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Jacques Pons (Éditeur scientifique)Émile Pons (Éditeur scientifique)Maurice Pons (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070365975
443 pages
Gallimard (26/05/1976)
3.76/5   876 notes
Résumé :
L’un des plus célèbres romans d’aventures, mais aussi une satire acerbe de la société aristocratique et bourgeoise, au travers des multiples voyages de Lemuel Gulliver. Portrait de sociétés où se mêlent humour et fantastique.


EXTRAIT

“Plusieurs personnes de la cour de l’empereur, se frayant un passage à travers la foule, vinrent me supplier de courir au palais, où l’appartement de l’impératrice était en feu, [...]. La chaleur qu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (79) Voir plus Ajouter une critique
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sur 876 notes
Nul ne sait jamais exactement comment seront perçus ses dires, ni comment seront interprétées ses intentions, et les écrivains moins que d'autres, certainement du fait même de la " publication ", c'est-à-dire le rendu public, leurs écrits sont largement diffusés et donc, fort diversement interprétés.

Jonathan Swift s'imaginait-il que 300 ans après avoir écrit sont Gulliver (soit Gul-y-ver, dans lequel il faut entendre l'association de trois mots : pour Gul, qui donne en verlan lug, et qui renvoie à l'allemand Lüge, qui signifie mensonge, puis le y espagnol qui correspond à l'esperluette &, et enfin le ver, qui est le début du français " vérité "), son héros inspirerait le nom d'une gentille chaîne de télévision française à destination des enfants (Gulli dont le logo est vert) ?

Car Swift voulait écrire quelque chose de bien acerbe, de mordant, de tranchant, il voulait cracher tout son fiel à la figure de ceux qu'il détestait, probablement pas se voir ravaler au rang de littérature enfantine. Enfin bon, bref, c'est comme ça, nul n'y peut rien et pour nous autres, il en va de même : les résultats de nos actes ne cadrent pas toujours — voire pas souvent — avec nos intentions.

D'ailleurs, des quatre voyages de Gulliver, bien souvent, la tradition et l'esprit populaire n'en ont retenu qu'un seul, le premier, celui de Lilliput. (Or, il y en a trois autres, notamment le dernier, chez les Houyhnhnms, qui vaut son pesant de crottin de cheval.)

La tradition et l'esprit populaire ont retenu le cocasse de la chose : Gulliver arrive en un lieu où tout est rigoureusement identique au monde qu'il connaît, MAIS, en miniature. Il est fort possible que l'idée vint à l'auteur à l'examen de ce qui prenait grand essor dans les milieux favorisés au moment où il vécut : la maison de poupée.

D'ailleurs, au chapitre des influences de Swift pour ce qui demeure son oeuvre phare, on peut noter deux ouvrages que j'ai présentés récemment : Les Voyages de Sindbad le marin et Robinson Crusoé.

En effet, la traduction d'Antoine Galland des Mille et une nuits au tout début XVIIIe avait eu tellement de retentissement que ce dernier s'était senti obligé de rallonger la sauce et y incluant des histoires qui n'avaient rien à voir, dont le fameux Sindbad le marin. À partir de cette version française, il ne tarda pas à y avoir des versions traduites dans toute l'Europe, qui y eurent le même succès. La traduction anglaise parut en 1711 et il est indéniable qu'à la lecture de Gulliver, le parallèle est frappant avec plusieurs des voyages de Sindbad et le fantastique qui y est associé.

N'oublions pas non plus que le sujet d'un marin anglais seul naufragé sur une île bien lointaine, était une histoire qui avait connu un autre succès fulgurant en Angleterre avec la publication en 1719 de Robinson Crusoé. Juste pour information, Jonathan Swift commence la rédaction de Gulliver en 1721, est-il nécessaire d'insister sur le lien d'influence ?

Qu'en est-il des quatre voyages de Gulliver et, surtout, que semble avoir voulu dire Swift dans son livre ? À Lilliput, on s'aperçoit qu'outre le cocasse de la miniaturisation, les moeurs de la cour et du pouvoir deviennent immédiatement ridicules, dès lors qu'on prend un peu de hauteur, et qu'on s'aperçoit qu'ils sont ridiculement petits, mesquins ou risibles. C'est bien évidemment un brûlot contre le pouvoir politique anglais de l'époque. (Notamment sa politique étrangère contre la France, que l'auteur n'estime pas beaucoup plus.)

Le seconde voyage, à Brobdingnag (concaténation de broad et de grand) renverse les rapports de taille et Gulliver y est maintenant de la taille d'un lilliputien comparé aux naturels de ce pays. C'est un peu lourdingue comme procédé et ici, la cible de Swift semble l'extraordinaire suffisance de l'humain, l'impression qu'il est réellement quelque chose d'important dans la nature alors que l'auteur cherche à montrer qu'il est en réalité insignifiant.

Le troisième voyage, le pire de tous en ce qui me concerne quant à l'intérêt qu'il suscita en moi, composé de cinq étapes à Laputa, à Balnibarbi, à Glubbdubdrib, à Luggnagg et au Japon, est censé dénoncer la politique anglaise vis-à-vis de l'Irlande, de laquelle Swift était originaire.

Enfin, le quatrième voyage, chez les Houyhnhnms, inverse les rôles entre les hommes et les chevaux : là-bas, ce sont les Houyhnhnms, qui sont sages et qui ont le pouvoir et les hommes, qui sont des bêtes au service des chevaux. Notons au passage que le nom des hommes trouvé par Swift a eu quelque influence à l'époque d'internet car il les nomme les Yahoo.

Selon moi, ce quatrième et dernier voyage est le plus intéressant, car il questionne la place de l'homme vis-à-vis d'autres espèces. Pour le reste, hormis l'omniprésente aigreur à peine cachée sous l'ironie, le message de Swift semble être : « Tous des fats, tous des cons ! »... sauf lui bien entendu. Ces ignares d'Anglais n'ont pas su percevoir la valeur et l'intérêt de sa propre contribution à la vie politique.

D'ailleurs, ce quatrième voyage peut également être rapproché d'un ouvrage comme l'Utopie de Thomas More, car c'est presque, avec les Houyhnhnms, une vision de la société idéale selon Swift que l'on lit. Or, cette société idéale n'est pas très éloignée de celle du néolithique : tout progrès fut selon lui une sorte de perte.

Je dois confesser que j'ai vraiment, vraiment peiné à la lecture, dès le premier voyage, mais c'est devenu un vrai calvaire lors du troisième. À ce moment-là, je pensais que je n'y aurais attribué qu'une étoile, tant ce concentré de misanthropie me paraissait pénible et geignard, « tous des pourris, tous des salauds, tous des nazes, tous des minables ». Grâce à l'apport du dernier voyage, j'accepte de relever péniblement mon impression de lecture jusqu'à deux étoiles mais n'irai certainement pas au-delà.

Il en va de même des pseudo trouvailles linguistiques de Swift, indéchiffrables sans le vade-mecum à la fin, et qui, en leur qualité de " private joke ", dans l'ensemble, rendent la lecture plutôt laborieuse. Alors, c'est vrai, j'admets que bon nombre des choses qu'il dénonce, je les partage également, mais ça ne suffit pas à faire un livre marquant, plaisant, stimulant à mes yeux. Cependant, de ceci comme de tout le reste, ce sera toujours à vous d'en décider car ne voici qu'un lilliputien d'avis, c'est-à-dire, au pays des Brobdingnag comme en tout autre, vraiment pas grand-chose.
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Edité en 1965 dans la collection super 1000, avec une adaptation de Claude Radeval, ce vieux texte, publié en 1721 par Swift, devenait plus accessible aux jeunes. Je l'ai donc lu vers 12 ans et j'en garde un bon souvenir; bien sûr au XXIème siècle, nous avons des ouvrages de science-fiction plus élaborés et plus spectaculaires, mais je crois qu'il garde encore de l'intérêt aujourd'hui.

Je viens d'ailleurs reprendre cette lecture et j'y trouve toute la richesse philosophique de l'auteur qui passe au-dessus de l'adolescent que j'étais en quête de science-fiction et d'aventure.

Le parallèle avec Micromégas et d'autres oeuvres voltairiennes est inévitable. Les contemporains de l'auteur ne sont pas plus épargnés que ceux De Voltaire mais, ici, le style britannique apporte des nuances goûteuses différentes de la prose De Voltaire.

L'histoire de Gulliver est teintée des nuances apportées tant par les perceptions du héros lui-même que par celles des habitants de Lilliput. Et celles-ci vont se confronter au point que le héros finit par perdre en quelque sorte son identité et qu'il se réfugie dans la misanthropie.
La relation de Gulliver avec les lilliputiens le met face à ses convictions, l'amène à une réflexion sur ses semblables qui reste d'actualité quatre siècles plus tard.

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"Les voyages de Gulliver" font partie de ces oeuvres universellement connues à l'instar de "Roméo et Juliette", de "Don Quichotte", Des "Mille et Une Nuits", qui ont subi l'effet négatif de leur renommée ; tout le monde les connait mais rares sont ceux qui les ont lues.

Qui ne connait les adaptations multiples de cette oeuvre ? et surtout celles de la première partie. Or le roman contient quatre parties et il est loin d'être un roman de jeunesse (ou pour enfants) et les quelques anecdotes loufoques et désopilantes ressemblent à celles qu'on retrouve chez Rabelais et que La Bruyère a vivement critiquées dans son fameux aphorisme.

Si "Don Quichotte" est souvent considéré comme une parodie du roman de la chevalerie, je crois que "Les voyages de Gulliver" sont aussi une parodie des récits de voyages. Mais cela ne se rapporte qu'à la forme et l'on trouve certains passages où le narrateur critique les auteurs de récits de voyages qui essaient de transformer leurs oeuvres en épopée glorifiante et ne cessent de mentionner qu'ils ont reçu les faveurs de tel grand souverain. le narrateur lui se veut honnête et franc avec ses lecteurs car non seulement il décrit en détails ce qu'il a vécu, mais il ne cache jamais les mésaventures dégradantes qu'il a subies lors de ses voyages. Il essaie d'expliquer de manière scientifique les événements et faits les plus incroyables. En somme, il nous présente son livre comme un récit de voyages véridique.

Swift utilise un procédé très connu et surtout très prisé par certains auteurs français du siècle des Lumières comme Voltaire et Montesquieu ; celui de l'étranger qui visite des sociétés qui lui sont inconnues et qui est frappé de stupeur devant l'extravagance de leurs moeurs ("Candide", "Micromégas", "Lettres persanes"…). Dans "Les Voyages de Gulliver", la surprise et la curiosité sont réciproques. de plus, Swift est plus direct dans la critique de son époque et de ses contemporains ; ce sont plus les choses que son héros raconte qui sont un sujet de dégoût et d'étonnement. Lui-même il est un objet de surprise : géant, nain minuscule, bête bien pensante.

L'une des caractéristiques essentielles de ce roman est son imaginaire extravagant. Et l'on peut constater l'admiration des lecteurs de cette époque devant cette oeuvre ingénieuse. Hélas ! cela peut paraître dépassé pour un lecteur du XXIe siècle habitué aux films de Spielberg, ou de G. Lucas, mais aussi aux films d'animation de Miyazaki. Mais parfois, il faut s'évader du siècle où l'on vit pour pouvoir apprécier certaines oeuvres immortelles comme le font certains auteurs contemporains pour écrire des romans dont l'action se situe dans des siècles révolus ("Mon nom est Rouge", "Le Nom de la rose", "Le Parfum"…). On doit vivre dans ces époques en lisant ces romans ; une vie dans la lecture.

Dans ce roman la tension monte en crescendo, et l'intensité des critiques et de la satire devient de plus en plus acerbe jusqu'à l'explosion finale. Cette évolution du roman est accompagnée par l'évolution du caractère du narrateur-héros. Gulliver devient misanthrope. Ce personnage qui est un peu bizarre car en même temps il s'efface devant les événements qu'il raconte et se veut neutre mais qui est au coeur de ces événements, et un centre d'intérêt pour ceux qui le rencontrent, mais aussi pour nous lecteurs. C'est un aventurier qui vit sous la tentation du mouvement (comme Ibn Battûta) et ne battra cette envie qu'après avoir goûté aux plaisirs d'une vie simple et pieuse dans la dernière partie (comme Ibn Battûta qui, en voyage, envia la vie simple et rustique d'un vieux pêcheur, et rêva de s'installer définitivement et de finir ses jours comme ce vieillard).

Les idées et la critique qu'on trouve dans ce roman ne pouvaient être exprimé ni nous atteindre après tant de siècles que grâce à la forme du roman. Exprimées dans un essai ou un pamphlet, elles auraient tombées dans l'oubli et devenues une simple oeuvre de circonstance. Doit-on connaitre les événements qui se passaient à l'époque de Swift pour apprécier ce roman et pouvoir le comprendre ? Pas du tout (il existe en tout cas un texte très pertinent du grand écrivain Walter Scott qui met en parallèle les événements et personnages avec les faits historiques et les contemporains de Swift). Ce roman comme tous les grands chefs-d'oeuvre du genre ne se résume pas à une époque spécifique ou une région. Il s'inscrit dans l'universel. Les caractères décrits existent toujours dans tous les domaines (politiciens, médecins, avocats …), les problèmes et faits sociaux présentés sont d'actualité. Et la bêtise humaine ne date pas d'aujourd'hui.
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Les Voyages de Gulliver, lus durant ma prime adolescence, ont laissé une marque profonde à la fois sur mon imaginaire et mes convictions. Ce récit de voyages imaginaire du XVIIIème siècle, comme dans le Candide de Voltaire ou les Lettres Persanes de Montesquieu, est avant tout un conte philosophique, et une satire sociale et politique de son temps.

Mais Dieu que la langue est belle et que le ton -so british- est libre ! Y compris dans les dimensions fantastiques, mêlées à la science fiction, le lecteur se trouve embarqué beaucoup plus loin, je trouve, que chez les pamphlétaires français. Merci à l'habeas corpus et au Bill of rights !

le voyage à lilliput n'a rien à voir avec Arthur et les minimoys -quelle hérésie que de réduire ce livre à un conte pour enfants ! -, et la petitesse des habitants n'est que prétexte à réflexion sur la vanité des soi-disants puissants, près à vous arracher les yeux pour une question de sens des oeufs à la coque. le contraste avec le monde des géants assoit encore un peu plus, toujours avec humour, la relativité des choses.

L'évocation de l'île de Laputa devrait, encore aujourd'hui, faire réfléchir les les soi-disants savants, enfermés dans leur tour d'ivoire et ignorant le monde réel qui les entoure. Suivent ensuite autant des réflexions réellement philosophiques -et pourtant pleines de légéreté, grâce à l'humour et l'inventivité de Swift- sur le sens de l'Histoire et sur la quête humaine de l'immortalité.

Enfin, le dernier voyage n'a rien à envier à La Planète des singes de Pierre Boulle. le rapport des humains aux soi-disants espèces animales inférieures qu'il pense dominer y est questionné à son tour.

En définitive, peut-être le classement parmi les Contes de fées sied-il parfaitement à ce livre : au-delà de l'imaginaire et du langage à la fois simple et raffiné du XVIIIème, le portrait de la société, et de l'humanité en général, y est cruel et sévère. Et peut-être le fait pour les adultes de l'avoir relégué -pour protéger leurs certitudes- au rang de conte pour enfants permet-il à ces derniers -qui le lisent- d'acquérir dès le plus jeune âge un esprit critique et lucide face aux préjugés, et une capacité à imaginer que... toute chose varie avec le temps et l'espace.

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Les Voyages de Gulliver (en anglais Gulliver's Travels) est un roman satirique écrit par Jonathan Swift en 1721. Écrit à la première personne (Gulliver et Swift ne font qu'un), divisé en quatre parties (à savoir, autant de parties que de voyages entrepris par Gulliver) et constitué de récits détaillés, ce roman, écrit après le krach de 1720, pourrait avoir été l'occasion pour Swift de moquer les travers de la société anglaise à laquelle il appartenait. La bande dessinée illustrée par Giu-Pin et adaptée par Saulla Dello Strologo se veut être un résumé fidèle et court de ce roman. Transporté à Lilliput, le lecteur découvre une société bien plus avancée que l'Angleterre de l'époque, révélation atténuée par le fait que cette supériorité n'empêche pas les peuples de Lilliput de céder à leurs instincts primitifs et de passer leur temps à se faire la guerre. Ensuite, dans le voyage à Brobdingnag, ce sont les travers des institutions anglaises que découvre le lecteur. Puis, à l'occasion du voyage à Laputa, ce sont les abus de la philosophie ou de la science qui sont dénoncés, en ce sens qu'ils conduisent les hommes à perdre tout sens commun et à courir à leur ruine. Enfin, dans le voyage à Houyhnhnms, c'est la question de la différence entre l'être humain et l'animal (en l'occurrence, le cheval) qui est posée par Gulliver avec, en corollaire, l'éventualité de devoir ressentir de la honte d'être un être humain.

Au fil des quatre récits, le lecteur va de surprise en surprise : on lui suggère sur le ton de la plaisanterie que les problèmes irlandais de famine et de surpeuplement pourraient être facilement résolus en faisant en sorte que les bébés de sujets irlandais pauvres soient vendus comme des friandises à des citoyens plus fortunés, on l'assène de propos caustiques et d'attaques constantes à l'encontre des défauts des sociétés britannique et européenne, on le porte à la rêverie avec la description de pays imaginaires, on mêle l'acidité, l'absurdité et la folie (qui pourrait être la conséquence d'un incident ayant affecté les capacités mentales de Swift), on dénonce les travers de l'époque (par exemple, le colonialisme) dans un style vif et précis constellé de perceptions naïves et crédules.

Le lecteur pourra très vite être gêné par l'absence d'émotion, par l'avalanche de faits, mais aussi par le côté obsessionnel voire insupportable des différents faits de navigation de Gulliver. La richesse des récits pourra être interprétée comme du verbiage, sans intérêt manifeste. Les idéaux de Gulliver paraîtront bien tièdes : des gens bons et raisonnables, dotés d'une forte personnalité, cohabitant au sein d'une société non aliénante et respectueuse de leurs droits ! Ayant poursuivi votre lecture à son terme, vous en sortirez peut-être avec l'impression d'avoir lu les voyages d'un anti-héros, simplet, méconnaissant le sens même de sa mission, ouvert sur le monde mais dans l'incapacité d'en modifier le cours. Cette crédulité et cette « errance », alliées à une sur-activité et à un manque évident de bon sens et d'ingéniosité, amoindrissent la force que met Swift à dénoncer les abus de son époque ! Quant à l'excès de simplicité avec lequel Swift décrit les traits de ses principaux personnages, le lecteur indulgent pourra le pardonner. La société anglaise est le terrain de jeu de ce roman satirique. Pour autant, l'Angleterre ne paraît pas être la patrie de Gulliver : il n'en parle jamais, que ce soit avec tendresse, nostalgie ou patriotisme, et chaque fois qu'il rentre au pays c'est pour le quitter au plus vite pour aller naviguer sur les mers ! Ces voyages sont une fenêtre sur la nature humaine mais Gulliver est un être solitaire, un misanthrope aigri, un asocial (il ne parle jamais de sa famille ou de ses amis anglais), dénué d'émotions, de passions, de rêves ou d'aspirations, impuissant devant les travers de la société et de la nature humaine qu'il décrie : ce vide est consternant. Faut-il y voir le produit d'une volonté délibérée de l'auteur (nous signifiant ainsi son dégoût de la condition humaine, l'homme n'étant au final –malgré la diversité des langues et des cultures-, ni complètement spirituel, ni mentalement transcendant) ou la marque de la folie ordinaire de Swift ?
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critiques presse (1)
Bibliobs
25 juillet 2013
La satire, selon Swift, est «un miroir dans lequel celui qui regarde aperçoit le visage de tout le monde à l’exception du sien propre». Et le lecteur de découvrir, avec Gulliver, la mesquinerie politique et guerrière des petits hommes, l’appétit de l'humanité pour la violence [...], ou encore l’irrationalité de nombre d’expériences qui revêtent pourtant les apparences de la science.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (111) Voir plus Ajouter une citation
Mais un autre motif me retenait d'offrir à Sa Majesté mes découvertes pour agrandir ses domaines : à dire vrai, j'avais conçu quelques scrupules sur la façon qu'ont les princes de pratiquer, à cette occasion, la justice distributive. Par exemple : un navire pirate est poussé par la tempête sans savoir où il va ; à la fin, un mousse grimpé sur le mât de vigie découvre une terre ; les hommes débarquent, attirés par le pillage. Ils voient un peuple inoffensif qui les reçoit avec bonté : ils donnent au pays un nouveau nom, en prennent officiellement possession, au nom du roi ; dressent sur le sol une planche pourrie ou une pierre en mémoire du fait ; assassinent deux ou trois douzaines d'indigènes, et en emmènent une paire comme échantillon ; puis ils retournent dans leur pays et obtiennent leur pardon. Voilà l'origine d'une nouvelle annexion, faite légitimement selon le « Droit divin ». À la première occasion, on envoie des navires ; les indigènes sont déportés ou exterminés, leurs princes torturés, jusqu'à ce qu'ils révèlent où est caché leur or ; pleine licence est donnée à tous les actes de cruauté et de luxure ; la terre fume du sang de ses habitants, et cette odieuse troupe de bouchers, employée à une si pieuse entreprise, c'est l'expédition coloniale moderne, envoyée pour convertir et civiliser un peuple idolâtre et barbare.
Mais cette description, je l'avoue, ne s'applique d'aucune manière à la nation britannique, qui peut servir d'exemple au monde entier, pour la sagesse, la prudence et la justice qu'elle montre en fondant ses colonies, pour la générosité avec laquelle elle y développe la religion et la culture ; pour l'heureux choix qu'elle fait de pasteurs pieux et compétents chargés d'y propager le christianisme ; pour le souci qu'elle a de n'envoyer dans les nouvelles provinces que des sujets de la mère patrie vivant dignement et connus comme tels ; pour les grands scrupules qu'elle a en matière de justice, ne nommant aux postes administratifs, dans toutes ses colonies, que des fonctionnaires de la plus haute compétence, entièrement étrangers à la corruption ; et, comme couronne à ce bel édifice, pour sa façon d'envoyer toujours les gouverneurs les plus consciencieux et les plus vertueux, qui n'ont pas d'autre but que le bonheur des populations qu'ils régentent et l'honneur du roi, leur maître.
Mais comme ces pays que j'ai décrits paraissent n'avoir aucun désir d'être conquis, ni de connaître l'esclavage, le meurtre et la déportation qui vont de pair avec la colonisation ; comme, d'autre part, ils n'abondent ni en or, ni en argent, ni en sucre, ni en tabac, j'ai eu, en toute modestie, l'idée qu'ils n'étaient en aucun cas dignes de notre zèle, de notre vaillance, de notre intérêt.

Voyage chez les Houyhnhnms, Chapitre XII.
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Lorsqu'ils ont à choisir parmi plusieurs candidats à quelque office, ils regardent aux qualités morales, plus qu'aux dons de l'intelligence. Le gouvernement des hommes étant en effet une nécessité naturelle, ils supposent qu'une intelligence normale sera toujours à la hauteur de son rôle et que la Providence n'eut jamais le dessein de rendre la conduite des affaires publiques si mystérieuses et difficiles qu'on la dût réserver à quelques rares génies — tels qu'il n'en naît guère que deux ou trois par siècle. Ils pensent au contraire que la loyauté, la justice, la tempérance et autres vertus sont à la portée de tous, et que la pratique de ces vertus, aidée de quelque expérience et d'une intention honnête, peut donner à tout citoyen capacité pour servir son pays, sauf aux postes qui exigent des connaissances spéciales. Ils ne pensent pas qu'une intelligence supérieure puisse pallier à l'absence de vertus morales — bien au contraire, jamais ils n'oseraient confier un poste à un homme de ce genre, car on tient les fautes commises par l'ignorance d'un homme intègre pour infiniment moins préjudiciables au bien commun que les intrigues d'un homme sans scrupules et assez habile pour organiser, multiplier et défendre ses malhonnêtetés.

VOYAGE À LILIPUT, Chapitre VI.
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(Voyage à Laputa)

La connaissance que j’avais des mathématiques m’aida beaucoup à comprendre leur façon de parler et leurs métaphores, tirées la plupart des mathématiques et de la musique, car je suis un peu musicien. Toutes leurs idées n’étaient qu’en lignes et en figures, et leur galanterie même était toute géométrique. Si, par exemple, ils voulaient louer la beauté d’une jeune fille, ils disaient que ses dents blanches étaient de beaux et parfaits parallélogrammes, que ses sourcils étaient un arc charmant ou une belle portion de cercle, que ses yeux formaient une ellipse admirable, que sa gorge était décorée de deux globes asymptotes, et ainsi du reste. Le sinus, la tangente, la ligne courbe, le cône, le cylindre, l’ovale, la parabole, le diamètre, le rayon, le centre, le point, sont parmi eux des termes qui entrent dans le langage affectueux. Leurs maisons étaient fort mal bâties : c’est qu’en ce pays-là on méprise la géométrie pratique comme une chose vulgaire et mécanique. Je n’ai jamais vu de peuple si sot, si niais, si maladroit dans tout ce qui regarde les actions communes et la conduite de la vie. Ce sont, outre cela, les plus mauvais raisonneurs du monde, toujours prêts à contredire, si ce n’est lorsqu’ils pensent juste, ce qui leur arrive rarement, et alors ils se taisent ; ils ne savent ce que c’est qu’imagination, invention, portraits, et n’ont pas même de mots en leur langue qui expriment ces choses. Aussi tous leurs ouvrages, et même leurs poésies, semblent des théorèmes d’Euclide.


Plusieurs d’entre eux, principalement ceux qui s’appliquent à l’astronomie, donnent dans l’astrologie judiciaire, quoiqu’ils n’osent l’avouer publiquement ; mais ce que je trouvai de plus surprenant, ce fut l’inclination qu’ils avaient pour la politique et leur curiosité pour les nouvelles ; ils parlaient incessamment d’affaires d’État, et portaient sans façon leur jugement sur tout ce qui se passait dans les cabinets des princes. J’ai souvent remarqué le même caractère dans nos mathématiciens d’Europe, sans avoir jamais pu trouver la moindre analogie entre les mathématiques et la politique, à moins que l’on ne suppose que, comme le plus petit cercle a autant de degrés que le plus grand, celui qui sait raisonner sur un cercle tracé sur le papier peut également raisonner sur la sphère du monde ; mais n’est-ce pas plutôt le défaut naturel de tous les hommes, qui se plaisent naturellement à parler et à raisonner sur ce qu’ils entendent le moins ?
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Mon père avait un petit bien dans le comté de Nottingham. J'étais le troisième de ses cinq fils. Il m'envoya à l'âge de quatorze ans au collège Emmanuel à Cambridge, où je demeurai trois années durant lesquelles je m'adonnai à l'étude avec une grande application. Mais la charge de mon entretien (je ne recevais pourtant de ma famille et qu'une très maigre pension) était trop lourde pour des gens de fortune modique : on me mit en apprentissage à Londres, auprès de Mr. James Bates, chirurgien éminent chez qui je demeurai quatre ans. Mon père m'envoyait de temps à autre de petites sommes d'argent que j'employais à l'étude de la navigation, et autres disciplines mathématiques, fort utiles à ceux qui songent à partir en voyage, car je prévoyais que telle devait être tôt ou tard ma destinée.
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[...] Après deux mois passés à la maison, mon caractère vagabond me conduisit encore en mer à bord de l'Aventure. Là, une révolte de l'équipage m'obligea à descendre sur une terre inconnue. C'est avec une peur justifiée que je m'enfonçai à l'intérieur. Tout à coup, je vis de bizarres animaux couverts de poils qui leur arrivaient jusqu'aux hanches, et parfois jusqu'aux pieds. Dès qu'ils m'aperçurent, ils prirent la fuite, et je ne vis plus, à leur place, qu'une harde de poulains splendides. L'un d'eux me salua de la patte droite, puis s'entretint avec ses compagnons.
- Messieurs, leur dis-je, si vous êtes sorciers, vous me comprendrez. Je viens de très loin et demande l'hospitalité.
Le cheval me répondit par un hennissement où je perçus plusieurs fois le son : "Jahoo". Je le répétai. Alors, bondissant devant moi, les chevaux m'invitèrent à les suivre. [...]
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"Les Voyages de Gulliver" de Jonathan Swift | Des histoires merveilleuses
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