Citations sur Inferno (18)
Un enfant me demandait une fois: "Pourquoi les fleurs, si belles, ne chantent-elles pas comme les oiseaux?
- Elles chantent, lui repondis-je, mais nous ne savons pas les entendre."
Le feu de l'enfer, c'est le désir de parvenir; les puissances éveillent le désir, et permettent aux damnés d'obtenir l'objet de leurs vœux. Mais, dès que le but est atteint et que les souhaits sont remplis, tout apparaît comme sans valeur, et la victoire est nulle! vanité des vanités, tout n'est que vanité. Alors, après la première désillusion, les puissances soufflent le feu du désir, et de l'ambition, et ce n'est pas l'appétit inassouvi qui tourmente le plus, c'est la convoitise repue qui inspire le dégoût de tout.
Ainsi va le monde : quand les dieux s’amusent, les mortels en abusent !…
On n’ose pas me tuer, on veut seulement me rendre fou, par des artifices, puis me faire disparaître dans une maison blanche.
Les autres ne peuvent rester heureux sans me faire souffrir.
Me voilà tombé de l’athéisme dans la superstition la plus complète.
Ce livre est celui du grand désordre et de la cohérence infinie..
Pourquoi suis-je ici? La solitude me force à rechercher les êtres humains, à écouter des voix humaines.
15 juin
Je descends dans Paris pour transformer un chèque en billets et en or. Le quai Voltaire vacille sous mes pieds, ce qui m'étonne. Je sais pourtant bien que le pont du Carrousel oscille sous le poids des voitures, mais ce matin, le mouvement se propage jusque dans la cour des Tuileries et dans l'avenue de l'Opéra. Certes, une ville vibre toujours, mais pour le sentir, il faut des nerfs aiguisés.
Arrivé au Café de la Régence, je m'assis à la table que j'avais occupée auparavant avec ma femme, ma belle geôlière qui guettait jours et nuits mon âme, devinait mes pensées secrètes, surveillait le cours de mes idées, jalousait mes aspirations vers l'inconnu...
Rendu à la liberté, une expansion subite s'empara de moi et m'emporta au-dessus des petitesses de la grande Ville, théâtre des combats intellectuels, où je venais de remporter une victoire, en soi futile, pour moi immense, et qui constituait l'accomplissement d'un rêve de jeunesse, nourri par tous mes contemporains et compatriotes littéraires, et réalisé par moi seul : être joué sur une scène de Paris. Le théâtre me dégoûtait comme tout ce que l'on a obtenu, et la science m'attirait. Ayant à choisir entre l'amour et le savoir, je m'étais décidé pour les connaissances suprêmes, et le sacrifice de mes affections me fît oublier la victime innocente immolée sur l'autel de mon ambition, ou de ma vocation.
Un enfant me demandait une fois : "Pourquoi les fleurs, si belles, ne chantent-elles pas comme les oiseaux?
- Elles chantent, lui répondis-je, mais nous ne savons pas les entendre."
Je l'aime, elle m'aime, et nous nous haïssons d'une féroce haine d'amour qui s'accroît par l'absence.
Deux pas me conduisent aux grands boulevards, que je descends. L'horloge du Théâtre marque six heures et quart. Justement l'heure de l'apéritif, et mes amis attendent au café Napolitain, comme d'habitude. Je descends, en hâte, oubliant l'hôpital, les chagrins, la pauvreté. Or, en passant devant le café du Cardinal, je heurte une table derrière laquelle un monsieur est assis. Je ne le connais que de nom ; mais lui me connaît et en seconde ses yeux me disent : « Vous ici ? Vous n'êtes donc pas à l'hôpital ? La bonne blague que la charité ! »
Et je sens que cet homme est un de mes bienfaiteurs anonymes, qu'il m'a fait la charité et que je suis pour lui un mendiant qui n'a pas le droit d'aller au café.
Mendiant ! C'est le mot propre qui sonne aux oreilles, et me brûle les joues de honte, d'humiliation et de rage.
Pensez donc ! Six semaines auparavant je m'attablais ici : mon directeur de théâtre recevait mes invitations, m'appelait cher Maître ; les journalistes venaient solliciter de moi des interviews, le photographe me demandait l'honneur de vendre mes portraits... Et maintenant : mendiant stigmatisé, banni de la société !
Fouetté, éreinté, réduit aux abois, je longe le boulevard comme un rôdeur de nuit, et me retire en mon repaire chez les pestiférés. Là, enfermé dans ma chambre, je suis chez moi.
Dans une rue, je ramasse un morceau de papier, avec le mot fouine. Dans une autre rue, un papier semblable porte, écrit de la même main, le mot vautour. Popoffsky ressemble parfaitement à une fouine et sa femme à un vautour. Seraient-ils arrivés à Paris pour me tuer ?