Citations sur Le cycle du Latium, Tome 3 : La dame des abeilles (17)
Ses cheveux, longs et libres, tombaient sur ses épaules, noir d’obsidienne dans l’ombre, jade au soleil avec forces veines d’or. Sa bouche était rose, petite et coralline ; sa peau, du blanc d’un coquillage exposé au soleil d’une plage, mais pas encore craquelé ou abîmé. Une robe de lin vert, brodée de boucliers bruns, tombait en plis vers des pieds chaussés de sandales. Une taille plaine, des melons, des jardins… Des choses tendres. L’obsidienne, le jade, le corail, le coquillage, le bouclier… des choses dures. La beauté était une armure qui gardait sa douceur. Ou la douceur n’était-elle qu’une feinte ; et l’armure, omniprésente ?
La façon de donner fait la moitié du présent.
Moi seule, j’ai rompu l’antique cycle de l’hiver qui bourgeonne au premier et de l’été qui se dissout dans le néant de l’automne. Qui a tant d’amour pour le matin qu’il supportera l’éclat du soleil tandis que les civilisations tendent leurs mains de titans pour s’emparer du ciel et vacillent, les mains vides, dans la poussière ?
J’enviais ses certitudes ; Il semblait parler d’un monde qui avait péri avec Troie. Les dieux aimaient les mortels. La valeur était l’apanage irrévocable des princes ; la beauté celle des princesses.
- Vert-des-forêts ?
- Oui, Cheveux-blonds ?
- Aimerais-tu devenir reine ?
Je faillis répondre : « Mais j’ai déjà été reine. » Par chance, Ségète me siffla à l’oreille : « Tu n’apprendras donc jamais ?
- Oui, répondis-je. J’aimerais beaucoup devenir ta reine.
C’était un dieu, il n’avait pas besoin de mépriser ; il se bornait à condescendre. Il avait entre les mains le pouvoir de juger, de rejeter oui d’admettre.
La déesse des voleurs n’était pas l’amie des honnêtes gens. Elle avait pou fond de commerce malédictions, imprécations et accidents. Ma foi, j’avais proféré assez de mensonges au cours de ma vie pour me valoir l’immunité ; à vrai dire, elle me considérait sans doute comme un membre de son clergé.
Des ombres siégèrent avec nous ; puis le crépuscule, triste compagnon ; ensuite la nuit, cette dame grave et douce aux robes d’ébène.
La femme me surprit. Tentatrice, tueuse, amante, petite fille lasse, amoureuse rêveuse – les humeurs succédaient aux humeurs. Son visage, cascade de cheveux, la posture de son corps changeaient comme un arbre, tantôt vu de nuit, embrumé, irréel ; tantôt avant l’aube, spectral dans la lumière qui s’annonce ; radieux sous les alouettes matinales, pâles elles-mêmes, mais qui capturent les rayons du soleil comme d’autres oiseaux attrapent les papillons pour les muer ne chant ; silencieux à midi sous la gerbe solaire ; prenant ses aises au crépuscule, ramures déployées comme pour rappeler les oiseaux – pour la chaleur et le sommeil. Au travers de toutes ses mutations, un arbre reste un arbre. Sa variété n’est pas incohérence. Il reste ancré dans la roche mère et l’émerveillement. Ainsi en allait-il de Mellone.
Elle ouvrit les yeux et des royaumes nous contemplèrent – Troie, campée sur le travers de sa colline venteuse… Carthage, ses bâtiments noirs entre une jungle et une mer sans retour… Une ville qui se un nom pour parcourir le monde ; résolue comme Hercule à des travaux, des guerres et des gloires ; une géante, mais une géante aveugle, sauf quand elle choisissait de voir…