Paradoxalement, l'oubli peut se manifester lors d'une apparition, comme quand une petite-fille se rend compte qu'elle ne se souvient plus des traits de son grand-père.
Le père d'Arthur était un personnage sympathique et complexe. Il a réussi sa vie et se plaît à acheter un costume à son fils qui monte à Paris. le week-end, il s'occupe de son argent placé en bourse, tout en mettant un point d'honneur à couper sa haie de thuyas avec ses fils. Pas trop bourgeois donc, et ouvert d'esprit : médecin, il se met sur le tard aux pratiques énergétiques qui font rigoler les pontes de la science en Occident. Syrien, il n'a pas transmis sa langue, mais des locutions arabes ponctuent les souvenirs de son fils.
Arthur, le narrateur, est un personnage en retrait. Dans l'informatique, ni passionné ni passionnant, il semble doté d'un esprit cartésien. Sa figure est pâle devant le haut-relief de son père. Sensible, en mobilisant des souvenirs, il livre un ressenti reconstruit. C'est un fils hanté par les gestes de son père mort, par sa voix qu'il continue d'entendre, lui reprochant par exemple son manque d'aisance dans l'exécution d'une recette syrienne.
Dans ce « roman d'inspiration biographique » selon ses termes,
Alexis Sukrieh, alterne les souvenirs anciens avec ceux de la fin de vie et du deuil. le récit est parsemé de petites parenthèses poétiques, comme celle du café pris ensemble sans rien dire ou de la cigarette qu'on refuse malgré le réconfort qu'elle promet. Les vacances en Syrie sous Hafez el-Assad. Sans oublier l'au-delà, décrit avec des images d'une délicatesse propre à apaiser les tourments des vivants.
A la mort du père, Arthur pose au frère de son père des questions auquel il n'avait jamais pensé sur la Syrie. S'en suivent des réflexions sur l'identité. « Redonner toute sa place à cette origine, c'est me reconnecter avec lui par-delà sa disparition. » se dit Arthur. Grandi par la mort du père, il se sent investi d'une responsabilité vis-à-vis de sa mémoire. D'où le livre. Un livre à recommander à ceux qui aiment chialer devant les histoires tristement banales qui sonnent juste.
La lecture de ce premier roman m'a été agréable. Ce n'est pas non plus un livre qu'on crayonne, un livre dont on aimerait apprendre des pans entiers. S'il faut faire des rapprochements, je dirais que je l'ai lu aussi facilement que
Qui a tué mon père d'
Edouard Louis et avec bien davantage de plaisir qu'un mauvais
Modiano (à vrai dire je n'en ai lu qu'un,
du plus loin de l'oubli, vraiment insipide). A mon avis donc, il n'y aucune raison qu'
Alexis Sukrieh ne rencontre pas un vaste lectorat.
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