Hétéronomie consubstantielle
On ne peut nier qu'en de nombreuses époques, l'expression de la pensée critique sous ses différentes formes, fut ressentie par les représentants de la domination comme menaçante et représentant un danger potentiel pour leur assise même. Toujours et sans relâche semblaient renaitre des hommes ne pouvant d'aucune manière se satisfaire de la servitude et s'appliquant à la rendre plus insupportable en en retirant le voile par lequel la domination cherchait à la dissimuler. Mais, plus récemment, est née une nouvelle figure de « l'intellectuel » car :
« Il fallait qu'on en finisse avec une intellectualité qui se représentait sans vergogne comme autonome, extravagante, transgressive, rebelle, heureuse, insurgée, marginale, imaginative, etc. Il fallait en fait qu'on en finisse avec le tort qu'avait eu la pensée de se vouloir aussi intellectuelle - c'est-à-dire, politique (le succès du sociologisme n'a pas d'autre sens : celui d'une dépolitisation de fait de la pensée). »
Et par une merveilleuse corrélation, cette nouvelle figure de l'intellectuel, en une parfaite synthèse avec la représentation médiatique substantielle à son être, renonça à toute prétention critique autre que purement superficielle, se posant en simple commentateur désabusé de ce qu'il ne faudrait plus songer à modifier d'aucune manière.
« Les intellectuels qu'on voit régulièrement collaborer avec les médias sont partie prenante de cette détention et de ce partage. Ils sont des intellectuels de pouvoir, comme il y eut, avant eux, des intellectuels de parti. C'est à dire, des intellectuels hétéronomes. »
Pourtant, et c'est sans doute le seul aspect de cette question prêtant encore à rire, certains d'entre eux font régulièrement mines de s'étonner de cette perte de confiance qui désormais partout les accompagne et qui fait qu'il n'existe plus aucun espace publique où ils ne soient objets de moquerie.
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Pourtant, si grands que fussent leurs regrets de ce qu'ils abandonnaient, ils ne l'étaient pas au point que ce qui était devenu l'horizon de tous ne devînt pas du coup le leur, et ne le devînt pas tout de suite. Au détriment de tous les autres horizons. Qu'ils s'emploieraient alors à dénigrer. C'est ce que voulait d'eux le contrat par lequel ils l'avaient abandonné. Et c'est le sens qu'eux-mêmes voulurent donner à ce contrat.
On n'a jamais vu personne renoncer à soi-même avec moins de raisons ni de profit que l'intellectuel depuis maintenant vingt ans. De tous les sujets auxquels cette époque prête tristement à penser, c'est le plus remarquable sans doute. Et contre lequel il ne sert à rien d'en appeler à tous ceux qui auraient mieux aimé mourir qu'admettre jamais que rien pourrait les domestiquer. Leurs noms sont innombrables pourtant, qu'il ne sert à rien d'opposer au nombre de ceux qui sont aujourd'hui pour la domination comme sont les animaux de compagnie. Parce que la vénalité des uns est sans pouvoir racheter la vanité des autres. Pire même : il se peut que cette vanité ne cesse pas de hanter, mais comme un remords à rebours, ce qu'a montré de vénalité l'intellectuel depuis maintenant vingt ans.
On ne renonce pas à si peu de frais à l'orgueil d'avoir été si peu que ce soit libres. Encore moins d'avoir voulu à toute force l'être. Autrement dit, on n'entre pas si facilement dans la honte de ne plus vouloir êtres libres.
Il fallait qu'on en finisse avec une intellectualité qui se représentait sans vergogne comme autonome, extravagante, transgressive, rebelle, heureuse, insurgée, marginale, imaginative, etc. Il fallait en fait qu'on en finisse avec le tort qu'avait eu la pensée de se vouloir aussi intellectuelle - c'est-à-dire, politique (le succès du sociologisme n'a pas d'autre sens : celui d'une dépolitisation de fait de la pensée).
Les intellectuels qu'on voit régulièrement collaborer avec les médias sont partie prenante de cette détention et de ce partage. Ils sont des intellectuels de pouvoir, comme il y eut, avant eux, des intellectuels de parti. C'est à dire, des intellectuels hétéronomes.