Strinberg. Auteur protéiforme. En cette fin du 19e siècle, coincé dans le conformisme bourgeois suédois, Strinberg étouffe. Il souffre et cela se ressent . L'encre parle d'elle même.
Mal de ne pas être reconnu, mal d'être « maintenu », mal de devoir supporter une hypocrisie sociale, mal du dedans, du « en dedans », mal du tout autour.
Alors la violence ressort, les mots sont forts, puissants, humiliants, froids, comme des coups de lames.
Une femme, un objet de haine chez Strinberg. une femme , une fausse vierge, un fausse mère, une garce, une menteuse, une voleuse ..comme il la voudrait dire "chienne", "misérable", "coupable".
Comme il voudrait qu'elle soient ce qu'elles sont et non pas ce qu'elles veulent montrer, ce qu'on les obligent à être.
Plus humaines, peut être. Est ce là le reproche que Strinberg leur fait? Plus vraies, plus justes, plus honnêtes, les haïrait- il moins ? Sainte et humaine, est ce pour Strinberg concevable, supportable ?
Il y a de folie chez Strinberg. Oui. Celle sans doute de ne pas avoir réussi à dissocier l'amour et la haine. Il crée des monstres, des monstres qui lui dévorent les entrailles. Sommes nous des monstres ? Peut on écrire pour régler ses comptes ? Non, d'ailleurs qui en aurait les moyens.. Bien sûr la haine chez Strinberg est étouffante mais cela n'entame pas l'esprit de son langage. Car ce qu'il exprime c'est tout ce qu'une société aliénante, hiérarchisée, codifiée, peut produite, engendrer. Des monstres, des fous. Des êtres qui souffrent.
Drame de naissance, drame d'amour, drame de société.Drame humain. Dramatiquement seul. Dramatiquement éprouvant. Huis clos étouffants. Un monde coincé entre quatre murs s' auto-dévore. Des Cantharides prises au piège sous un globe…
Mais comme il a su les rendre attachants ces personnages, ...puissants.
Comment ne pas aimer Mademoiselle Julie ? Ils ne sont pas voués au bonheur, ils le savent, ils le savent bien. Ils ont leur façon à eux d'être héroïques. Ils survivent dans l'éprouvante et écoeurante réalité du monde. Ils font ce qu'ils peuvent, ce qu'ils savent faire le mieux, ils survivent et tentent désespérément de vivre.
« émeutier, dynamiteur » , ...misogyne ? Je ne dirai pas cela. Il réclamait, exigeait l'égalité. Égalité de tourment.
C'est mieux comprendre toute la beauté de ses personnages que d'admettre cette idée.
Strinberg moderne. Peut être. Il ne supporte en tout cas aucune neutralité.
Strinbrerg irritait le conformisme bourgeois scandinave. Refusant l'hypocrisie moralisatrice, il saute à la gorge de la fausse morale, de la fausse pudeur, de l'avarice, de la famille, du faux langage. Il est à sa table de travail comme sur un ring. Et ça frappe et ça porte. Mis à mal il met à nu, il met à mort. Une étonnante amplitude théâtrale que je découvre. Lire d'autres pièces de Strinberg. Aller à la rencontrer de ses nombreux autres personnages. de ses romans, de sa poésie, de ses nouvelles, de ses essais.
Le lire, plus loin et plus longuement, pour le voir face à nous apparaitre encore mieux.
Astrid Shriqui Garain
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Longtemps, le théâtre m'a paru être, tout comme l'art en général, une Biblia Pauperum (Bible des pauvres), une bible en images pour ceux qui ne savent lire ni l'écrit ni l'imprimé, et l'auteur dramatique, un prédicateur laïque qui colporte les pensées de son époque sous forme populaire, si populaire que la classe moyenne, qui peuple en majeure partie le théâtre, puisse saisir de quoi il est question sans se torturer les méninges. C'est pourquoi le théâtre a toujours été une école populaire pour la jeunesse, les gens semi-cultivés et les femmes qui conservent encore la faculté médiocre de se leurrer eux-mêmes et de se laisser leurrer, c'est-à-dire de se faire illusionner, suggestionner par l'auteur. Voilà pourquoi, en notre temps où la pensée rudimentaire, imparfaite qu'engendre l'imagination semble vouloir devenir réflexion, recherche, expérience, il m'a paru que le théâtre, de même que la religion, était en voie d'extinction comme forme d'art mourante pour la jouissance de laquelle nous n'avons pas les conditions requises ; va dans le sens de cette hypothèse la crise généralisée du théâtre qui sévit à présent dans toute l'Europe, et encore plus le fait que, dans les pays culturels où les plus grands penseurs du siècle ont vu le jour, soit l'Angleterre et l'Allemagne, l'art dramatique est mort tout comme la plus grande partie des autres beaux-arts.
MARGRET : Les enfants ne sont pas reconnaissants par nature, et les belles-mères ne sont pas vues d'un bon œil, si elles n'apportent pas d'argent.
LE PÉLICAN, Acte I.
On a récemment reproché à ma tragédie Le Père d'être tellement affligeante, comme si on exigeait d'une tragédie qu'elle soit joyeuse ; et l'on réclame de la joie de vivre, et les directeurs de théâtres commandent des farces comme si la joie de vivre consistait à être imbécile et à faire le portrait d'humains qui seraient tous atteints de la danse de Saint-Guy ou de crétinisme ! Je trouve la joie de vivre dans les fortes et cruelles luttes de la vie, et ma jouissance est de savoir quelque chose, d'enseigner quelque chose.
LA MÈRE : Quoi ? Vous n'êtes pas heureux ?
LE GENDRE : Heureux ? Qu'est-ce que c'est, être heureux ?
LE PÉLICAN, Acte I.
Gerda
Laisse-moi dormir ! Je sais que je me réveillerai, mais que ce soit dans longtemps ! Ouh ! Tout ce que je ne sais pas mais que je soupçonne ! Te rappelles-tu lorsque nous étions enfants... les gens vous disent méchant si l'on dit ce qui est vrai... Tu es tellement méchante, me disait-on toujours lorsque je déclarais qu'une chose mauvaise était mauvaise... Et puis, j'ai appris à me taire... Alors, j'ai été appréciée pour mes bonnes manières ; puis j'ai appris à dire ce que je ne pensais pas, et alors, je me suis trouvée prête à entrer dans la vie.
« Rares sont les auteurs suédois qui ont joué un rôle dans la littérature mondiale. Swedenborg (1688-1772) fut l'un d'eux […]. Un autre fut le Strindberg (1849-1912) des dernières années […]. » (Kjell Espmark)
« La voix de Tomas Tranströmer (1931-2015) est celle d'un homme de notre temps, un homme dont les poèmes nous apprennent qu'il a voyagé […] ; un homme qui est surtout très ordinairement père de deux enfants, qui prend sa voiture pour se rendre à son travail, dort parfois dans des hôtels, et plus souvent encore dans sa propre maison en Suède. […] Rien là qu'un lecteur de cette fin de siècle n'ait pu vivre lui-même. […]
[…] ses poèmes nous semblent […] un « parti pris des choses ». […] Un monde complexe s'étend sur la page : ainsi la nature suédoise, rugueuse sans être inhospitalière - des fortes profondes, des racines tortueuses, des fjords semblables à des déchirures dans la terre, des pierres partout, la neige surtout. […]
Tranströmer ne se voue pas, en le recensant, à la banalité du monde contemporain. […]
Trop humble, Tranströmer, c'est-à-dire trop rieur ; il déclarait discrètement éprouver ce litige en évoquant toutes ces « choses qu'on ne peut écrire ni passer sous silence » […]
Qu'elle soit métaphore, analogie ou comparaison, l'image redouble la chose, la sort de cette indifférence où le langage que Tranströmer dit « conventionnel » la tient ; la sort de son idiotie en lui donnant un reflet, cette différence dont notre regard nécessairement la doue. Sans doute ce langage « conventionnel » suffit-il à désigner les objets que nous plions à nos usages : leur silence, c'est-à-dire leur façon d'être absents des mots, signale assez notre familiarité avec eux. Mais lorsque soudain nous réalisons leur présence dans son épaisseur et sa différence véritables, alors leur altérité radicale nous apparaît. Ni les noms communs ni nos usages quotidiens n'épuisent ce surplus […]. Ce surplus est l'appel auquel l'image répond […]. Réaliser, c'est prendre conscience et rendre réel ; c'est réponde à la nécessité que deux vérités s'approchent, « l'une de l'intérieur, l'autre de l'extérieur », l'une dicible, l'autre visible, et dialoguent par-delà leur séparation.
[…] Tel est le sens du face-à-face que crée la poésie. […]
le pouvoir infini de création verbale qu'exprime l'image poétique est la métaphore de notre rapport infini au monde. Par lui, nous accédons à la conscience de ce qui nous dépasse. […] » (Renaud Ego)
« […]
Un an avant ma mort, j'enverrai quatre psaumes à le recherche de Dieu.
Mais cela commence ici.
Un chant sur ce qui nous est proche.
Ce qui nous est proche.
Champ de bataille intérieur
où nous les Os des Morts
nous battons pour parvenir à vivre.
(Tomas, Tranströmer, Un artiste dans le nord) »
0:00 - Les pierres
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2:31 - Haïkus X
2:45 - Générique
Référence bibliographique :
Tomas Tranströmer, Baltiques, traduit par Jacques Outin, Éditions Gallimard, 2004
Image d'illustration :
https://sis.modernamuseet.se/objects/83349/tomas-transtromer
Bande sonore originale : So I'm An Islander - Lonely Secrets We Had
Lonely Secrets We Had by So I'm An Islander is licensed under a CC BY-SA 3.0 Attribution-ShareAlike license.
Site :
https://www.free-stock-music.com/soimanislander-lovely-secrets-we-had.html
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