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Critique de FrancisK


S'il est des livres qui marquent longtemps, celui-ci en est un incontestablement. Avec le pays des eaux, le romancier britannique Graham Swift a réussi un coup de maître à plusieurs titres.

D'abord la langue. Elle témoigne d'une richesse rare qui puise aussi bien dans le jargon technique que dans le domaine argotique ou familier et pousse des pointes jusque dans le glossaire littéraire ou dans le langage rare, voire précieux. Cette langue est celle d'un styliste qui soigne ses effets et montre sa maîtrise par un rythme particulier. Les phrases très courtes, voire nominales ou inachevées (les points de suspension abondent) voisinent avec des périodes qui s'étendent sur plus de vingt lignes, souvent coupées de parenthèses elles-mêmes lardées d'incises qui suscitent un effet de maelstrom digne des pages proustiennes. le tout est martelé par un rythme que ponctuent les anaphores (« Attendu que… »), les apostrophes (« Mes enfants… ») qui prennent une valeur incantatoire et créent un effet d'envoûtement.

Ensuite la diversité des points de vue. le récit est certes pris en charge par un je omniprésent, mais laisse aussi la place à d'autres formes de narration, telles les minutes d'un procès qui rapporte le jeu de questions et réponses des parties concernées. Parfois, insensiblement, le texte passe d'un dialogue à un récit, s'enrichit des pensées du narrateur ou reproduit la conscience de l'auditeur dont il livre les pensées qui sont censées être les siennes, le tout s'opérant en un glissement progressif et vertigineux.

Puis la structure narrative. Nous sommes en 1980 et pourtant de nombreuses pages procèdent par ruptures chronologiques. Nous apprenons l'histoire d'une région située à l'est de l'Angleterre en remontant les siècles puis les redescendant, les coupant par les références aux deux guerres mondiales, à la Révolution française et à l'établissement de l'Empire par Napoléon 1er. Cet arrière-fond historique souligne l'importance des faits narrés et inscrits dans une réalité qui leur donne un air de vraisemblance. Mais il ne rechigne pas pour autant aux rumeurs, racontars et ragots du peuple qui introduisent par moments une touche d'humour anglais.

Rien de tout cela n'est jamais gratuit. Tout revient à un moment ou à un autre, mais à la lumière d'un éclairage nouveau ou doté d'un sens qui enrichit ce que nous croyions savoir. C'est le cas de ces phrases et tournures qui réapparaissent à plusieurs chapitres d'intervalle, comme un jeu d'échos sonores qui va s'amplifiant. Et nous oblige à reconsidérer notre point de vue. Ainsi, contrairement à l'élève Price, contestataire et perturbateur des cours d'histoire du narrateur-professeur qui ne voit pas l'utilité de cette discipline, le roman débouche sur une réflexion du rôle de l'histoire dans le champ éducatif. C'est le cas de certains chapitres tels de la question pourquoi ou L'explication de l'explication qui deviennent un éloge de la curiosité, suscitée au demeurant par des méthodes pédagogiques inattendues et fort peu appréciées du directeur d'école.

Bref, un abîme de plaisirs et de voluptés qui font de ce roman un chef-d'oeuvre, un diamant de la plus belle eau.
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