver, parce que malgré tout les drames humains sous jacents ce livre est un livre d'espoir, d'espoir en l'homme surtout. Chacun des trois hommes va trouver en lui ce qu'il a de meilleur pour sauver Aublange, l'humanité en réponse à la loi, le cœur contre la bassesse politique. Le Héros est ici toujours positif et c'est une véritable invitation à l'espoir que ce livre. Invitation vraie à l'espoir de pouvoir changer le monde, pouvoir le rendre beau et plus humain .
Dans un style épuré et fluide c'est une lettre d'amour à la Lorraine, terre déchue à la robe déchirée, violentée, terre en colère que nous offre Isabelle Stibbe
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