August Strindberg fait partie de ces auteurs qui continu à scandaliser, il suffit de lire son pamphlet misogyne "De l'infériorité de la femme – et comme corollaire : de la justification de sa situation de subordonnée selon les données dernières de la science" (1895) pour comprendre. Il fascine autant qu'il ne fait polémique mais est sans aucun doute l'auteur suédois le plus important du 19ème siècle tant son oeuvre aussi bien romanesque que théâtrale a marqué son temps et a influencé de nombreux écrivains, réalisateurs ou dramaturges.
En 1887, deux semaines et demie de février suffirent à
Strindberg pour écrire le
Père, une courte, brutale et puissante pièce en trois actes écrite quasiment d'un seul trait. Un drame conjugal qui marque un tournant pour
Strindberg car il s'agit ici de sa première pièce psychologique qui sera ensuite suivit par "
Mademoiselle Julie" (1888) ou encore "
Créanciers" (1889).
Ayant trouvé une nouvelle conception, plus moderne, de la tragédie dans les écrits de
Schopenhauer,
August Strindberg décide de mettre en scène des personnages ordinaires pour rendre cette tragédie plus convaincante et montrer que la fatalité n'est pas le propre des grandes tragédies mythologiques grecques mais qu'elle peut aussi bien s'abattre sur une famille suédoise déchirée par le doute. C'est une vraie volonté de
Strindberg de s'éloigner des «sujets grandioses» de l'Histoire et de laisser derrière lui ses pièces historiques du début des années 1870 ("Den Fredlöse", "Maître Olof").
La pièce de théâtre le
Père est le récit d'une lutte, la lutte entre le Capitaine et Laura, entre un
père et une mère, un homme et une femme. C'est d'abord à propos de l'éducation de leur unique enfant Bertha que le capitaine et son épouse Laura entrent en conflit. Lui veut qu'elle parte en ville préparer un diplôme d'institutrice, mais Laura elle, veut que Bertha reste à la maison et devienne une artiste peintre. A partir de ce moment-là, chacun tente de légitimer son autorité sur le devenir de l'enfant. L'un utilise la loi tandis que l'autre met à mal l'autorité maritale en faisant passer son époux pour un aliéné mental. Mais ce qui va entrainer la chute du
père est une simple réplique de Laura : «Tu ne sais pas si tu es le
père de Bertha !» Cette phrase va alors réveiller l'incertitude de ce
père quant à sa paternité sur l'enfant à une époque où le recours aux tests ADN n'était bien évidemment pas très répandus. Tel un poison, ce doute universel va ronger le capitaine jusqu'à finir par le détruire. C'est une véritable guerre des sexes où la suggestion est une arme de destruction massive que
Strindberg décrit. Dans cette pièce, Laura est une mante religieuse qui dévore le mâle.
August Strindberg avec le
Père, pensait avoir offert à la Suède son premier drame naturaliste. C'était sans compter sur le principal représentant de ce mouvement, Émile
Zola, à qui
Strindberg avait envoyé une traduction de sa pièce qui, bien qu'impressionné par la puissance de celle-ci, ne la considère pas comme un drame naturaliste tant l'abstraction y est présente. Il tentera de s'approcher du naturalisme zolien mais ne réussira jamais complètement. Il s'en éloigna même par la suite et se mit à produire des oeuvres plus symboliques comme "
La Danse de mort" (1900), "
Le Songe" (1901) ou "
La Sonate des Spectres" (1907).
Lorsque l'on se met à lire du
Strindberg, il est pertinent de s'intéresser à la vie de cet auteur tant elle connut de nombreuse phase qui ont eu une influence certaine sur ses écrits Dans la majeure partie de l'oeuvre de
Strindberg, l'histoire vécue et l'histoire écrite se mélange. Bien que moins évidente que dans la trilogie "
Inferno" (1897), "Legender" (1898) et "Ensam" (1903) où la paranoïa et les angoisses de l'auteur sont largement partagées par le narrateur, cette autobiographie dissimulée est aussi présente dans le
Père. le conflit entre le capitaine et Laura peut se lire comme étant la transposition littérale de sa relation tumultueuse avec sa première femme Siri von Essen et par extension, le conflit permanent que
Strindberg a eu avec les femmes.
Strindberg nous montre dans cette pièce les frustrations et les souffrances de l'homme dans le couple, des sentiments qu'il a lui même connu dans son mariage.