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EAN : 9782722605077
240 pages
Collège de France (21/03/2019)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Le problème de notre temps n'est pas de choisir entre globalisation et repliement identitaire : on ne peut ignorer ni la diversité des pays, ni leur interdépendance croissante face aux périls écologiques et sociaux qui les affectent tous. La langue française permet de dépasser ce faux dilemme avec la distinction qu'elle autorise entre globalisation et mondialisation. Globaliser, c'est œuvrer au règne du Marché, de la croissance illimitée, de la flexibilisation du tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
POUR UNE SAGESSE DES CAUSES PREMIÈRES.

Avant d'aller un peu plus loin - quoi que terriblement superficiellement -, il nous faut instamment remercier les éditions du Collège de France, relayés par notre site de lecture préféré - Babelio - pour l'envoi de cet ouvrage d'une grande intelligence, d'un impressionnante profondeur de savoir et de réflexion dans le cadre de la dernière Masse Critique "non-fiction".

Cet ouvrage est le fruit de colloques - qu'il est possible de retrouver intégralement et gratuitement en ligne sur le site de la vénérable institution - organisés à l'instigation du grand spécialiste et théoricien contemporain du droit du travail, Alain Supiot. Il est aussi la première série de conférences organisées en juin 2017 autour de l'oeuvre de Simone Weil et de l'apport fondamental de sa pensée dans des matières aussi essentielles que le droit du travail, la philosophie politique, les sciences sociales ou encore la construction éthique et morale monstrueuse de la colonisation.

Que peut apporter l'expérience vécue - souvenons-nous de l'expérience physique immédiate et dénuée de toute concession intellectuelle ni de mythologie idéaliste de la philosophe au au plus profond de l'expérience ouvrière. Cette expérience ayant fait oeuvre par la suite - de même que la réflexion toujours alerte, fine, inégalable et souvent sévère quoi que régulièrement lumineuse d'une philosophe disparue trop tôt (elle n'avait que 34 ans à sa mort en 1943), ayant "produit" l'essentiel de sa pensée en une dizaine d'années bien remplies ?

L'esprit humain, toujours avide de nouvelles nouveautés, toujours enclin à estimer que ce qui date d'avant-hier n'a déjà plus guère de valeur pour expliquer l'aujourd'hui pourrait s'étonner qu'une communauté de chercheurs et d'intellectuels de notre temps puisse prendre pour centre de leurs réflexions celles d'une sage - au sens grec antique du terme - de l'entre-deux guerres. Pourtant, malgré d'importants changements qu'il serait vain de nier, malgré des paradigmes apparus pour certains bien récemment, Simone Weil semble, en bien des domaines, nous indiquer les chemins à suivre. C'est en particulier le cas - concernant ce symposium - de deux ouvrages majeurs, le second étant sans doute aussi essentiel qu'il demeure, hélas, inachevé. Il s'agit, d'une part, de "La Condition ouvrière" et, d'autre part, de son texte posthume majeur, "L'enracinement". Non que d'autres textes, souvent lucides et fulgurants de Simone Weil, ne soient cités, mais ces deux-là le sont plus encore par leur apport à une meilleure compréhension de notre monde même dans toute sa "post-modernité".

Quant au titre de l'ouvrage lui-même, il rappelle à qui voudrait l'oublier que mondialisation et globalisation ne sont pas synonymes. Que le premier est sans doute irrémédiable et, par certains aspects, souhaitable, tandis que le second en est l'excès, le cancer. Écoutons à ce propos Alain Soupiot dans son introduction :

«[...], le problème de notre temps n'est donc pas d'avoir à choisir entre globalisation et repliement national, mais de bâtir un ordre juridique mondial solidaire, respectueux de la diversité des peuples et des cultures. Cette perspective tierce, la langue française nous offre un mot pour la nommer, avec la distinction qu'elle autorise entre globalisation et mondialisation. Mondialiser au sens premier de ce mot (où «monde» s'oppose à «immonde» comme «cosmos» s'oppose à «chaos»), consiste à rendre humainement viable un univers physique : à faire de notre planète un lieu habitable. Autrement dit, mondialiser consiste à maîtriser les différentes dimensions écologiques, sociales et culturelles du processus de globalisation. Et cette maîtrise requiert en toute hypothèse des dispositifs de solidarité, qui articulent la solidarité nationale aux solidarités locales ou internationales.»

De cette mondialisation raisonnable et raisonnée, dans les rapports entre les états ou de l'état envers ses membres, dans ceux qui régissent le monde du travail et ses rapports au capital, Simone Weil a, indubitablement, de nombreuses choses à nous dire voire à nous apprendre, quand bien même ce serait pour reconnaître que ses analyses ne valent que parce qu'elles ont été approfondies à l'aune des bouleversements des temps.

C'est en quelque sorte ce que ce brillant ouvrage essaie et parvient très largement à communiquer au lecteur patient, attentif, réfléchi. En ce milieu d'été, il est évident que cet ouvrage est l'inverse absolu d'une "lecture de plage", mais il n'est jamais inutile de faire vibrionner ses neurones... malgré les éprouvantes chaleurs !
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Voilà un essai passionnant d'après les écrits de Simone Weil en revisitant ses réflexions sur l'enracinement, les conditions du travail, le droit …
Je ne cache pas que c'est un peu ardu par moment mais quel plaisir d'avoir les neurones en ébullition, d'autant que j'ai fait cette lecture tout en suivant les conférences de juin 2017 sur le site du collège de France que je recommande.
Revenir sur la colonisation, le patriotisme au Japon, la réflexion indienne m'ont appris beaucoup, le chapitre sur - repenser la condition juridique des travailleurs dans une économie « disruptive » - avec sa politique du droit juridique et social est très instructive sur les conditions de travail contemporaines, comme « l'ubérisation du travail ».
Ce livre est une belle réflexion sur le travail et le droit, sur l'enracinement et l'ouverture, une contribution de douze intervenants internationaux.
Un livre à garder sous le coude pour une/des relecture(s).
Merci à Babelio et aux éditions Collège de France pour cet essai passionnant.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
De même, il est aussi absurde de croire le futur inéluctable que le passé révolu et d'opposer l'un à l'autre, car toujours le futur de l'homme se construit avec l'héritage du passé, ce que Simone Weil appelle des «gouttes du passé vivant» :

"Dans cette situation presque désespérée, on ne peut trouver ici-bas de secours que dans les îlots de passé demeurés vivants sur la surface de la terre. [...]Ce sont les gouttes de passé vivant qui son à préserver jalousement, partout, à Paris ou à Tahiti indistinctement, car il n'y en a pas trop sur le globe entier. Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu'à l'avenir. C'est une illusion dangereuse de croire qu'il y ait même là une possibilité. L'opposition entre l'avenir et le passé est absurde. L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c'est nous qui pour le construire devons tout donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d'autre vie, d'autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé." (*)

Ainsi envisagé, le problème de notre temps n'est donc pas d'avoir à choisir entre globalisation et repliement national, mais de bâtir un ordre juridique mondial solidaire, respectueux de la diversité des peuples et des cultures. Cette perspective tierce, la langue française nous offre un mot pour la nommer, avec la distinction qu'elle autorise entre globalisation et mondialisation. Mondialiser au sens premier de ce mot (où «monde» s'oppose à «immonde» comme «cosmos» s'oppose à «chaos»), consiste à rendre humainement viable un univers physique : à faire de notre planète un lieu habitable. Autrement dit, mondialiser consiste à maîtriser les différentes dimensions écologiques, sociales et culturelles du processus de globalisation. Et cette maîtrise requiert en toute hypothèse des dispositifs de solidarité, qui articulent la solidarité nationale aux solidarités locales ou internationales.

* [Extrait de «L’Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain», Simone Weil, 1943]
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Ceci est évidemment l'opposé de ce que Simone Weil a expérimenté de la réalité du travail en usine, marquée par «une pensée rétractée», où chacun est polarisé par un rapport faussé à l'instant présent, où il faut accomplir mécaniquement des tâches tout en gardant l'esprit prêt à affronter l'imprévu, la panne qui rompt la cadence, etc. Il s'agit bien de chercher les conditions d'une ouverture à un horizon plus vaste, à un sens, par un détachement à l'égard de l'enfermement de la pensée sur elle-même : «toute action humaine exige un mobile qui fournisse l'énergie nécessaire pour l'accomplir, et elle elle est bonne ou mauvaise selon que le mobile est élevé ou bas [...]. Les conditions mêmes du travail empêchent que puissent intervenir d'autres mobiles que la crainte des réprimandes et du renvoi, le désir avide d'accumuler des sous, et [...] le goût des records de vitesse [...]. Il est presque impossible de ne pas devenir indifférent et brutal comme le système dans lequel on est pris.»*

*extrait de "La Condition ouvrière".
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Tout cela, on s'en aperçoit, traduit une perte complète du sens de la communauté temporelle qui relie entre elles les générations ; le bien de chaque génération, le bonheur qu'elle peut attendre, est affaire purement locale et contingente, elle n'a rien à attendre ni des générations passées, ni des générations futures ; à l'inverse, elle n'est tenue d'aucun devoir à leur égard. Dans ce contexte, le risque est grand que chaque génération adopte pour sa part, et cette fois au plan temporel, le comportement irresponsable que décrit Garrett Hardin dans la «tragédie des communs» : affranchie des liens de solidarité historique, chacune aura sans doute la tentation de maximiser son avantage sans trop de soucis du lendemain, voire en reportant sur les générations suivantes le poids des risques, des emprunts, des pollutions et la raréfaction des ressources.
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La seule règle commune à tous les peuples de la Terre serait l'obligation où ils se trouvent de rejoindre et si possible de surpasser les performances normatives des autres dans un mouvement sans fin de "benchmarking". Grâce à ce processus de révolution permanente, nous serions en marche vers une convergence de l'humanité, appelée à partager les mêmes références juridiques et culturelles, dans une langue qui tendrait elle-même à l'uniformité.
La globalisation porte donc à son point extrême la dynamique du capitalisme, en privant la vie humaine de toute garantie de sécurité et de stabilité.
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À travers cet examen (pour enraciner la population dans le nouveau milieu institutionnel), nous confirmerons qu’il fallait un moment de l’enracinement pour la mondialisation tandis que l’expansion effrénée de marché libre, appelée « globalisation », exige le déracinement. Car, dans le régime de la globalisation, l’être humain est considéré avant tout comme un agent économique sous la domination exclusive du marché libre et est détaché de ce qui cultive socialement et historiquement l’état, en bref sa culture, et donc on peut trouver aisément un aspect du déracinement dans ce régime. En effet, les porteurs de la globalisation regardent souvent les institutions de chaque pays comme des barrières à l’activité économique en insistant sur la nécessité de rendre homogène le monde entier et, en conséquence, nous nous trouvons face à la liquéfaction des institutions propres à chaque culture.
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Videos de Alain Supiot (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alain Supiot
Avec Alain SUPIOT, juriste et professeur émérite au Collège de France
A l'issue de chacune des deux guerres mondiales, les nations s'étaient accordées pour affirmer « qu'une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ». Toute société reposant sur une certaine répartition du travail et de ses fruits, l'injustice de cette répartition, si elle excède certaines bornes, engendre nécessairement la violence. Mais il est plus facile de s'accorder sur ce qui est injuste que sur ce qui est juste. La division du travail, à une époque et dans une société donnée, dépend de multiples facteurs géographiques, technologiques, politiques, culturels et religieux, en sorte que la justice au travail n'est pas une donnée a priori, mais l'horizon de luttes et de controverses toujours recommencées. Au XXème siècle, le périmètre de la justice sociale avait été limité à la question de la sécurité et des revenus du travail. Aujourd'hui la révolution numérique et les périls écologiques devraient conduire à l'étendre au travail lui-même, en vue de procurer à tous les êtres humains « la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ».
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