- Meddy ? Comment tu peux dire ça ? Mana boleh begitu ? Tes tantes viennent, très tard dans la nuit, pour nous aider à nous débarrasser du corps et on ne leur offre même pas de nourriture ? Comment peux-tu ? Oh, on a du fruit du dragon, bien, bien. C’est le préféré de Tata Big. Wah, on a du xiang li aussi. Très bien. Aide-moi à peler, sois pas impolite avec tes Tatas, tu fais la honte.
- T’as raison, la honte c’est de manquer de fruits, pas d’avoir un cadavre dans sa voiture.
Les souvenirs de nous, roulant sous les draps et ne quittant pas mon lit pendant des jours. Les souvenirs de nos conversations captivantes, ma tête sur sa poitrine, à écouter son cœur. Nous parlions de tout, de la physique aux jeux en passant par nos amis, et nous regardions depuis le lit le ciel passer d’un noir d’encre à un violet vaporeux, émerveillés d’avoir passé toute la nuit éveillés sans être fatigués.
Depuis que nous nous sommes rencontrés pendant la semaine d’intégration, en première année, Nathan et moi sommes amis. Ça a toujours été une évidence. Nous partageons en plus le même nom de famille : Chan. Quelle est la probabilité ? D’accord, c’est le nom le plus courant à Taïwan d’où vient son père et un des noms les plus répandus en Chine d’où est originaire mon grand-père mais ça me paraît quand même un signe du destin.
Il a vu mes photos ( !!) et apparemment il me trouve « époustouflante » (!!!). Et le pire, c’est que malgré l’horreur de la situation, une part de moi est en train de se laisser amadouer. Je suis en train de perdre la tête.
Je suis celle à qui il incombe d’immortaliser tout le dur travail de ma famille, les pièces montées de Tata Big, les coiffures élaborées et les maquillages artistiques de Tata Deux, les sublimes compositions florales de Ma et les performances dynamiques de Tata Quatre. Tout repose sur moi et je déteste ça. À chaque mariage, j’essaie de tout capturer et à chaque mariage, j’oublie quelque chose. Pour le dernier, j’ai oublié de prendre des photos du meilleur profil de Tata.
Tout est comme ça dans la culture sino-indonésienne. Tout le monde est plus ou moins apparenté et les affaires se font parce que quelqu’un dans la belle-famille connaît l’ami d’un cousin de quelqu’un d’autre.
C’est une marque d’amour et de respect ce qui veut dire qu’il faut le faire de la manière la plus ostentatoire possible. À quoi ça sert de donner à Tata Big le plus gros siew may si personne ne s’en rend compte ?
Je ne suis pas suffisamment débile pour imaginer que la malédiction m’épargnera. Dans quelques années, quand mon futur mari finira par me quitter, Ma et mes tantes seront tout ce qu’il me reste.
Ma mère et mes tantes étaient persuadées qu’une malédiction chinoise ne les suivrait pas jusqu’en Occident, alors une fois toutes mariées elles sont venues s’installer à San Gabriel, en Californie.
Le mauvais sort les a non seulement retrouvées mais il en a profité pour muter. Au lieu de tuer les hommes de ma famille, il les poussait désormais à partir, ce qui était encore plus difficile.