Le Mississippi est comme ma mère. J’ai le droit de me plaindre d’elle autant que je veux, mais gare à ceux qui se risquent à la critiquer en ma présence.
Elles élèvent un enfant blanc et vingt ans après l'enfant devient leur employeur. Le problème, c'est qu'on les aime, et qu'elles nous aiment, et pourtant... Nous ne les autorisons même pas à utiliser les toilettes de la maison.
Je capitule et allume une nouvelle cigarette, bien que le ministre de la Santé soit venu hier soir à la télévision pointer un doigt accusateur sur tous les fumeurs et tenter de nous convaincre que le tabac allait nous tuer. Mais maman m'a dit un jour que les baisers avec la langue me rendraient aveugle et j'en viens à croire que ma mère et le ministre de la Santé sont partie prenante d'un vaste complot ourdi pour que personne n'ait jamais ni plaisir ni amusement.
- Pourquoi t'es noire, Aibileen ?
J'ai déjà entendu quelquefois cette question dans la bouche de mes autres petits Blancs. Je me contentais de rire, mais aujourd'hui, je veux régler ça avec elle. " Parce que Dieu m'a faite noire, je dis. Et il y a pas d'autre raison au monde."
- Miss Taylor dit toujours que les enfants noirs peuvent pas aller à mon école parce qu'ils ne sont pas assez intelligents.
Je fais le tour du comptoir pour m'approcher. Je lui relève le menton et je lui caresse ses drôles de cheveux coupés tout de travers.
- Tu me trouves bête ?
- Non. Elle chuchote comme pour montrer qu'elle y croit très fort. Elle a l'air de regretter ce qu'elle dit.
- Qu'est-ce que ça t'apprend sur Miss Taylor alors ?
Elle cligne des yeux pour montrer qu'elle écoute bien.
- Ca veut dire que Miss Taylor a pas toujours raison, je dis.
Elle me prend par le cou. "Toi t'as plus raison que Miss Taylor Aibi". Je fonds. Ma coupe est pleine. C'est nouveau pour moi d'entendre ça.
Je voudrais empêcher que le moment arrive- comme il arrive dans la vie de tout enfant blanc- où elle va se mettre à penser que les Noirs sont moins bien que les Blancs.
J'ai envie de crier assez fort pour que Baby Girl m'entende, de crier que sale, c'est pas une couleur, que les maladies, c'est pas les Noirs. Je voudrais empêcher que le moment arrive - comme il arrive dans la vie de tout enfant blanc - où elle va se mettre à penser que les Noirs sont moins bien que les Blancs.
Je marche sur le trottoir déjà brûlant à huit heures du matin en me demandant ce que je vais faire du reste de ma journée. Du reste de ma vie. Je pleure et je tremble…
Je lui explique que c'est pas la couleur de l'emballage qui compte mais ce qu'il y a dedans.
La honte n'est pas noire, comme la saleté, comme je l'avais toujours cru. La honte a la couleur de l'uniforme blanc tout neuf quand votre mère a passé une nuit à repasser pour gagner de quoi l'acheter et que vous le lui rapportez sans une tache, sans une trace de travail.
C'est ça qui est bien avec Aibileen, elle prend les choses les plus compliquées, et en un rien de temps elle vous les arrange et vous les simplifie tellement que vous pouvez les mettre dans votre poche.