Je gardais cette BD dans un coin de mon bureau pendant de long mois sans jamais penser avoir le courage de l'ouvrir un jour. Je la prenais parfois entre les mains mais pour la reposer presque aussitôt après.
Van Gogh n'est pas mon peintre préféré et le dessin me repoussait plus qu'autre chose. Mais quelle erreur, Dieu, quelle erreur... Et dire que vous allez peut-être faire la même, que tout un tas de gens vont passer à côté de cette BD, probablement en jugeant mal les dessins ou parce qu'ils ne se sentent pas d'affinités avec le peintre.
Je l'ai lu deux fois d'affilée, les deux fois en ayant les larmes aux yeux. Les dessins sont simples mais lisez deux pages et vous aussi serez d'abord conquis puis enfin éblouis aux dernières cases quand ceux-ci se mélangent aux peintures de van Gogh lui-même. Les couleurs sont tellement magnifiques que le retour à la vie normale vous paraîtra bien fade.
Quant à la vie de van Gogh, on la connait tous un peu ou tout du moins quelques passages amers, la folie, l'oreille coupée, les tableaux qui ne se vendent pas et le coup de fusil précoce qui a gardé tous ses mystères.
Barbara Stok s'est focalisée sur une seule période : son passage à Arles quelques jours avant qu'il ne s'y coupe l'oreille. Si les couleurs sont vives et que le ton n'est certainement pas misérabiliste, on suit un
Vincent qui sombre progressivement dans la folie. le peintre multiplie les efforts, peint nuit et jours des toiles magnifiques qui hélas ne se vendent pas. Il est obligé de quémander de l'argent à l'une des seules personnes qui croient en lui : son frère Théo, qu'il espère bien rembourser un jour. Théo n'attend rien d'autre de lui qu'il peigne ses tableaux mais
Vincent se sent de plus en plus coupable et redouble d'efforts, ne vit plus que pour peindre. Et ses toiles sont magnifiques, même les galeristes en conviennent. C'est à Arles qu'il peint certains de ses plus grandes oeuvres. Hélas, ces mêmes galeristes ne les mettent cependant pas en vente : les tableaux ne plairaient à personne.
Van Gogh pourrait s'adapter à ce goût du public, à la mode du moment, et vendre quelques toiles, peut-être, mais il refuse ; "Un artiste doit faire passer caractère et émotion dans son travail. Et non pas peindre pour mieux vendre". Sûr de lui, il continue inlassablement à peindre des toiles tout en pleurant les quelques francs qu'il demande inlassablement à son frère. La santé mentale du peintre ne survivra pas à ce combat artistique, admirablement conté par une autrice qui s'est abondamment appuyée sur la correspondance de
Vincent et Théo.
C'est d'ailleurs cette relation entre les deux frères qui est la plus touchante dans la vie de van Gogh et dans cette BD. Théo soutient son frère avec une force et une abnégation qui forcent le respect. A un
Vincent devenu fou, demeurant à l'asile et n'ayant toujours pas vendu une seule de ses toiles, il écrira ceci :
"Jo [sa femme] a mis au monde un beau garçon. Il a les yeux bleus et les joues rondes. Nous l'appellerons comme toi. Je fais le voeu qu'il soit aussi persévérant et aussi courageux que toi. "
Cela aurait dû suffire à rendre la raison à
Vincent van Gogh et l'auteur est peut-être de celles et de ceux qui le pensent. Il y a des moments de bonheurs intenses dans cette BD, sublimés pas les couleurs utilisées par l'artiste. On pleure presque de joie quand la famille se retrouve pour déjeuner ensemble. Arrivé aux dernières pages de la BD, on se dit que
Vincent a finalement trouvé le bonheur, on oublie la fin de l'Histoire, la biographie.
Hélas, "aucun rêve ne tient ce qu'il promet..."