POUR UNE SAGESSE DES CAUSES PREMIÈRES.
Avant d'aller un peu plus loin - quoi que terriblement superficiellement -, il nous faut instamment remercier les éditions du Collège de France, relayés par notre site de lecture préféré - Babelio - pour l'envoi de cet ouvrage d'une grande intelligence, d'un impressionnante profondeur de savoir et de réflexion dans le cadre de la dernière Masse Critique "non-fiction".
Cet ouvrage est le fruit de colloques - qu'il est possible de retrouver intégralement et gratuitement en ligne sur le site de la vénérable institution - organisés à l'instigation du grand spécialiste et théoricien contemporain du droit du travail,
Alain Supiot. Il est aussi la première série de conférences organisées en juin 2017 autour de l'oeuvre de
Simone Weil et de l'apport fondamental de sa pensée dans des matières aussi essentielles que
le droit du travail, la philosophie politique, les sciences sociales ou encore la construction éthique et morale monstrueuse de la colonisation.
Que peut apporter l'expérience vécue - souvenons-nous de l'expérience physique immédiate et dénuée de toute concession intellectuelle ni de mythologie idéaliste de la philosophe au au plus profond de l'expérience ouvrière. Cette expérience ayant fait oeuvre par la suite - de même que la réflexion toujours alerte, fine, inégalable et souvent sévère quoi que régulièrement lumineuse d'une philosophe disparue trop tôt (elle n'avait que 34 ans à sa mort en 1943), ayant "produit" l'essentiel de sa pensée en une dizaine d'années bien remplies ?
L'esprit humain, toujours avide de nouvelles nouveautés, toujours enclin à estimer que ce qui date d'avant-hier n'a déjà plus guère de valeur pour expliquer l'aujourd'hui pourrait s'étonner qu'une communauté de chercheurs et d'intellectuels de notre temps puisse prendre pour centre de leurs réflexions celles d'une sage - au sens grec antique du terme - de l'entre-deux guerres. Pourtant, malgré d'importants changements qu'il serait vain de nier, malgré des paradigmes apparus pour certains bien récemment,
Simone Weil semble, en bien des domaines, nous indiquer les chemins à suivre. C'est en particulier le cas - concernant ce symposium - de deux ouvrages majeurs, le second étant sans doute aussi essentiel qu'il demeure, hélas, inachevé. Il s'agit, d'une part, de "
La Condition ouvrière" et, d'autre part, de son texte posthume majeur, "
L'enracinement". Non que d'autres textes, souvent lucides et fulgurants de
Simone Weil, ne soient cités, mais ces deux-là le sont plus encore par leur apport à une meilleure compréhension de notre monde même dans toute sa "post-modernité".
Quant au titre de l'ouvrage lui-même, il rappelle à qui voudrait l'oublier que mondialisation et globalisation ne sont pas synonymes. Que le premier est sans doute irrémédiable et, par certains aspects, souhaitable, tandis que le second en est l'excès, le cancer. Écoutons à ce propos Alain Soupiot dans son introduction :
«[...], le problème de notre temps n'est donc pas d'avoir à choisir entre globalisation et repliement national, mais de bâtir un ordre juridique mondial solidaire, respectueux de la diversité des peuples et des cultures. Cette perspective tierce, la langue française nous offre un mot pour la nommer, avec la distinction qu'elle autorise entre globalisation et mondialisation. Mondialiser au sens premier de ce mot (où «monde» s'oppose à «immonde» comme «cosmos» s'oppose à «chaos»), consiste à rendre humainement viable un univers physique : à faire de notre planète un lieu habitable. Autrement dit, mondialiser consiste à maîtriser les différentes dimensions écologiques, sociales et culturelles du processus de globalisation. Et cette maîtrise requiert en toute hypothèse des dispositifs de solidarité, qui articulent la solidarité nationale aux solidarités locales ou internationales.»
De cette mondialisation raisonnable et raisonnée, dans les rapports entre les états ou de l'état envers ses membres, dans ceux qui régissent le monde du travail et ses rapports au capital,
Simone Weil a, indubitablement, de nombreuses choses à nous dire voire à nous apprendre, quand bien même ce serait pour reconnaître que ses analyses ne valent que parce qu'elles ont été approfondies à l'aune des bouleversements des temps.
C'est en quelque sorte ce que ce brillant ouvrage essaie et parvient très largement à communiquer au lecteur patient, attentif, réfléchi. En ce milieu d'été, il est évident que cet ouvrage est l'inverse absolu d'une "lecture de plage", mais il n'est jamais inutile de faire vibrionner ses neurones... malgré les éprouvantes chaleurs !