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Critique de GeraldineB


La folie est comme une île qui s'enfonce lentement dans la mer. Elle vous isole et vous noie. Et si Sartre déclarait "L'enfer c'est les autres ", August Strindberg témoigne que son enfer à lui est surtout la peur irraisonnée de l'autre, de tous les autres, même les plus proches, les plus chers. Cette constante méfiance fait d'un homme, pour sa plus grande souffrance, un damné, un maudit, un être voué à une douloureuse solitude.

Inferno est le récit autobiographique de cette "damnation". Entre 1894 et 1896, Strindberg va traverser une profonde crise intérieure. Malgré l'amour, le couple qu'il forme avec sa deuxième épouse, Frida Uhl, est devenu pour lui une véritable prison. Ils sont alors établis à Paris où le dramaturge jouit d'un certain succès. Pourtant, cette reconnaissance qui devrait le combler ne suffit pas à le rendre heureux. Strindberg aspire à un idéal bien plus haut et le couple se déchire sans fin. Une séparation provisoire est alors décidée. Frida repartie en Suède, Strindberg éprouve un immense soulagement. Il va enfin pouvoir se consacrer à l'alchimie, science obscure et mystérieuse pour laquelle il se sent appelé. Totalement seul, dédaignant les quelques amis qui le réclament encore, il travaille à ses expériences.
Pourtant il se sent mal, plus mal que jamais. Persuadé d'être constamment surveillé, il perd le sommeil. La nuit, des courants électriques lui traversent le corps, le laissant exsangue. Des puissances occultes voudraient le châtier et des gens qu'il n'arrive pas à nommer souhaitent sa mort. Tout lui devient symbole et signe funeste. Il s'essaye même à la magie noire. Strindberg est en train de perdre la raison.
C'est une perte qui vient logiquement s'ajouter à toutes les autres. Car Strindberg a déjà perdu sa femme, sa fille, son désir d'écrire et sa foi. Cela est plus que suffisant pour ébranler l'âme d'un homme. Malheureux, sans cesse tourmenté, il se console en buvant de l'absinthe, ce qui ne fait qu'aggraver ses hallucinations. Se sentant persécuté, il fuit d'un logement à l'autre et même d'un pays à l'autre, en proie à des délires paranoïaques de plus en plus grands. Sa solitude lui est alors comme un poison qui le ronge. "La terre c'est l'enfer, la prison construite avec une intelligence supérieure, de telle sorte que je ne puis faire un pas sans froisser le bonheur des autres, et que les autres ne peuvent rester heureux sans me faire souffrir." Il voudrait retrouver sa fille, conscient que cette enfant lui permet d'exprimer le meilleur de lui-même, mais il se défie de sa belle famille et de sa femme. Cette expérience douloureuse lui inspirera d'ailleurs l'une de ses meilleures pièces, "Père".
Puis, viendra la découverte de l'oeuvre de son compatriote, Emanuel Swedenborg, scientifique et théologien dont les écrits feront basculer Strindberg dans le mysticisme et le repentir.

Durant cette période difficile pendant laquelle il faillit plusieurs fois être interné, August Strindberg tenait un journal. Inferno en serait, selon ses dires, une "reproduction". Il a choisi de l'écrire en français et bien qu'il ne possède pas parfaitement cette langue d'adoption, l'écriture est précise, fluide et le récit s'organise avec méthode, attestant probablement d'un travail de réécriture. Malgré toutes ces qualités, la lecture fut éprouvante parce que dérangeante. Plus le récit progresse vers un état de folie, plus les pauses deviennent nécessaires et j'ai dû souvent reprendre mon souffle pour venir à bout de ce récit oppressant. Car Strindberg ne nous épargne pas et  livre un vrai témoignage de ces années de souffrance psychique. On devine bien dans quel enfer il est descendu, dans quelle solitude il s'est enfoncé, poussé toujours plus loin par ses angoisses et ses peurs qui ont fini par le couper du monde.
Mais parallèlement au malaise, j'ai ressenti une profonde compassion pour cet homme qui se croit menacé de toutes parts et dont le pire ennemi n'est autre que lui-même. Durant ces années, Strindberg se détruit et fait le vide autour de lui. Ceux qui l'aiment encore n'ont d'autre choix que de le quitter, tant il leur fait du mal, sans toujours le vouloir. Et la conscience aiguë qu'il a de ce gâchis lui cause un chagrin profond. Il sait tout ce qu'il manque. Mais il est comme "à côté" des autres et les démons dont il sent sans cesse la présence autour de lui ne sont peut-être, au fond, que les tourments de sa culpabilité. 
Alors, bien sûr, il y a quelques considérations misogynes et aigrelettes qui parsèment le texte deci delà, fortifiant sa légende et faisant de lui un personnage parfois très irritant. Strindberg avait, semble-t-il, un don pour ne laisser personne indifférent, suscitant l'engouement ou le rejet. Mais lire Inferno nous le rend plus proche, presque plus "humain". C'est une vraie confession, que je pense sincère, et dont certains passages m'ont bouleversée car plus encore que la folie, l'enfer est peut-être la peur de devenir fou, la pleine conscience de ce lent enlisement. 


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