Autant la tonalité générale de ces fragments dans lesquels les habitants de Crosby gravitent autour d'
Olive Kitteridge est mélancolique (séparations, deuils, échecs), autant ce professeur de mathématiques, grosse femme revêche, est DRÔLE. Elle réagit généralement pour ne pas dire toujours avec fureur à tout ce qui la heurte, c'est à dire tout, absolument tout.
Elle n'est complètement absente, ou presque, que dans deux histoires : "Criminelle", dont on ne comprend pas trop si la fin est dramatique, et "Bateau en bouteille", dans laquelle Julie répète à sa soeur les propos de Mrs Kitteridge : "N'ayez pas peur de votre faim. Si vous avez peur de votre faim, vous ne serez rien d'autre dans la vie qu'un neuneu parmi tant d'autres".
Les personnages qui la croisent ont des histoires souvent douloureuses. Ses jugements à l'emporte-pièce aussi bien que la douceur dont elle peut être capable à sa façon bourrue lèvent souvent la chape de misère humaine qui forme la trame d'"
Olive Kitteridge".
Grâce à cette habile construction Elizabeth nous fait voir le monde à travers le regard de cette femme avant tout humaine qui évolue de l'agressivité souvent comique à la compréhension, jusqu'au moment où elle ne peut que juger sa vie avec sévérité même si elle rue toujours des quatre fers. Car, si l'on veut poursuivre la métaphore, qu'a-t-elle fait toute sa vie si ce n'est prendre le mors aux dents et n'en faire qu'à sa tête?
Une des "nouvelles" qui forment "
Olive Kitteridge" évoque puissamment Flannery O'Connor. C'est "Une autre route", dans laquelle les Kitteridge vivent "un évènement terrible". Ils sont attaqués par des gangsters qui les regroupe dans les toilettes d'un hôpital. Cette curieuse nouvelle s'intègre parfaitement au reste : du grand art.
Olive Kitteridge, finalement très attachée à l'époux si doux et tolérant qu'est Henry Kitteridge, se retrouvera seule. C'est alors qu'
Elizabeth Strout montre une finesse d'analyse exceptionnelle : au-delà de l'âge que l'on dit troisième ou quatrième et malgré la terreur de la vieillesse et de la déchéance physique,
Olive Kitteridge saura trouver un troisième souffle.
L'humour qui réside dans ses crises de fureur remplit deux buts. D'une part il nous fait sourire, et d'autre part il apporte un souffle d'énergie. Ainsi "
Olive Kitteridge" est parsemé de réflexions drôles, de moqueries, de coups de gueule.
Peut-on dire que la mélancolie l'emporte entre la colère, signe de vie, et la désillusion due au regard d'une société qui juge? Il me semble que la fin bouleversante tend à le prouver. Mais la leçon est rude..